Dimanche, j'ai assisté à la convention municipale du Modem à la maison de la Chimie. Je n'ai aucune expérience de ce genre de rassemblement et donc aucun élément de comparaison, mais j'ai été étonnée que l'ambiance soit aussi chaleureuse, idéaliste, parmi des gens heureux d'être là. Pas de mépris, de regard hautain, de la part de notabilités installées depuis longtemps, en train de discuter de budgets à obtenir auprès d'amis bien placés, mais des échanges d'expériences et d'idées : «Et vous, vous faites comment pour...?». Mon cynisme me fait me demander combien de temps cela va durer, mais comme cela semble être l'inquiétude d'un certain nombre de participants, on peut supposer que cela durera un peu plus longtemps qu'ailleurs.
Mes enfants sont unanimement d'accord pour trouver cet orange ridicule, mais c'est très gai, cet orange. Une écharpe en polaire orange à deux euros, cela ne se refuse pas.
Après avoir nommé toutes les têtes de liste présentes dans la salle, ce qui était un peu fastidieux mais joyeusement géographique, François Bayrou a appelé à la tribune une vingtaine de candidats. Il était à la fois émouvant et encourageant de constater souvent l'inexpérience et l'enthousiasme des nouveaux venus, "les adhérents de mai", comme les a appelés un intervenant. Je pensais aux origines de la République, je me disais que cela devait ressembler à cela, chaque fois que dans l'histoire des gens se sont réunis pour essayer de changer les choses, le cœur plein d'utopie, ne sachant pas trop par quoi commencer mais retroussant leurs manches pour se frotter au terrain et à la réalité.
Trois points à propos des interventions des candidats:
Une opposition impensable
Un nombre étonnant de candidats a raconté la même expérience. Se présentant dans des villes tenues par le même maire ou la même tendance politique depuis des dizaines d'années, ils rencontrent la même surprise et la même incompréhension de la part des équipes en place: «Comment osez-vous?» est la phrase qui revient. Ces maires ont l'habitude de ne pas être contestés et le prennent comme une attaque personnelle, et non comme le jeu naturel de la démocratie, qui prévoit la possibilité de donner le choix aux électeurs.
C'est une constatation vraiment étonnante: nombre de maires ne conçoivent pas qu'on puisse s'opposer à eux. Je vais donner quelques noms et citer quelques interventions illustrant cet état de faits, dans l'ordre de montée à la tribune:
- Michel Fanget, tête de liste à Clermont-Ferrand : il n'y a pas eu d'alternance dans cette ville depuis la dernière guerre.
- Clotilde Ripoull à Perpignan : La même famille tient la ville depuis cinquante ans. La presse locale est manipulée/manipulatrice. Les sondages intervenus trop tôt ont été défavorables mais ce qui prouve que la liste MoDem inquiète, c'est que la gauche comme la droite lui ont fait des propositions de liste commune.
- Mireille Alphonse à Montreuil : le même parti est au pouvoir depuis 1935 et le même maire depuis 1984. (Mireille Alphonse a fait rire toute la salle en ajoutant :«Et ce maire a intitulé sa liste: "Montreuil en plein élan".») Ce maire se targue d'avoir été élu avec 100% des voix en 2007 suite à un accord de désistement avec les socialistes: il n'y avait plus d'opposition. C'est un score de république bananière. (Avouons-le, j'ai adoré l'intervention de cette dame, son émotion, sa voix qui s'affermissait peu à peu, son humour, son punch, son idéal. J'aimerais beaucoup pouvoir revoir son intervention, qu'elle soit déposée sur Youtube ou Daylymotion).
- Marie Darves-Bornoz à Bagneux : la ville est communiste depuis soixante-treize ans. Les élections se jouent traditionnellement entre gauche et droite extrêmes.
