L'entrainement

Je quitte Vincennes tout de suite après le bureau. JM me récupère à la gare de Fontainebleau à deux heures. Il fait un grand soleil.

Nous n'avons pas encore réussi à ramer ensemble avant Mâcon. C'est tout de même les championnat de France. Je suis hallucinée de temps de légèreté, quand je sais à quel entraînements durs se soumettent les équipages du CNF.

Nous aurons donc un entraînement ensemble. Pas davantage, car JM ne pouvait pas être là, pour raisons familiales et Sylvie ne pourra pas être là après.

Nous bénéficions d'un beau quatre, qui a le défaut d'avoir la barre au pied de la nage. C'est conçu pour un deux mille mètres, où il est inutile de se retourner: il suffit de se repérer aux bouées devant soi, les couloirs sont droits. Mais pour un huit mille sur un parcours légèrement en courbe, dont un demi-tour à effectuer à la moitié, c'est plus difficile à maîtriser.

Nous descendons (sens du courant) vers Fontaine-le-Port, puis effectuons un deux mille mètres en remontant. Ça me paraît très long. Il y a du vent, il fait un peu froid, je remets un pull. Bien m'en prend: il se met à tomber une pluie fine et glacée, de plus en plus abondante, mêlée de grêle fondue.
Nous arrivons au ponton trempés et glacés.

Je rentre à la maison me changer et me réchauffer puis je repars à Samois : ce soir il y a remise du trophée de l'espoir à Cornélus Palsma par le comité départemental olympique et sportif, le conseil départemental et le Crédit agricole. C'est un jeune rameur de 22 ans originaire de Fontainebleau, vice-champion du monde en quatre poids léger.

La cérémonie commence mal: comme c'est les vacances, l'intendance n'a pas suivi et personne n'a les clés de la salle. Nous battons le pavé un temps bien trop long avant d'entrer dans la même salle qui nous avait accueillis pour le tajine du premier novembre. Discours des trois parties invitantes, réponse du jeune homme qui se tire bien de l'exercice, photos. Pas d'intendance donc pas de verre de l'amitié ni cacahuètes, c'est tristoune.

Cornelus Palsma entouré de l'ANFA - février 2022

L'enclave russe

Quand mes parents ont commencé à voyager en Pologne en 2019, j'ai découvert avec stupéfaction qu'il existait une enclave russe au bord de la Baltique, sans lien terrestre avec la Russie.
Comment une telle idée avait-elle pu germer dans le cerveau des dirigeants de Yalta? Quel géographe fou avait-il conseillé cela?
Et surtout, comment cela se faisait-il que je ne le découvrais que maintenant?

(Ce n'est que récemment que j'ai compris que lorsque j'étais au lycée, c'était noyé dans l'URSS, donc pas un sujet.)

La chose apparaît sur cette carte humoristique en faveur de l'Ukraine : la petite tache rouge, c'est de la Russie.

carte de la Russie et des pays qui ne sont pas la Russie


Depuis que j'ai découvert cela, je me dis qu'un jour les pays baltes se feront attaquer.

Nous n'avons rien dit pour la Géorgie, la Tchétchénie, la Syrie. Si nous ne disons rien pour l'Ukraine, combien de temps avant que les pays baltes, qui appartiennent à l'Union européenne, se fassent attaquer?

Entraînement, le retour

Dans la foulée de mon inscription en salle, je propose aux filles de commencer l'entraînement pour la course des Impressionnistes, le premier mai à Port Marly: une dizaine de week-ends pour ramer au moins une fois par semaine ensemble. Je propose une yolette. Je sais que ce n'est pas enthousiasmant, mais je me règle sur la démarche de Vincent qui nous avait imposé une yolette en 2018, malgré la présence d'Anne-So et moi-même qui avions un niveau au-dessus. (Mais je ne suis pas Vincent et je n'ai pas beaucoup d'arguments pour convaincre).
Toutes semblent partantes.

Reprise de l'entraînement à l'ergo ce soir. J'y trouve une allégresse à laquelle je ne m'attendais pas: juste avant le confinement, l'ergo m'avait mené au bord de l'épuisement. Surtout, cela nuisait terriblement à mon sommeil, muscles brûlants.
Ce soir, je me sens légère, allégée. Cela me redonne également confiance en moi.

Ergo

Cette histoire de Mâcon me turlupine.
En janvier, selon le rituel des bonnes résolutions ou peut-être pour les Culs gelés, j’avais visité une salle de sport à Vincennes, mais elle n’avait pas l’équipement que je souhaitais. J’avais abandonné.

