Ce matin, après mon essai convaincant au petit déjeuner hier, je reprends des petites barquettes de pâté de foie (comme des marquettes de confiture) et m'apprête à me faire griller des toasts dans le grille-pain laissé à notre disposition.

Las, deux toasts sont déjà en train de griller.
J'attends, debout devant le grille-pain, dans un angle de la salle du petit déjeuner, pas exposée puisque dans un angle mais cependant visible puisque debout.
J'attends, c'est un peu embarrassant.
Les toasts sautent. Personne ne vient les chercher.
J'attends.
J'attends.

Que faire? Les mettre de côté sur une petite assiette et m'en mettre à griller?
Mais ils vont refroidir.
Les prendre et les remplacer par d'autres dans le grille-pain?
J'attends.
Personne ne vient les chercher.

Je les prends et en mets d'autres à griller. Je vais me rassoir et commence à ouvrir mon pâté de foie.
Un client de l'hôtel, un jeune Asiatique, s'approche du grille-pain, constate que ses toasts sont encore en train de griller et, perplexe, retourne s'assoir.
H. revient: «Je vais te dire quelque chose, j'ai un peu honte, ne te moque pas». Je raconte.
— Quoi, tu lui as volé son pain ?
— Mais non, je l'ai remplacé !
— Mais pourquoi tu n'as pas mis les toasts sur le côté ?
— Mais ils auraient été froids, je lui ai rendu service !

Il me regarde entre désespoir et fou rire. Entretemps le deuxième jeu de toasts saute du grille-pain.
— Qu'est-ce que je fais maintenant? Je les lui apporte?
— Mange tes toasts et arrête tes bêtises.
Je mange. Le client ne vient pas. Il est plus loin, en train d'éventrer un croissant pour le beurrer. Il me faut d'autres toasts, j'ai fini les deux premiers. Les mêmes questions se reposent, prendre les grillés pour les manger ou les mettre sur le côté? — à cela près que je sais désormais qui attend les toasts.

Il me faut des toasts. Je ne vais pas attendre que le client vienne chercher ceux-là et libère le grille-pain pour que je puisse en mettre d'autres à griller. Tant pis, je mets les deux toasts chauds sur une assiette et les apporte à l'Asiatique.
Il relève la tête, surpris, fait signe que non, ce n'est pas pour lui, il n'en veut pas.
Il se remet à son croissant.
Je regagne ma place en me demandant ce qui vient de se passer.

Je prends H. à témoin: «tu l'as bien vu tout à l'heure venir vérifier si les toasts étaient sortis du grille-pain?
— Oui, et surtout, quand je suis arrivé avant toi, je l'ai vu mettre les premiers toasts dans le grille-pain.

Que s'est-il passé? A-t-il oublié, l'ai-je intimidé?

J'ai mangé le deuxième jeu de toasts.