Les années 80 à Porto

Passé une partie de la nuit à finir mon intervention de la journée. Beaucoup coupé, c'est beaucoup trop long, et je ne suis pas sûre de réellement répondre à la question.
Il y a toujours cette impression un peu étrange d'être en train de mentir parce qu'on ne dit pas tout.

Comme toujours, les personnes bilingues me remplissent d'admiration. Et il s'agit de littérature, ce qui signifie que nous ne pouvons être dans l'à-peu-près en ce qui concerne la langue.

Noémie nous raconte un colloque en Iran («Mais qu'est-ce que je fais là?»), la peur, mais aussi l'étonnement, le voile comme parfait vêtement pour ne pas être touriste, pour être libérée des regards, la loudeur du manteau, les gestes empêchés,…
Une Chinoise docteur en littérature française en ayant travaillé sur l'ironie (y a-t-il quelque chose de plus culturel que l'ironie?), un Espagnol doctorant travaillant sur Romain Rolland (détail curieux: Romain Rolland n'est pas réédité en France mais disponible en Allemagne), une professeur qui nous parle de Jean Muno (mais qui est-ce?), Noémie préparant sa thèse sur Hervé Guibert.
A lire aussi sans doute, François Cusset: La décennie - le cauchemar des années 80.

(Je suis un peu embêtée, parce que j'ai eu le malheur de parler de ce blog et que je ne voudrais pas vexer ceux que je ne vais pas citer alors que j'écris sans désir d'exhaustivité (sinon je reprendrai le programme). Mais enfin, l'expérience prouve qu'il n'y a pas à s'inquiéter, au final, bien peu lisent.)

Les organisateurs ont vraiment bien fait les choses et au déjeuner José était très gai en bout de table. (Mais de quoi parlait-il? En tout cas la bouteille était vide.)

Bénédiction

— Bonne journée maman; bon vol, ne meurs pas !


Mais c'est quoi cet enfant aussi stressé que moi?

La compréhension comme saisie du réel

Je suis en train de comprendre que l'essence de l'amour est réellement la capacité à pardonner, et c'est bizarre, parce que c'est écrit partout et que je commence juste à le comprendre vraiment, à le ressentir: oui, c'est le seul critère. ("Si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien", combien de fois cette phrase de Saint Paul aux mariages m'a fait grincer des dents en me disant qu'elle ne servait strictement à rien: si je n'ai pas l'amour, qu'est-ce que je fais? C'est cela qui serait utile de savoir).
(Il faudrait définir le pardon et je n'en suis pas capable. Ebauchons: la capacité à faire confiance une fois de plus, une fois encore.)

Cette remarque déconnectée de tout; non il ne m'est arrivé aucune catastrophe, et non, je ne sais pas pourquoi je commence à comprendre ça maintenant. (Et oui, un peu hésité à écrire cela, mais après tout, c'est important, donc autant le noter ici.)

Je monte une marche

Parfois quelqu'un vous demande si vous voyez la vie comme un cercle ou comme une flèche. Je la vois comme les grandes marches des podiums permettant d'accéder à un plongeoir.

Fête de famille: les enfants qui avaient dix ans quand je les ai vus la première fois vont être pères (deux naissances d'un coup). Je viens de monter une marche.

Dix minutes

Peinture encore à midi. Puis apéro.

Je n'aurais peut-être pas dû raconter qu'à une époque de grande fatigue j'allais dormir dans les armoires (1996). Ils ont fait une drôle de tête.
Personne ne se rend compte du peu de place que prend un corps humain; oui, nous tenons dans les armoires à dossiers, il suffit de s'y asseoir, et de dormir (il y avait des rangées d'armoires vides à mon étage, en attente d'affectation).

— Et personne ne te cherchait ?
— Tu sais, dix minutes, c'est rien, si ça dure réellement dix minutes. Tu passes plus de temps à la machine à café ou à sortir fumer.

Peinture




Comme je ne peux pas ramer (à cause de mon doigt), je peins. J'allais écrire «ça me détend», mais j'ai bien peur que rien ne me détende. Disons que ça me change les idées, penchée sur ma baguette à peindre en blanc, à main levée, sans protection; je songe à René, à son métier d'ébéniste, à ses 80 ans, au fait que je me demande si oui ou non nous allons les lui fêter, comme promis, il y a deux ans, mon esprit s'évade, la Seine est en crue, le courant est puissant, je songe à la Loire à l'automne.

