En écoutant l'un des secrétaires généraux de l'ACPR raconter les tribulations de sa fille, la colère me prend. Je pense au cousin de mon père et je me dis qu'on lui a volé sa vie deux fois.

J'avais raconté ici la mort de Daniel et plus récemment la surprise romanesque de découvrir un héritage important. Je ne sais plus si j'ai dit que cette heureuse surprise s'était évaporée: en effet, le contrat d'assurance-vie n'avait pas nommé les héritiers, et le cousin de papa, ne connaissant que mon père et mon frère, n'avait pas imaginé que cela pourrait concerner d'autres personnes. Or le généalogiste a retrouvé vingt-huit héritiers en Pologne, du côté du père de Daniel (dans notre famille matriarcale, personne ne s'était jamais préoccupé de la possible famille de son père — de même que je n'ai aucune information sur la famille de mon grand-père paternel: les grands-mères maternelle et paternelle, les tantes, ont monopolisé l'histoire familiale): l'assurance-vie est donc à partager. (J'avais alors tenté de réconforter ma mère en lui disant que ces quelques milliers d'euros, dont mes parents n'avaient pas besoin, seraient peut-être une manne miraculeuse pour quelques familles polonaises inconnues.)

Mais en sortant de conférence, la colère grondait en moi: ainsi donc Daniel, homme simple, couvé et suralimenté par sa mère, obèse, amputé de ses deux tibias, mort brûlé vif dans un incendie dont nous ne saurons jamais s'il était criminel, se voyait par delà la mort dépossédé de sa dernière volonté: transmette à ses deux cousins, sa seule famille connue, l'intégralité des économies accumulées durant sa vie solitaire et modeste.
Déjà au moment de la mort de Daniel, maman m'avait fait part de leur écœurement à découvrir comment la banque locale avait fait souscrire des dizaines de produits financiers à Daniel pour y mettre quelques centaines d'euros, assurant sans doute des commissions au chargé de clientèle qui profitait de cet homme simple.
Il fallait demander justice. Il fallait profiter des dispositions légales pour déposer une réclamation pour défaut de conseil (même ma grand-mère maternelle savait qu'il fallait désigner les bénéficiares d'une assurance-vie par leur nom!), non pour obtenir les sommes (je pense que c'est impossible sans une action en justice et je ne vais pas m'engager là-dedans), mais pour obliger la banque à répondre, pour la mettre en porte-à-faux et alerter l'ACPR.

Il restait à convaincre mon père, homme silencieux, discret, et faut-il le dire, un peu lâche; accepterait-il cette démarche, ne recommanderait-il pas le silence, l'effacement?
Sa promptitude à me fournir les documents nécessaires à une lettre argumentée me confirme ce que j'avais pressenti: sa douleur devant cette mort atroce restée inexplicable, douleur doublée peu à peu de colère, d'amertume et de désir de justice.

Bien sûr, ce qui fait hésiter, c'est l'impureté des motifs: est-ce la justice ou l'appât du gain qui motive au fond la réclamation? Comment être sûr de ses propres mouvements?
Mais il ne faut pas que ce genre de doutes empêche de demander à une banque de travailler avec rigueur. Ce n'est pas parce qu'on travaille dans une petite agence de l'Indre pour des gens humbles que cela autorise à faire n'importe quoi.