J’ai dû dormi quatre heures cette nuit: couchée à deux heures du matin (le capuccino pris au col Stelvio?), nuit entrecoupée jusqu’à ce que je pense à enlever la couette pour ne conserver que la housse, réveillée à six heures et demie en me souvenant que je voulais profiter de la piscine qui ouvre à sept heures.
Une heure plus tard j’étais encore en train de surfer sur internet.
Piscine, eau si tiède qu’on y entre sans choc, sans hésitation. Deux personnes sont déjà dans l’eau, je nage un quart d’heure jusqu’à ce qu’arrivent quatre dames aux cheveux blancs, à sept cela va devenir compliqué dans la piscine de quatre mètres de large (sur quinze de long?), quand retentit un « Guten Morgen »: un homme mince en peignoir vient d’arriver, les dames se rangent sur une ligne, il est huit heures. Je comprends qu’il s’agit d’un cours d’aquagym, j’aurais dû venir plus tôt. Je sors avec mes deux compagnons du début.

Nous prenons la route à dix heures, il faut compter deux heures entre le lever et notre départ, cela paraît incompressible sans précipitation, douche et petit déjeuner compris.
A une question de ma part, la réceptionniste m’explique que la région (le Tyrol sud, Süd-Tyrol) était allemande jusqu’à la seconde guerre mondiale, et que les gens parlent autant italien qu’allemand. Je me demande si cela génère du ressentiment. En tout cas, toutes les enseignes se présentent dans les deux langues.

Direction Toblach, toujours en évitant l’autoroute. Il fait idéalement doux. Nous suivons un torrent aux eaux brunes qui contraste avec les cours d’eau d’un jade pâle d’hier. Les travaux sur la route sont très nombreux. Assez soudainement le paysage change, il n’y a plus d’arbres fruitiers mais des forêts de feuillus. L’horizon s’élargit, les montagnes reculent, les églises au clocher très effilé et couleur tuile se ressemblent toutes, d’un village à l’autre. Nous entrons dans les Dolomites.

Arrivée à Toblach à midi, Mahler-Stube inmanquable quand on arrive de l’ouest. Instruite par l’expérience d’hier j’ai fait quelques repérages et nous prenons deux billets pour le parc zoologique: la cabane de Mahler se trouve face à l’enclos des vaches écossaises. C’est réellement minuscule. Cela aidait-il Mahler à se concentrer? Trois cabanes de même type, de même taille, ont été des lieux de composition. En 1908 cela devait être très silencieux, hors du monde. Sur les murs de la cabane sont répertoriés les dates de composition ses œuvres, les dates de ses affectations aux différents orchestres. C’est très impressionnant de se dire que Mahler a fait un aller-retour Toblach-New York par an trois ans de suite, en bateau et sans doute en train.
Nous tournons dans le parc qui nous emplit de cette tristesse vague à voir enfermés des animaux destinés à être libres — et la tristesse se fait plus poignante pour les carnivores voués normalement à la chasse et qui s’ennuient désespérement.

Nous ne déjeunons pas sur place car la foudre a grillé l’appareil à carte bleue mais en ville; puis nous reprenons la route.
Nous passons en Autriche sans même nous en apercevoir. Les arbres changent de nouveau, il y a de plus en plus de conifères. Nous prenons une route parallèle à la route principale (la route 100), de l’autre côté du massif bordant la 100 au sud. C’est très vert, très joli — l’itinéraire choisi par les motos. Nous en tirons une règle: s’il n’y a pas de moto sur la route que vous suivez, changez de route, trouvez celle des motos, elle sera plus jolie, plus « pitto », diraient les cartographes de Michelin (les routes bordées de vert).

Nous abordons le lac Wörthersee par la rive sud. Nous avons le projet de trouver un hôtel au bord du lac aux abords de Klagenfurt; je tourne dans une allée parce que j’ai lu « familie » et peut-être « guesthaus ».
C’est une auberge de jeunesse. Une demi-heure plus tard (ce fut très long, la réceptionniste pleine de bonne volonté et parlant un allemand un peu trop rapide était inefficace à force de scrupules (des lits superposés, ça nous irait? et une douche commune? nous devions avoir l’air très riches, très snobs, très posh, car elle paraissait s’attendre à ce que nous refusions alors que cela m’amusait et surtout me surprenait: j’avais dans l’idée qu’il fallait être étudiant pour avoir droit aux auberges de jeunesse) nous sommes membres de l’association et bénéficions d’une chambre à un prix défiant toute concurrence.
Nous dînons sur place d’un menu de cantine pour six euros soixante-dix…
Nous dînons in extremis car le service est de six à sept heures (mazette, l’Autrichien se couche avec les poules) et qu’il est sept heures et quart. La réceptionniste si aimable s’active pour aller nous chercher le plat du jour en cuisine (pollo en italien, Kühn en allemand).
Nous dînons en terrasse au bord du lac dans le soleil déclinant.

Installation dans la chambre, retour en terrasse. Deux Hugo (à base de sirop de fleur de sureau). Pas de wifi, peu de 3G. Nous utilisons le téléphone en clé 3G pour réserver trois jours dans l’auberge de jeunesse de Vienne au nord de la ville. Il y reste trente-cinq lits, cent dix sept euros pour trois nuits à deux.

Je termine ce billet dans la couchette du haut. (Alice de nouveau en carafe.) Il faut garder la fenêtre ouverte pour la chaleur et la route est passante. Cela risque d’être peu reposant. Tant pis. Demain nous voudrions faire du kayak ou du canoë — en plus de quelques visites plus culturelles. Nous avons réservé la chambre pour deux nuits.