«Eminence Révérendissime»

…Ça fait tout de même un choc la première fois que l'on entend cela (je ne connaissais pas l'existence de cette formule).
Vu et entendu le cardinal Zen ce soir. La situation en Chine n'est guère brillante pour les libertés, et visiblement elle se dégrade: par exemple, la torture qui avait disparu des prisons il y a quelques années réapparaît.

Ce qu'il a pu nous dire est assez bien résumé ici. Ce qui est impressionnant, c'est le contraste entre le calme du corps, les cheveux blancs, et la vivacité de l'expression, l'emportement au fur à mesure qu'il expose la situation et ses convictions. Profonde révérence envers le pape et beaucoup de reproches à faire à la congrégation pour l'évangélisation, considérée comme trop prompte à trouver des compromis.

Québec, Afrique, bande dessinée, latin, quatrains : quelques blogs.

Embruns suit les événements au Québec.

Ici, des nouvelles du monde avec analyses et cartes (voir la montée de l'extrême-droite en Europe).

Plus gai, des nouvelles de la bande dessinée (enfin, deux morts récents, tout de même (Moebius et Sendak)) et plus largement de livres aimés.

Un blog pour —apprendre? — réviser? le latin ou tout simplement lire des traductions d'Horace.

Enfin, un quatrain quotidien donnant une forme fixe à l'air du temps («contrainte molle dure à tenir», l'esprit du blog est donné).




Encore plus tard:
Et un peu d'études de jeux video via Very Serious Geek

Un Allemand à la maison

«Félix voudrait regarder Chelsea-Bayern de Munich.»

Et c'est ainsi que vous vous retrouvez avec un peu de surprise avec un ado hystérique devant un écran internet. (Ado tout à fait posé par ailleurs, le foot provoque d'étranges réactions.)

Mais le pompon, c'est de découvrir cette photo, dont j'ai cru qu'elle était un montage:



Je me demande si Hollande préfère le rugby.

(Autre titre possible: "Humain, trop humain". Mais c'est plutôt rassurant.)

Moonrise Kingdom

Moonrise Kingdom : drôle, beau, inattendu, enlevé, émouvant, stylisé… Et la musique.


Ma serviette 42 est arrivée. Elle est très discrète.

Flemme

Journée à lire, ou plutôt survoler, Trilogie berlinoise de Philip Kerr prêté par une collègue.

Déçue: j'avais cru en le voyant qu'il était écrit par un Allemand, il s'agit en fait d'un polar américain avec tous les tics de langages (la comparaison incongrue comme figure de style imposée, cela me faisait rire à seize ans et m'impressionnait («quelle imagination!»), aujourd'hui cela m'ennuie profondément (exemple: «la cigarette dans sa main ressemblait à une dent plantée dans un jambon»)). Cependant, j'ai l'impression que tous les détails historiques ont fait l'objet d'une recherche poussée.

Je suis stupide aussi: si je veux une atmosphère à la Friedrich Glauser, je n'ai qu'à lire Friedrich Glauser.

Recherche: livre écrit par un Allemand dans les années trente ou quarante, chantant la gloire du régime et le bien-être apporté: parce qu'il y a bien dû y avoir des gens satisfaits, non? Il ne peut pas y avoir eu que des gens déçus, appauvris, amers? Ou bien si; dès 1934, il était trop tard pour protester, revenir en arrière? Les gens heureux n'ont-ils pas écrit d'histoires? Ou ces livres-là seraient-ils censurés?

Les vieux chats

(J'ai résilié ma carte UGC illimitée: je la rends à la fin du mois. Mon idée était d'aller ramer davantage, mais avec mon doigt…)

Film chilien ou argentin. Un vieux couple, la fille de madame (pas de monsieur) hystérique, l'amie de la fille (donc lesbienne) plus posée, plus raisonnable.
Drame, la fille veut obtenir quelque chose de sa mère (no spoil), la mère ne veut pas, mais elle est par ailleurs en train de perdre la tête.
Fantastique actrice que cette vieille dame, rien ne nous permet de savoir quand elle est elle-même ou quand elle a une "absence", comme elle dit. Mystère d'un visage muet: que se passe-t-il derrière le mur de la peau? Interrogation sans réponse.