- Christophe Ginisti à Issy-les-Moulineaux : le maire sortant, voulant faire de l'humour, lui a demandé: «Que venez-vous faire sur mes terres?» Le maire sortant se présente comme un centriste "historique" («préhistorique», a ajouté perfidement Ginisti), mais il n'est pas démocrate: il n'existe pas de salle municipale disponible pour tenir des réunions politiques. Deux salles sont disponibles à la maison des Associations pour cent associations répertoriées.
- Caroline Ollivro à Rennes : le maire est le même depuis 31 ans. A Rennes les médias jouent le jeu, et les débats hebdomadaires dans la presse ou au niveau national ont lieu entre les trois familles politiques: gauche, droite, centre.
Un accueil chaleureux
Je ne sais plus lequel des intervenants a eu ces mots: «Nous vivons une campagne heureuse.» Tous les candidats ont raconté à peu près la même chose : la gentillesse de l'accueil sur le terrain (marchés, etc), l'intérêt de la population, son écoute. La liste MoDem est une liste qui "ouvre l'esprit", dans le sens où elle laisse entrevoir qu'il est possible de bousculer l'ordre établi et le fatalisme du «ça ne changera jamais». La population ne présente aucune agressivité à l'égard du MoDem mais une grande curiosité. Dans certaines villes où il n'y a pas eu d'alternance depuis longtemps, il devient un recours, l'instance qui permet de s'exprimer, de dire ce qu'on a sur le cœur.
Des convictions simples
Les listes MoDem ont en commun d'être variées, en âge, en origine politique, en origine géographique. C'est une sorte d'appel aux hommes de bonne volonté. (Ceci est purement subjectif: c'est ainsi que je le ressens. J'ajouterais bien, mon pessimisme reprenant le dessus: «Pouvou que ça doure». Mais il faut bien prendre le risque d'être optimiste de temps en temps.)
Le credo et leitmotiv de leur programmes est "rendre la vie (quotidienne) plus facile aux gens" (transport, crèches, logement, urbanisme), et c'est l'enracinement de cette conviction qui fait que les élections municipales dans l'esprit MoDem sont forcément un enjeu local.
Les listes présentent une forte croyance en la démocratie locale (elles proposent souvent le referendum d'initiative populaire).
J'ajoute en PS les intervenants que je n'ai pas cités:
- Gilles Artigues à Saint-Etienne
- Olivier Henno à Saint-André
- Eric Chevee à Chartes
- Jean Luc Forget à Toulouse
- Jean-Marie Vanlerenberghe à Arras
- Olivier Gacquerre à Béthune. (Le maire sortant, c'est Jacques Mellick.[1])
- Grégory Suslamarre à Boulogne/Mer
- Eric Lafond à Lyon
- Benoît Blineau à Nantes
- Chantal Cutajar à Strasbourg
- Corinne Lepage dans le 12e arrondissement à Paris
- Jean-Luc Benhamias à Marseille
- Marielle de Sarnez à Paris
- Jean-François Mortelette à Blois
- Yanick Leflot-Savain à Amiens
- François-Xavier de Peretti à Aix-en-Provence
Intervention de François Bayrou
La matinée s'est terminé par un discours de François Bayrou.
Je n'ai pas l'impression que la télévision a repris les analyses et les phrases qui m'ont fait sourire. Grâce à la retranscription en ligne, je fais un copier/coller:
- le choix entre les deux tours de l'élection (avec le beau refrain rhétorique «je n'aurais pas imaginé»):
J'ai vécu intensément, on va le dire comme cela, parfois douloureusement, la période qui nous a séparés de l'élection présidentielle et, si je puis vous en faire la confidence aujourd'hui, dans ma vie d'homme, personnel, dans ma vie politique, je n'ai jamais connu de moment plus difficile que l'entre-deux tour de l'élection présidentielle de 2007.