J’ai décidé de réessayer dans une autre salle.
J’arrive au comptoir. Je ne sais pas par quoi commencer.
L’hôtesse, compréhensive: — Vous ne savez pas ce que vous voulez?
— Si, au contraire. (Je prends une inspiration.) Est-ce que vous avez des rameurs?
— Oui, au fond de la salle.
— Je peux les voir ?
Elle débloque le portillon.

Murs noirs, sols noirs, pas de musique, souffle des machines. Ergo hydrauliques, flambant neufs. Ce n’est pas du tout ce que je cherche, un ergonomètre utilisé dans les clubs d’aviron.
Je reviens.
— Ça va ?
— Non, ils sont presque trop beaux, ce n’est pas ce que je cherche.
— Vous cherchez quoi?
— Un rameur de marque Concept.
— Il y en a d’autres à l’étage. Vous voulez aller voir?

Elle redébloque le portillon. Je monte à l’étage, en manteau rouge et bottes parmi les corps transpirants, casque sur les oreilles. Quelques regards me suivent, mais si peu. Chacun est dans son monde, à la poursuite de son but.

Il y en a deux, dressés contre le mur, que ce soit parce que la place manque ou parce qu’ils sont rarement utilisés. J’en mets un à plat, teste la chaîne, les piles. Ils ont l’air en meilleur état que ceux de Yerres.
Je redescends et je signe. Pas d’abonnement, je pars en avril. Contrat fixe pour un mois.

Même emploi du temps

Presque la même journée, avec un temps plus couvert.

Double avec Françoise. Sylvie m’a amené une veste-anorak qui lui vient de son entreprise: veste contre le froid des salles de test pour les moteurs. Elle ne s’en sert plus, elle me la donne pour ma fonction de barreuse.
Cela me fait fait énormément plaisir. J’aime beaucoup cette veste (j’avais déjà porté celle de JM, trois fois trop grande), très chaude, à l’odeur particulière du kérosène (se shooter au kérosène ou au gazole des tracteurs, à la graisse des machines agricoles).

D’autre part elle me remonte le moral quand je partage à mi-mots mes doutes sur notre participation à Mâcon.
— Ça nous permettra au moins de faire une reconnaissance du parcours pour la course en huit du dimanche.
C’est vrai. Je n’y avais pas pensé. J’en suis rassérénée.

De nouveau sieste, de nouveau décapotable, Champagne, Féricy, Fontaine-le-Port. Je discute longuement à Féricy avec un amoureux de MX-5. Je repars avec son 06 pour le tenir au courant de nos actions militante. J’en suis toute étonnée.
Le soir on me redit de ne pas faire cela seule: « J’espère que tu n’étais pas seule. Ça va devenir de plus en plus dangereux ».
Je ne réponds rien. Le problème de ne pas faire les choses seule, c’est qu’il faut s’organiser, ne pas décider de partir sur un coup de tête en se réveillant de la sieste.

Beau temps

Temps magnifique ce matin, gelée blanche sur le ponton.

Seine au lever du soleil l'hiver à Samois


Belle sortie en huit, même si Pascal ne nous suit pas : il y a eu un problème de bateau-moteur, il a dû rentrer au club pour laisser le sien à la personne qui encadre les scolaires.

J’apprends avec perplexité que finalement les deux quatre mixtes envisagés pour les Championnats de France sont maintenus: il s’agit de l’équipage du huit coupé en deux. Mais comme Nathalie ne veut pas ramer en couple, la place m’est proposée (je soupçonne Nathalie de se désister volontairement car elle ne peut concevoir que j’aille à Mâcon uniquement pour barrer).
— Mais on ne s’est jamais entraîné ensemble!
— C’est pas grave, on fera au mieux.
Je les regarde sans comprendre. Je pense au CNF, aux entraînements forcenés, au niveau des filles qui montaient en masters. Nous allons nous ridiculiser. Cela n’a pas l’air de les effleurer. Se pourraient-ils qu’ils aient raison et que j’ai tort?

J’avais l’intention de monter jusqu’à Champeaux l’après-midi. Je l’ai fait, mais tardivement, m’étant profondément endormie après le déjeuner.

Vernou-la-Celle cherche un médecin et l’a écrit en grosses lettres sur une banderoles devant l’église, forêts, routes où l’on se croise avec difficulté, un air de Sologne qui me réjouit. Je colle à Echouboulains, le cœur palpitant puisque nous sommes prévenus qu’il ne faut pas faire cela seul, que c’est dangereux (ce que je crois et cependant peine à croire: nous sommes en France, non d’un petit bonhomme. Remontent de vieux souvenirs d’informations à la radio (Europe 1), de bagarres entre colleurs d’affiche, les premières images d’Adieu poulet).