Un peu trop de gros plans, dommage.
J'aime sortir du cinéma américain aux corps et aux décors si souvent identiques y compris dans leur diversité (c'est sans doute cela qu'on appelle une "esthétique").

Towel day

Programme du jour de la serviette vendredi 25 mai 2012 (des explications ici).

Cette année j'ai commandé ma serviette.



ajout le soir: vu Babycall. Film fantastique. On en sort secoué, mais aussi avec l'impression vague d'avoir été floué: la tentative de démêler ce qu'on vient de voir ne donne pas satisfaction. Visage mobile de l'actrice aussi contrasté que le ciel, du sourire à l'angoisse.

Rumeurs du monde (financières)

Margin Call (quelques problèmes, j'avais pris un billet pour Le Prénom, j'ai changé d'avis devant la salle, me suis installée dans celle de Margin Call, l'ouvreur m'a poursuivie dans la salle quasi-vide, j'ai refusé de sortir, j'ai eu droit à un sermon à la sortie… Pfff.)

Margin Call. Film honnête, brochette d'acteurs connus, Kevin Spacey sort de ses rôles de salaud pur dans lesquels il semble s'être spécialisé dernièrement. Le plus appréciable dans ce film est sans doute son manque de manichéisme, il s'agit juste de sauver sa peau en décidant qui sacrifier — et en en informant honnêtement les sacrifiés (oui, cela fait une différence).

Quelques remarques morales (as opposed to techniques ou esthétiques):

- un plaidoyer pour les traders: «Nous permettons aux gens de vivre au-dessus de leurs moyens, de s'acheter les voitures qu'ils ne peuvent pas se payer. Ils ne veulent pas s'en souvenir. Si nous nous trompons1, ils se moqueront de nous, mais si nous avons raison, ils nous haïront.»
(Emission sur la Suisse, paradis fiscal, sur France Inter dimanche matin. J'en entends des bribes: «Pourquoi les pays occidentaux ne font pas pression sur la Suisse, puissance moyenne, pour arrêter la fuite des capitaux? Parce que les hommes d'influence de chaque pays participent à cette fuite.» (cf. la chute du gouvernement Herriot en 1932.

- opposition finance / monde réel: construire un pont / jouer avec un ordinateur: qu'est-ce qui est le plus utile? (cf. remarque ci-dessus et ce film).

- «Quand on est le premier à atteindre la porte, cela ne s'appelle pas de la panique.»

- «Nous n'avons pas le choix». Voilà qui me choque. Est-ce dans l'éthique protestante, dans les valeurs américaines? je ne crois pas (je suis sûre que non). J'ai cru un moment que ce n'était que des paroles consolatrices destinées à un personnage. Mais elles sont répétées à plusieurs reprises.
Nous avons le choix, mais le choix droit nous fait ressembler au père de Sebastian Haffner1 dont l'attitude honnête le condamnait au ridicule: avoir sa conscience pour soi mais paraître (être) un loser, il y faut beaucoup de courage, de principes, ou la foi.


Je n'ai pas d'idée précise sur les relations économiques, mécaniques, entre la crise américaine et la crise de la dette grecque, mais regarder un film où les personnages décident en toute conscience de précipiter le monde dans la crise pour sauver leur peau ne manque pas de sel quand on appartient à une société en train d'être vendue suite aux pertes dues à la dépréciation des obligations grecques. Une envie de rire ou sourire, relativisons (cf. la longue litanie des crises financières égrenée par Jeremy Irons.).
Je repense à 1991, à mon collègue dont le voisin cadre supérieur ne parvenait pas à retrouver du travail, il me semble n'avoir jamais vécu que dans un pays en crise (trois millions de chômeurs un peu après mon bac), apprenant parfois avec surprise deux ans après que deux ans avant, le pays connaissait une période de prospérité (comprendre: 2% de croissance). Apprendre cela me donnait toujours l'impression d'être, d'avoir été, flouée: pourquoi ne m'avait-on pas dis pendant la prospérité que nous étions prospères?