J'avais évidemment avec le programme de Ségolène Royal de graves et profondes contradictions, notamment en matière économique, en matière de rôle de l'État, sur le SMIC, sur les 35 heures. J'ai appris d'ailleurs par la suite que si j'étais en désaccord avec son programme, elle ne l'était pas moins ! Mais cette contradiction ajoutée à l'état du parti socialiste, à l'inspiration du parti socialiste rendait évidemment, pour moi, impossible tout rapprochement, même si j'ai accepté un débat avec elle et même si, sur certains sujets en matière d'institution, il y avait évidemment des points de rencontre.
D'autre part, il apparaissait aux yeux de tous y compris aux miens, depuis longtemps, que ce deuxième tour était joué à l'avance. Tous les sondages, toutes les enquêtes, et la seule observation du face à face entre les 2 candidats suffisait à donner cette certitude.
En désaccord avec le programme de la candidate socialiste, considérant la victoire assurée de Nicolas Sarkozy, voyant la plupart des élus présents dans nos rangs à l'époque se précipiter pour monter dans le train du vainqueur, tout le confort, la prudence, le zèle de mes amis, le mouvement naturel des choses politiques, tout me conduisait, sinon au soutien, du moins au silence, dont nul ne m'aurait fait grief et dont beaucoup se seraient féliciter.
Mais je savais, avec une certitude intérieure qui ne s'est jamais démentie, pour l'avoir beaucoup observé depuis des années, que, tant du point de vue des choix politiques que de sa conception du pouvoir et simplement de la vie, Nicolas Sarkozy bien loin de résoudre les problèmes qui se posaient au pays allait se trouver en contradiction avec les attentes de la France et les exigences de l'heure.
Je n'avais avec lui aucune incompatibilité d'humeur contrairement à ce que l'on a écrit, mais je voyais la France, ses attentes, ses besoins, ses espoirs, et je le voyais lui, ses soutiens, ses méthodes, ses fascinations et je me disais : cela ne pourra pas aller.
C'est au terme de ce débat de conscience que j'ai conclu que mon devoir était de dire à mon pays, d'une manière ou d'une autre, à mes compatriotes qui venaient de me manifester une aussi large confiance, le fond de ce que je pensais. J'ai ainsi prononcé la phrase que l'on m'a tellement et si souvent reprochée dans nos rangs, par tant d'experts et par tant de sages, j'ai dit : Je ne voterai pas Nicolas Sarkozy.
Pendant ce long débat de conscience, je n'ignorais rien de la tâche qui, dès lors, s'imposerait à nous et du chemin de solitude dans le monde parlementaire qu'il nous faudrait suivre un moment, mais je voulais que cela fut dit, à ce moment, en notre nom, au nom d'une partie du peuple français, une fois pour toutes même si je devais être seul à le dire. (Applaudissements...)
Il y avait une part des événements que nous avons vécus que j'imaginais très bien. Je savais parfaitement que les promesses faites étaient purement, simplement, strictement impossibles à honorer. Elles étaient, et ce n'est pas peu dire, plus impossibles encore à respecter que ne l'avait été aucun des trains de promesses fait par aucun des prédécesseurs de Nicolas Sarkozy à la présidence et, Dieu sait, pourtant, qu'il y en a eu pour n'être pas avare de promesses ! Mais celles-là étaient strictement impossibles à respecter étant donné leur accumulation, leur somme et l'état du pays.
Cela, c'était la partie attendue de l'évolution des choses sur laquelle aujourd'hui les yeux s'ouvrent sans qu'il puisse y avoir en rien la moindre hésitation d'interprétation de la part des citoyens.
J'étais pour le reste profondément inquiet, mais je dois dire que mon inquiétude n'allait pas jusqu'à imaginer que les choses iraient aussi vite. Je n'aurais pas imaginé la nuit du Fouget's. Je n'aurais pas imaginé l'utilisation perpétuelle de la vie privée, le goût affiché pour le showbiz, le luxe, le train de vie à grandes guides. Tout cela qui est, selon moi, en contradiction directe avec la France, en tout cas, avec ce que je crois être l'esprit, la tradition et l'âme de la France.
