Autoroute, autoroute, autoroute. En sortant de Gießen, H. choisit de rejoindre la Pologne par Dresde plutôt que Berlin: «comme ça on évitera les bouchons autour de Berlin.»

Et donc nous eûmes les bouchons de Dresde.

Comment ne pas visiter un pays? En le traversant par autoroute. Mais on apprend des choses malgré tout. La conduite allemande n'est pas agressive, vous n'avez jamais un type qui colle à votre capot à cent trente kilomètres/heure pour que vous le laissiez passer. Les distances de sécurité sont respectées et c'est très agréable. En revanche, une voiture qui arrive derrière un camion n'hésite jamais à déboiter, à la limite de la queue de poisson (d'un point de vue français). Autre spécialité, le camion qui en double un autre dans une côte, faisant ralentir toutes les voies.

Comme d'habitude il y a des travaux, régulièrement des travaux. Imaginons des travaux sur un axe ouest-est: en France les deux ou trois voies deviennent une, et l'axe est-ouest n'est pas affecté. En Allemagne, les voies est-ouest sont rétrécies, de façon à créer deux voies rétrécies ouest-est. Bien mieux, ces deux voies sont nettement séparées par un terre-plein et les véhicules se partagent, voie de droite les camions et les voitures qui souhaitent emprunter une sortie, voie de gauche les voitures plus rapides.

En approchant de Dresde (vingt kilomètres, trente? je ne sais pas, puisque comme je ne m'y attendais pas, je n'ai pas fait attention), la quantité de camions devient phénoménale. Ils se suivent sans discontinuer sur la file de droite, c'est très impressionnant.
Le lendemain (moment où j'écris), nous tenterons une estimation: si un camion fait quinze mètres (trois voitures par camion), il faut six camions pour cent mètres, soixante camions par kilomètre. Y avait-il trois kilomètres ou dix kilomètres de camions (que nous avons doublés par la voie de gauche due aux travaux)? cent quatre vingt à six cent camions, «c'est plus une fourchette, c'est un éventail.»

Autre particularité allemande: le break. L'Allemand préfère le break au SUV, et je suis d'accord avec lui.
Echantillon sur l'aire d'autoroute où nous sommes arrêtés, près de Bautzen-Bolbritz: une Honda, une Skoda, une BMW, une Vokswagen, une Ford.

cinq breaks sur une autoroute allemande


Dresde, Görlitz, nous passons en Pologne. (Franchissement de la Neisse, ce voyage fait prendre chair à mes cours d'histoire du lycée.) Quelle limitation de vitesse? 120 km/h paraît-il, mais si c'est vraiment le cas, personne ne le respecte. Nous nous adaptons au flux.
Lorsque j'étais au lycée, le symbole de la puissance américaine était le coca-cola, l'exemple donné pour expliquer «l'offre crée la demande». Le long des autoroutes de Pologne, c'est MacDonald et KFC: immenses panneaux publicitaires dans les champs et l'une ou l'autre enseigne systématiquement associée aux stations-services.
De l'autoroute, le pays est vide, très peu de toits ou de bétail dans les champs. Forêts de pins au tronc plus foncé que les pins landais.

Abrégeons: peu avant Breslau, au croisement de la A4 et de la A8, nous jouerons de malchance: travaux, bouchons, accident, violent orage. Petit détour dans le but de couper à travers les bouchons et rejoindre l'autoroute une entrée plus loin. Détour amusant dans le village du coin sur une route pavée. Pas sure que cela ait servi à grand chose.

Notre but était Varsovie, nous avons perdu une ou deux heures sur la route, nous sommes moites et gluants, le coucher du soleil est prévu à vingt heures, nous décidons de nous arrêter à Łódź (prononcé Voutch, nous a dit mon père). Les abords de la ville sont étonnants, pleins de barres d'immeubles plus ou moins pimpantes, plus ou moins délabrées, la chaussée est déformée, bordée de flaques d'eau (un autre orage?), les trams sont rouges et jaunes. Nous suivons la route qui nous mène jusqu'à l'intérieur de la ville, nous ne savons pas où nous sommes, hauts immeubles de bureau carrés, je vois «Katedra»: «suis ça, ça nous amènera au centre».
Cela ne nous a pas amené au centre mais devant la cathédrale. Une recherche internet plus tard, nous sommes à l'Holiday Inn du coin. C'est une solution de facilité, rien de typique, mais nous avons eu une journée éprouvante et j'ai envie d'une clim et de gens qui parlent anglais. Nous nous garons dans le parking de l'hôtel, entre des voitures luxueuses surveillées par les immeubles décatis alentour. Ce côtoiement de richesses et de délabrement nous laisse perplexes. Est-ce plus sain que de rejeter les logements sociaux au loin?

Très belle chambre, bon restaurant à l'hôtel. En entamant nos dumplings (piroguie? raviolis?), H. et moi échangeons un regard: lui le mi-yougoslave, moi la mi-polonaise, nous avons le même souvenir d'enfance, le même souvenir d'assaisonnement d'une farce très fine. C'est très réconfortant.

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Journée compliquée. Sentiments compliqués envers la Pologne. Tout ce que j'en connais, c'est par Shoah de Lanzmann. La famille s'attend à ce que j'aille voir tel ou tel village où s'est marié ma grand-mère ou que je rende visite à une cousine, mais ce que je souhaiterais, c'est une ou deux semaines, seule, de pélerinage, à ressasser l'éternelle question sans réponse: «que s'est-il passé?»
Après seulement je pourrai m'occuper des vivants.
Mais je ne peux pas expliquer ça, ça ferait de la peine ou même, ça vexerait.