Note
1 : dans le fait que ces traders sont en train de tout vendre à perte pour sauver ce qui peut l'être; précipitant ainsi la faillite de tous les autres.
2 : «Enfermé dans la devise "Un fonctionnaire prussien ne spécule pas", il n'acheta pas d'actions. Je considérais cette attitude comme la marque d'un esprit étrangement borné, surprenante chez cet homme — un des plus intelligents que j'eusse connus. Aujourd'hui, je le comprends mieux. Rétrospectivement, je puis ressentir un peu du dégoût que lui inspirait "cette monstruosité", et l'aversion irritée qui se dissimulait derrière une platitude: ce qu'il ne faut pas faire, on ne le fait pas. Malheureusement, les conséquences pratiques de ces principes élevés dégénéraient parfois en farce.» Histoire d'un Allemand

Cinq jours

Dimanche : lever 7h30, marché pour faire faire un casse-croûte aux garçon par le charcutier portugais, un instant de confusion en ayant cru que le gazoil était néfaste à une voiture diesel, Bruyère-le-Chastel pour une réunion scoute, re-marché pour nous cette fois, (je rentre les autres se lèvent), déjeuner, sieste, quelques images de ''M.A.S.H'', j'ai trouvé mon plan1, yapluka remplir, cépagagné.

Samedi : lever 7h30, les Halles à 10 heures, deux paires de chaussures pour O., passage chez le charcutier, nous rentrons, les autres sont debout depuis une demi-heure. J'ai presque fini les années Tel Quel par RC, très intéressant. Communion de Vladimir. Quand nous rentrons à deux heures du matin, les enfants partis une heure avant nous attendent dans leur voiture, ils n'avaient pas de clé de la maison.

Vendredi : j'obtiens quelques renseignements sur notre sort prochain. Prévoir une annonce dans les formes fin juin, une décision définitive en septembre (trois options: partir avec le racheteur, retourner à la maison-mère, être licencié lors d'un plan social. Question: si je devais en profiter pour me reconvertir, que choisir?)
Mon boss est rentré de vacances. Suite à des échanges vifs avec le consultant, je devais recevoir un savon, mais une urgence a surgi. J'ai donc reçu un appel au secours (d'où les renseignements obtenus: j'ai papoté pendant le sauvetage que j'effectuais, ou plutôt le sauvetage a consisté à papoter).
Mais ce n'est que partie remise (pour le savon, je veux dire).
(Je n'ai pas racheté de cigarettes.)

Jeudi : pas de souvenir.

Mercredi : premier véritable jour de mai. Une heure de bavardage sur un banc dans la cour de l'ICP au lieu de travailler en bibliothèque. C'était bien. Beaucoup parlent d'abandonner. Trop dur, trop lourd.


Note 1 : dissertation de théologie de première année en Cycle C.

Peut-être que je n'aurais pas dû prendre ce pseudo, peut-être que je devrais oublier Lewis Carroll, bien plus redoutable que Kafka

Lundi. Rendez-vous à 9h45 pour une visite de contrôle de mon doigt.
— Vous avez la radio?
— Euh non, je n'y ai pas pensé. (Mais de toute façon, on veut voir l'état du doigt maintenant, pas il y a deux semaines.)
— Alors on ne peut rien faire. Vous avez une voiture? (Non je n'en ai pas. H. m'a amenée. Mais de toute façon c'est stupide, je n'irai pas chercher cette radio.)
— Non. Et je ne vais pas chercher cette radio en RER.
— Alors vous pouvez repartir.
Je ne réagis pas beaucoup. Je ne dis rien, je dois commencer à m'en aller mentalement, mais je n'ai pas encore bougé. Je vais partir sans rien dire, sans prendre un autre rendez-vous, sans plaider, elle le sent, je crois. Elle reprend:
— Allez au service de radiologie pour qu'ils vous réimpriment un compte rendu. Droite, droite. (Ai-je pensé "Salope"? Je ne crois pas. J'aurais dû.)

Droite, droite. Trois secrétaires, une ligne de confidentialité, elles sont rapides et efficaces, ça se passe plutôt bien.
— Je viens chercher une copie du compte rendu pour mon doigt. Ça date du 23.
Mon nom, ma carte vitale…
— Mais il y a deux radios… Le pied aussi?
— Oui ça c'est le soir. Le doigt c'est le matin.
— Vous n'avez pas récupéré le pied. Et vous ne l'avez pas réglée. Je vais vous la faire régler.
Carte vitale, carte bleue, je récupère la radio de mon pied, le compte rendu de la radio de mon doigt. Je retourne au guichet de la "chirurgie des membres supérieurs".