La nuit tombe. La forêt laisse progressivement place à la Brie, coucher de soleil sur les labours, et c’est la Beauce qui remonte de mon enfance.

Coucher de soleil sur la plaine au sortir d’Echouboulais


Chaque village a sa belle demeure, sa ferme fortifiée ou son château. Je comprends pourquoi la circo vote à droite, je repense à cet ancien collègue qui m’expliquait pourquoi il y avait tant de particules chez les agents d’assurance: «après la guerre, M. le comte devenait agent d’assurance; il allait voir les paysans autour de chez lui qui tous souscrivaient quand M. le comte le demandait». L’histoire passe lentement. Terres agricoles et peur des partageux, villes industrielles et haine des patrons. Sociologie à l’emporte-pièce pas entièrement dénuée de fondement.

Il fait nuit désormais. Château de Bombon. Je cherche des panneaux à l’école, la mairie, l’église. Je ne trouve qu’une boîte à livres contenant La valise en carton de Linda de Suza et La France en automobile d’Edith Wharton. J’emporte ce dernier livre en pensant à Aline qui m’en avait parlé pendant que nous visitions Maintenon.

Champeaux. Trop tard pour l’abbatiale. France Inter dévide la vie de Philippe Seguin, son refus de Maastricht au moment où Mitterrand se sert de sa maladie pour emporter le oui. 1992. Je me souviens de discussions sur la terrasse, ma mère anti-européenne. Était-ce à cette occasion, ou plus tard en 2006, qu’un ami m’avait dit: «si les Etats-Unis sont contre, c’est que cela ne peut pas être mauvais pour nous». Je ne m’étais pas rendu compte à l’époque à quel point c’était bien évidemment lié à 1989 et la chute du mur. Je vais avoir une heure de retard sur ce que j’avais promis à H.
Je colle à Sivry-Courty, à Veneux en passant devant la place et je rentre.

Sale temps

Autant il faisait un temps magnifique hier, autant il y avait du vent et de la pluie aujourd'hui. J'ai barré le huit. Par deux fois les rafales de vent ont stoppé le bateau dans sa course, par deux fois j'ai dû demander aux rameurs de redresser le bateau que le vent était en train de précipiter sur les bords cimentés de la Seine.

Un peu de fun rose

Cadeau.

Collage

Au moment où je sors, H. fredonne « n'oublie pas ta pelle et ton seau».

seau et bouteilles d'eau dans un sac de course


Bien flippé dans la matinée — impossible de trouver les affichages libres obligatoires dans toutes les villes.

Mais je suis une angoissée et l'après-midi tout s'est — bien sûr — bien passé, sillonnant trois villes de la circo sous un beau soleil d'hiver et collant des affiches sur des panneaux dont finalement nous n'étions pas bien sûrs qu'ils n'appartinssent pas aux voies navigables et non aux communes.

Cela donnait une autre image de la Seine-et-Marne que le tractage à la sortie du RER de Noisy.

affiches


PS : Sybille est championne de France en aviron in-door (ie, ergonomètre, dit vulgairement "rameur"). C'est géniaaaallll !!!

La fin

Nous signons la vente de la maison mercredi prochain. Objectif de la journée: la vider totalement, car dans la grande tradition de la famille, nous nous sommes arrêtés à cinq pour cent de la fin. Nous avons tout déménagé, tout vidé, sauf un placard, deux meubles, la cabane,…

Le camion (douze mètres cube) a été réservé trois jours avant à Intermarché à cinq cent mètres de chez nous. Le récupérer nous prend une demi-heure car les logiciels informatiques ont été changés le week-end précédent et ça beugue: impossible de faire passer la carte bancaire pour le dépôt de garantie, impossible d'imprimer le contrat, la responsable souhaite annuler la réservation, H. supplie, nous n'avons que cette journée, la maison est vendue, nous avons posé une journée de congé… La directrice du magasin est appelée, H. obtient gain de cause.
Nous avons trois quarts d'heure de retard sur notre programme.

La maison. Je suis catastrophée par l'état des rosiers. Depuis combien de temps ne suis-je pas venue ici? Sans doute il y a un an, en février, je me rappelle de crêpes. Je ne suis pas venue en juin pour couper les roses fanées, je pensais que le jardinier passait. Il est peut-être passé, je ne me souviens plus des dates, mais quoi qu'il en soit, il s'est occupé d'autres choses que des roses.
(Et tout le temps de notre présence je volerai des minutes pour aller couper des gourmands et des cynorrhodons. Il faudra que je vienne plus tôt le jour de la vente pour les nettoyer vraiment. Ah quoi bon me dit H., ils vont les couper (le futur propriétaire a l'intention de remplacer le grillage par un mur, des plaques d'acier). Mais je me sens responsable de tout ce qui est vivant, surtout que c'est moi qui ai planté ces rosiers.)

