H. a licencié un collaborateur. Motif officiel: refus d'obéir aux ordres.
Motif détaillé qui ne sera pas exposé davantage à moins que cela ne soit nécessaire (inspection du travail, prud'hommes, etc): refus de travailler aux adaptations nécessaires d'un logiciel suite à la possibilité de se marier pour les homosexuels. Ses convictions religieuses le lui interdisent, argue le collaborateur.
Personne ne me demande mon avis, mais je vais quand même le donner (c'est un peu le principe du blog).
Tout sonne faux dans ce que je pense, parce que mes convictions sont réactionnaires et mes conclusions progressistes. Entre les deux interviennent mes amis, mes connaissances, des cas particuliers qui font que je suis prête à reculer sur tous les fronts.
Je suis bien embarrassée, je trouve cette histoire de mariage stupide, parce que rien à faire, le mariage reste pour moi un instrument historique d'oppression [1] et je trouve étrange de le désirer.
D'un autre côté je sais que Matoo en rêve défend l'idée pour des raisons d'égalité de droits, et l'idée de voir Matoo et Colin en smoking blanc comme le Capitaine et le Lapin (non, ils ne sont pas en smoking blanc, j'ai fantasmé ou confondu) en train de se jurer fidélité et assistance (et c'est peut-être le tout du mariage: assistance, plus encore que fidélité: vieillir ensemble, le plus difficile, le plus important, ce qui fait que tout cela est une aventure et non pas un encroûtement) me réjouit et je ne vois pas très bien au nom de quoi le leur refuser.
Mariage
Il faut bien entendu distinguer mariage civil du mariage religieux.
Concernant le mariage civil, j'entends certains dire que le PACS existe. Certes, mais il est faux de croire que cela donne les mêmes droits que le mariage. Je ne vais pas faire la liste des différences juridiques parce que je ne les connais pas, mais rien n'empêche une entreprise privée de faire une différence entre ses clients mariés ou pacsés ou en union libre.
Je peux citer mon propre métier. Je travaille dans une mutuelle de santé qui intervient en surcomplémentaire pour les salariés de sept filiales du groupe, la complémentaire étant assurée par le régime de branche. J'ai eu la surprise d'apprendre que cette complémentaire, qui couvre tous les salariés des sociétés d'assurance, n'accorde aucun droit aux Pacsés. Seul le conjoint marié[2] est reconnu et remboursé de la même manière que le salarié cotisant.
D'autres citeront des circonstances douloureuses, par exemple les conjoints homosexuels ne pouvant accéder au lit de leur ami hospitalisé au motif «qu'ils ne font pas partie de la famille». (J'espère que cela a tendu à disparaître avec l'expérience du sida.)
Etc, etc. Si le mariage est une façon élégante et rapide de résoudre d'un coup tous ces dysfonctionnements, allons-y. Je songe qu'il sera accompagné de son cortège de tristesses, divorces et désillusions, mais peut-être est-ce inévitable.
Concernant le mariage religieux, je ne peux parler que du mariage catholique. (Les protestants s'y opposent moins, car chez les réformés le mariage n'est pas un sacrement. Les autres religions je ne sais pas.)
L'Eglise est contre et je ne le discute pas. J'accepte sans discuter, comme j'accepte que les femmes ne puissent pas administrer les sacrements ou devenir jésuites, que les divorcés soient excommuniés, etc, etc. (Finalement être catholique, c'est souvent s'entendre dire non, et c'est sans doute structurant aussi.) Accepter ou ne pas se dire catholique, puisque c'est justement cette acceptation qui définit une appartenance (ce qui ne veut pas dire qu'une fois le porte-parole de l'Eglise ou de l'évêque rentré dans ses appartements, la discussion ne reprend pas et que le travail d'articulation autour du mot "amour" ne bat pas son plein).