— Très bien. Installez-vous, on va vous appeler.
Il est dix heures vingt.
Je lis Vigiles.
Plus tard (un peu plus tard), un homme en blouse blanche vient me chercher (il avait déjà passé la tête plusieurs fois dans la salle d'attente pour demander: «Des points de suture à enlever? Des pansements à refaire?») et m'installe dans un petit bureau. Il y a une grande peinture de voiture de course des années 20 au mur. J'étudie les posters, l'inflammation du canal carpien, c'est très intéressant, en anglais.
Je reprends mon livre.

Plus tard je passe la tête par la porte: m'a-t-on oubliée? (Non, ce n'est pas de l'impatience. je n'ai pas raconté ici que dans la soirée du lundi 23, les urgences m'ont oubliée: j'ai passé une radio du pied, puis ils ont littéralement oublié de m'appeler pour la suite. Je ne disais rien, persuadée qu'il ne fallait pas déranger des gens en train de traiter la souffrance humaine, qu'il y avait des cas plus grave que le mien… Quand nous nous sommes renseignés à minuit, il est apparu que j'avais été oubliée…)

Au moment où je passe la tête, une jeune doctoresse arrive, pimpante et chaleureuse (non, l'homme en blanc était l'infirmier, pas le médecin)).
— J'ai cru qu'on m'avait oubliée.
— Non, je suis juste en retard.
Je lui tends le compte rendu.
— Vous avez fait une radio aujourd'hui?
— Non.
— Il nous faut une radio.
Elle se lève, je la suis, elle va voir la secrétaire: «Il me faut une radio»; la secrétaire : «Allez passer une radio, puis revenez». (Toujours pas pensé «connasse», juste «C'est bien ce qu'il me semblait, aussi.» J'ai été élevée dans le respect du corps médical, des gens qui se dévouent pour les autres…)

Droite, droite, les secrétaires, je viens faire une radio de la main, allez attendre au fond, on va vous appeler.
Je lis Vigiles.
Peu à peu les sièges se vident, chacun passe. Je reste seule. De nouveau, m'a-t-on oubliée? Comment se fait-il qu'il n'y ait personne d'arrivée après moi?
Non, mon tour vient.

Le technicien radiologue est en blouse verte. Il est asiatique, barbe pointue, et je ne serais pas surprise qu'il eut une natte (il n'en avait sans doute pas).
— J'enlève mon attelle? (Je sais qu'on va me la changer, de toute façon. Je n'attends que ça, d'ailleurs: un pansement propre.)
Il prend une voix doucereuse, comme s'il parlait à un enfant de cinq ans qui comprend mal. Ma parole, il se moque de moi:
— Non, les scientifiques ont réfléchi, l'aluminium est un métal, mais ils ont mis au point un métal qui laisse passer les rayons, c'est formidable, non?
Je me fige. Pourquoi ai-je parlé? Je suis muette, immobile, je ne réagis pas. Suis-je condamnée aux cons en ce moment? Karma? Conjonction astrale? Ou ils sont tous comme ça et d'habitude je leur échappe, miraculeusement?
— Ça n'a pas l'air de vous faire plaisir.
Visage immobile. Main immobile. Je ne réagis pas. Je place ma main en suivant ses ordres.
— Voilà. Retournez devant les secrétaires pour attendre le compte rendu.
— Merci.

Je retourne en salle d'attente.
J'attends.
Je lis Vigiles.
Radio, compte rendu, carte vitale, carte bleue. Il est midi moins le quart. Je regarde le compte rendu, sur lequel il est très exactement écrit: «radio de contrôle».

Je retourne au premier guichet. La secrétaire a changé. La moutarde commence à me monter au nez. Je tends ma radio:
— A quoi cela sert-il de donner rendez-vous à 9h45 si c'est pour n'avoir toujours vu personne à midi? J'ai prévu de travailler cet après-midi, j'ai des rendez-vous à la Défense.
— Je sais Madame, il nous fallait une radio. Vous serez la personne suivante.

Je lis Vigiles, mais c'est effectivement très vite mon tour.

La doctoresse regarde la radio, commente:
— Ils n'ont pas enlevé l'attelle?
— Non. Je l'ai proposé au technicien mais il a refusé. Il m'a donné des explications sur l'aluminium comme si j'avais cinq ans.
— Ils ne prennent aucune initiative.
Peut-être que ma remarque l'a amenée à penser que j'étais humaine, qu'on pouvait me parler. Elle m'explique ce qu'on ne m'avait pas expliqué, il s'agit moins d'une fracture que d'une entorse, une entorse si brutale que le tendon a arraché un morceau d'os. Elle a beaucoup de charisme et un beau sourire.
Elle enlève l'attelle. Le sparadrah colle, c'est difficile.
— Je peux le faire si vous voulez.
— Pourquoi, vous n'avez pas confiance?
La réponse m'atterre. A quoi est-elle confrontée au quotidien, pour me répondre ainsi alors que je propose de l'aide?
— Non, c'était juste pour aider.