Nous vidons la cabane. Beaucoup de fils électriques, de clous, de bidons, de pots de peinture. Un animal inconnu a fait un tas de coques vides dans un coin de la cabane. Les toiles d'araignées pendent sombres, remplies d'une sorte de sciure. J'espère que les propriétaires ne sont pas de purs citadins, sinon cela risque de les effrayer, voire paniquer. Je vire les toiles, sauvent quelques araignées (en les déposant sous les étagères. Je ne les mets plus dehors depuis que j'ai appris que cela les tuait: elles ont pris l'habitude d'être à l'intérieur).

Nous laissons la table de jardin qui nous vient de nos amis bostoniens, les étagères, des chaises, le tuyau d'arrosage, une pelle, un outil pour tailler le rosier grimpant.
Je remets des graines de tournesol dans l'abri des oiseaux, je fais le tour du jardin, le cœur serré: l'if coupé dont je ne fais pas le deuil, le sapin de noël qui faisait un mètre vingt à notre arrivée, qui en fait douze, est en train de mourir, le rosier blanc disparu, le rosier jaune qui a tant perdu de sa superbe (mais quel âge a-t-il? trente ans?), le forsythia massacré… Le laurier et le romarin vont très bien.
J'aurai le regret de ne pas avoir su m'occuper de ce jardin. C'était hors de mes forces, beaucoup trop de travail. J'ai une colère rentrée, que H. ni les enfants ne m'aient jamais proposé de l'aide. Il fallait que je demande (les garçons si efficaces pour planter les rosiers… mais avant leurs quinze et vingt ans, qu'est ce que j'ai galéré. Et les feuilles à ramasser… et l'engueulade quand j'ai pris un jardinier… et les voyages à la déchetterie sans un coup de main pour mettre les pots dans la voiture ou le chêne abattu. Mais cette année-là j'étais allée seule en Grèce et H. m'en voulait… c'est fou tout ce que j'ai sur le cœur dont je n'arrive pas à me débarrasser. Fasse que l'écrire me permette d'oublier.)

Nous chargeons les meubles qui restent, une table, six chaises, qui viennent de ma grand-mère et un buffet très lourd. Au milieu du salon vide je suis désemparée. Une envie de pleurer monte. Frustration et surmenage. C'est ce qu'il me reste de ces vingt ans. Tant d'efforts pour rien, et en même temps, pas assez d'efforts (faut-il supposer, puisque pour rien: s'il y en avait eus assez, cela aurait sans doute abouti à quelque chose, non?) J'aime nos fenêtres et le puits de lumière qui donne sur le rosier. Vont-ils s'occuper du rosier?

Nous déposons les meubles à la maison, puis déchetterie d'Ecuelles. Nous vidons le camion. Un couple est en train de jeter ce qui ressemble à une maison de famille, vélos et poussette d'enfants inclus. La grand-mère serait-elle morte? Des ballots entiers, des sacs poubelles, y passent. Il faut avoir le cœur bien accroché.
H. va rendre le camion. Nous aurons été la dernière location de la semaine, trop de problèmes informatiques, toutes les suivantes ont été annulées.

Le soir nous mangeons des nouilles asiatiques instantanées et je repasse un maillot pour le ping-pong du lendemain.

La journée la plus politique de ma vie

En regardant Twitter durant le déjeuner, j'apprends que ma copine vient de devenir sénatrice.

Appel d’un sympathisant marcheur de Champeaux (77): «j’ai commencé à militer, mais j’ai eu des menaces de mort de la part de LFI, alors j’ai arrêté parce qu’il y a ma femme».
Champeaux, cinq cents électeurs…

H. m'a acheté le kit du parfait colleur (d'affiches). Je suis émue. Mon premier kit. Mieux qu'une première boîte de legos (le défi : ne pas s'en mettre partout. On verra ça samedi).
— Bon, je n'ai plus qu'à piler du verre.
— Si tu fais ça, c'est du pénal.

Porte-à-porte

Ce soir, formation en ligne au porte-à-porte. Il s'agit d'aller frapper aux portes de l'abstention.

C'est flippant mais curieux. Toujours en binôme (comme les témoins de Jéhovah pensé-je in petto), en mixant les genres: un homme, une femme; un vieux, un jeune; un agriculteur, un fonctionnaire territorial; etc.

Je me demande si j'oserai, mais une fois encore, je suis curieuse: les réactions des gens quand on sonne à leur porte: hostiles, indifférents, amicaux? Ça m'intéresse.

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