Je n'aurais pas imaginé tant d'incertitudes et de contradictions sur la politique suivie, les dépenses pour une clientèle électorale quand il aurait fallu économiser, l'intervention continue sur tous les faits divers et, chaque fois qu'il y a un fait divers, l'annonce d'une loi alors que la loi précédente n'est pas encore appliquée, les pas en avant et les pas en arrière, les commissions de toute nature, auxquelles on assure, à toutes sans exception, qu'on suivra à la lettre toutes leurs recommandations et qui sont toutes démenties, desquelles ont le dos tourné, les annonces retentissantes de plans multiples et variés, les Grenelles de toute nature, le brouillage de toutes les pistes sous les yeux effarés, je ne sais pas si vous les avez vus pendant le Plan banlieue, j'ai regardé Nicolas Sarkozy et ceux qui l'entouraient, les ministres à la tribune, les yeux effarés des membres de ce qu'il est encore convenu d'appeler le gouvernement en attente du seul événement qui compte, le remaniement annoncé qui aura lieu après les élections municipales.
Je n'aurais pas imaginé que l'on aurait en même temps la mise en cause des piliers de notre pays et de notre République, la liberté, l'indépendance de la presse, d'un côté, et la laïcité, de l'autre.
Je n'aurais pas imaginé la cour, dans l'acception la plus monarchique et ancien régime de ce terme, la cour avec ces pompes et ses ors, le perpétuel concours de servilité, l'exposition publique des conseillers qui s'expriment comme s'ils étaient membres du gouvernement, élus de la majorité et l'exposition publique des conseillers, les grâces et les disgrâces des favoris -il paraît qu'il y en a une qui est en cours- et, au bout du compte, la vanité, la vacuité de tout cela qui n'est pas autre chose que du sable qui file entre les doigts de sorte que la question qui se posera nécessairement quand on fera le bilan très vite est une question qui n'est ni de gauche ni de droite ni du centre ni une question de majorité ni une question d'opposition. Ce n'est même plus une question de projet de société, c'est une question nationale : qu'en est-il dans tout cela de l'image de la France et de la réalité de la société de notre pays ?
Je n'arrive pas à retrouver la petite phrase assassine concernant les maires UMP qui tentent désespérément de se démarquer de Sarkozy. Tant pis, elle a sans doute été prononcée à un autre moment.
Bien entendu, ce que j'ai copié est anecdotique, dans le sens où cela ne fait que synthétiser une analyse que tout le monde peut faire aujourd'hui (ce qui est intéressant à la rigueur, c'est que l'analyse date de mai dernier).
Le plus important est sans doute cet appel à faire de la politique (des choix et de la gestion) ensemble. L'opposition doit être associée aux choix municipaux, c'est une idée qui est revenue dans le programme de plusieurs candidats. C'est à nouveau un appel aux hommes de bonne volonté (aux hommes "compétents", dit Bayrou, moins utopiste).
In petto, je me demande si cette idée est compatible avec une vraie démocratie: est-ce qu'elle ne consiste pas peu ou prou à annihiler toute opposition? Mais bast, nous sommes aujourd'hui si loin de ce gouvernement du bon sens et de la bonne volonté qu'il faut sans doute commencer par le mettre en place avant de prendre la mesure de ses défauts pour chercher à les corriger.
Il y a d'autre part l'idée qu'il faut changer les institutions, ce qui m'inquiète toujours beaucoup. D'un autre côté, le monde a beaucoup changé depuis 1958, les rapports à la hiérarchie et au pouvoir ne sont plus les mêmes, et internet (l'internet collaboratif) ne va qu'amplifier ce mouvement dans les générations futures: des institutions dessinées aussi clairement pour soutenir le pouvoir d'un seul homme sont sans doute à revoir, au moins pour permettre un meilleur choix de cet homme (car le moins que l'on puisse dire, c'est que de ce point de vue-là, cela fait des années que le système ne donne plus satisfaction).