Ce qui me fait sourire, c'est que l'Eglise se retrouve face à son ambiguïté en ce qui concerne le mariage: ce qu'elle veut régir en réalité, c'est qui s'unit à qui[3] et combien de petits catholiques (le plus possible) sortiront de cette union — un enjeu de pouvoir, en somme; mais ce dont elle nous parle désormais quand il s'agit de mariage, c'est d'amour, le mariage comme sacrement étant censé représenter l'union de l'Eglise et du Christ: quand deux personnes viennent lui dire qu'elles veulent se marier devant le Christ parce qu'elles s'aiment, au nom de quoi peut-elle le leur refuser?
Un prêtre rencontré lors d'un colloque fin octobre à qui je faisais remarquer qu'il s'agissait de mariage civil et que l'Eglise n'était pas concernée m'a répondu:
— Mais quand ils auront le mariage civil, ils voudront le mariage religieux!
— Et alors?
— Et alors ils mettent en danger la famille!
— Ah non, ma famille n'est pas du tout mise en danger par le mariage homo.
(Cette idée m'a parue extravagante, et en y réfléchissant je me suis dit que c'était plutôt le contraire. Enfin non, il ne s'agit ni du contraire ni du mariage, mais la fréquentation d'homos, seuls ou en couple, enrichit ma famille et lui permet de faire cette expérience fondamentale: on ne peut rien dire, rien savoir d'une personne avant de la rencontrer et de se faire sa propre opinion, qui ne dépend ni du sexe, de la couleur, de la religion, de l'âge, de la préférence sexuelle, mais de "parce que c'était lui, parce que c'était moi".)
Tout cela pourrait faire croire que je suis pour le mariage religieux gay. Mais non, pas vraiment. En réalité, j'ai une vraie difficulté à réfléchir au mariage. Je trouve qu'il n'a aucun sens si le divorce est autorisé. En fait je ne suis pas sûre d'être favorable au mariage hétérosexuel non plus. Si, mais avec réserve. Je demande des quotas. Les mariés se rendent-ils comptent de la galère (sens premier, bateau avec des rames) dans laquelle ils embarquent? N'y allez pas, vous êtes fous!
Adoption
Là, c'est beaucoup plus simple: c'est oui. J'ai exactement la même position pour les couples homosexuels que pour les couples hétérosexuels (oui, je parle de couple. Adopter un enfant quand on est célibataire (à moins de situations très particulières qui régularisent des situations anciennes, des situations de fait) me paraît une mauvaise idée. C'est dur, on a besoin d'être deux, ne serait-ce que pour confronter ses réactions ou ses opinions. Répondre à «Et maintenant, que faire?» est plus facile à deux.)
J'avais été frappée par la phrase: «Adopter, c'est donner des parents à un enfant, pas un enfant à des parents».
Oui à l'adoption d'enfants nés ou déjà conçus, non à la procréation assistée. A quoi bon mettre au monde des enfants supplémentaires? Pour avoir le sien, le vôtre? Mais cela est la plus grande tromperie, la plus grande illusion. Ce ne sera jamais le vôtre, il sera toujours lui, il vous échappera toujours. A tous ceux qui s'imaginent "leur" enfant comme un prolongement d'eux-mêmes, je demanderai s'ils ont l'impression d'être le prolongement de leurs propres parents.
(Et puis ce sujet-là fait ressortir mon côté féministe: la PMA, c'est se servir du corps des femmes pour faire de la recherche, avec leur consentement plus ou moins inconsciemment contraint (quand on vous demande au moment du prélèvement d'ovules, alors que vous êtes déjà sur la table d'opération: «Ça ne vous dérange pas qu'on en prélève un peu plus pour des couples stériles?», que voulez-vous répondre? Et que dire des femmes stimulées hormonalement alors que c'est l'homme qui est stérile ou hypofertile? (Combien de cancers chez ces femmes-là?) Et quel est le statut des embryons congelés? (un sacré casse-tête juridique, mais je ne peux que frissonner en imaginant des embryons issus de moi être utilisés pour des expériences scientifiques.))
Mais bien entendu, une fois encore, l'amitié me fait taire: comment ne pas être heureuse pour Rémi et sa fille Julie née en septembre?