Le doigt est très raide, j'arrive à peine à le plier. Très enflé, aussi.
— On va faire un pansement en se servant du majeur comme attelle. On va libérer l'articulation pour que vous puissiez plier le doigt.
— C'est amusant, quand on m'a mis l'attelle, on m'a expliqué qu'il fallait tendre le doigt pour qu'il ne reste pas plié, et maintenant c'est l'inverse, je n'arrive plus à le plier.
— Ne vous inquiétez pas, ça va revenir. Il est beaucoup plus facile de rendre souple un doigt gardé droit que de remettre droit un doigt gardé plié…
— Oh mais je vous crois. C'est très intéressant, quand on pense au temps qu'il a dû falloir pour mettre au point la méthode… (Je songe à ceux qui ont gardé des doigts pliés, et ceux qui ont gardé des doigts droits, avant qu'on ait compris le bon timing… Elle sourit, elle a l'air contente que ça m'intéresse.)
— Je vous prescris de l'élastoplaste 3 cm. (Suivent des instructions). Vous gardez le doigt attaché un mois, nuit et jour. Et quand vous reviendrez, faites une radio sans pansement.

Elle m'accompagne au secrétariat. Rendez-vous le 6 juin à 9h45.
Je paie. Carte vitale, carte bleue.
— Et la radio?
— Il vous faut une radio?
— Oui.
— Eh bien, allez prendre rendez-vous pour la radio.

Droite, droite. Rendez-vous à 8h45 le 6.

Je sors. Je prendrai le RER de 13h à Boussy-Saint-Antoine, un peu déprimée par le fait qu'il n'y ait qu'à partir du moment où j'ai parlé sèchement à la secrétaire que j'ai obtenu un peu de considération.
Je hais les gens qui ont besoin d'être maltraités pour devenir polis et efficaces.

Hamlet

Vendredi soir, représentation d'Hamlet. Après Le Misanthrope de l'année dernière, je ne l'aurais manqué pour rien au monde.

Hamlet était joué par une jeune fille dont le style et l'allure me rappellent Inès de la Fressange. Excellents Hamlet, Claudio et Ophélie.

J'écoute le texte, je m'étonne toujours autant du succès de cette pièce si décousue, je me demande dans quelle mesure Shakespeare n'a pas profité de ce prétexte pour nous servir ses thèses sur la vie (en prétextant la folie…), mais aussi de quelle troupe d'acteurs il se moquait, et quelles étaient ses opinions ou croyances religieuses en ces temps troublés; je reconnais au passage l'exergue de L'Aleph, «un espace infini dans une coquille de noix». (Et l'importance du songe, toujours. Est-ce que tout cela n'est pas un rêve d'Hamlet, un cauchemar?)

Je pense à Pierre Bayard qui m'a fait découvrir l'histoire de John Dover Wilson qui me donne envie de pleurer chaque fois que je la lis. (En 2006, en 2006, je ne pouvais pas savoir que ce nom était si églogal).

Les liaisons dangereuses

Il ressemblait à Edward Burns, un acteur très mon genre. Photo sans flash, jamais très bonne, hélas.
Ligne 12 vers 18h30.


Le chic

Lu dans Cosmopolitain de ce mois-ci.
C'est une fille qui explique ses trucs et astuces pour bâcler les corvées afin de ne pas perdre de temps: porter des pulls pour ne pas repasser, etc.
Elle termine par:

«Il paraît que j'ai une collègue qui ne se vernit que les deux orteils qui dépassent des chaussures ouvertes. Alors là je dis: total respect.»

Déception

J'ai cru que nous étions vendredi soir.

Effervescence

Journée à essayer de travailler (+ crumble à la rhubarbe + identification de Martin Kluger). Commencé à utiliser Travers Coda. Saisie d'une sorte d'effervescence, cela va profondément changer la façon de travailler. Le référencement des références multiplie les croisements (sachant que sont reprises les références dans Journal de Travers, ô bénédiction).
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