Les Cathédrales à Rouen

RER de 7h23, train de 8h50. Tout le charme de l'excursion est dans la conversation à bâtons rompus dont il est difficile de se souvenir.
Café, cigarettes, donjon où fut prisonnière Jeanne d'Arc.

Exposition sur le mythe des cathédrales (très belle affiche).
Test de ce que j'ai retenu, en vrac (c'est un bon test, le problème étant que plus je me souviens, plus je me souviens (je veux dire qu'au début j'ai l'impression de me souvenir de rien, puis tout revient en tirant le fil)):

- le couronnement de Charles X, les cathédrales pavoisées lors des victoires, des sacres, la bénédictions des drapeaux: «Louis XVIII n'a jamais été couronné. — C'est vrai? — Oui, de toute façon, vu sa corpulence, cela aurait été difficile, il faut s'allonger… — Ah tiens, ça va me faire un moyen mémotechnique pour ne plus confondre Charles X et Louis XVIII, le grand maigre et le petit gros… — Ça n'a pas empêché Louis XVIII de se faire faire un costume de sacre.»

- l'extraordinaire succès de Notre Dame de Paris publié en 1931 par Victor Hugo à 29 ans: «Je ne m'étais pas rendue compte qu'il avait mis les cathédrales à la mode. — Il ne les a pas mises à la mode, elles étaient déjà à la mode. Tu as vu tous les produits dérivés à la suite du livre? — Mais ce n'est pas ça, lancer une mode, je veux dire ce n'est pas provoquer des produits dérivés?»

- les dessins de Victor Hugo. Quelle force, de loin on voit tout de suite que c'est bon, on est tout surpris de découvrir qu'il s'agit de Victor Hugo en s'approchant: il était vraiment bon.

- de Staël: «J'aime beaucoup de Staël. Il y a une exposition au Havre, je vais y aller — seul s'il le faut.»

- l'incendie de la cathédrale de Reims en 1914 et son utilisation par la propagande.

- les premières photos de cathédrales — de très belles photos.

- la construction de la flèche de Notre-Dame de Paris au XIXe siècle, l'achèvement de la cathédrale de Cologne.

- la phrase «Les cathédrales ont pris la place des ruines antiques dans les tableaux.»

Nous déjeunons en terrasse d'une andouillette à la mémoire de Foucault. Visite des collections permanentes l'après-midi. C'est immense. Caravage, Véronèse («à La Palisse, ils ont un Véronèse hideux. Il ferait mieux de le vendre pour refaire le toit de la chapelle.»), nous repérons deux portraits de RC, LE David d'Angers (pensée pour Aline) (dieu que cette salle est froide), les Emile Blanche ont disparu («la dernière fois nous avons demandé aux gardiens où ils se trouvaient, ils ont téléphoné partout, personne ne le savait»). Je suis surprise par le nombre de peintres femmes exposées, avec à chaque fois la même explication sur le cartouche: elles n'avaient pas droit de suivre des cours avec les hommes; le portrait et les natures mortes leur étaient réservées car elles ne pouvaient faire des études de nus.
Achat de quelques cartes postales, détour par le Palais de Justice (Laurent connaît admirablement la ville), rafraîchissements en terrasse (un lait orgeat en mémoire de Claude et François Mauriac), pas de gâteau somptueux à photographier. Partage des vaches pour timbrer les cartes postales.

Nous rentrons, paysages de la Seine, nous attendons Zola («à l'époque, ils s'installaient à deux pas de la gare, nous ne ferions plus ça») et ratons Marly à cause d'un malencontreux train en sens inverse qui nous bouche la vue. Conversations, Patrick demande à la contrôleuse (une photographe, la chance!) de nous photographier tous les trois. Nous aurons peut-être la photo un jour, quand il aura changé d'ordinateur. Quoi qu'il en soit, nous nous souviendrons.

Mercredi morose

Comme prévu hélas, la proposition d'aller voir une exposition sur les cathédrales à Rouen se heurte à un refus catégorique: les cathédrales non merci, Rouen trop loin, préavis trop court (cette histoire de préavis me paraît particulièrement absurde: une journée est une journée, que ce soit maintenant ou dans deux semaines. C'est ainsi qu'il est compliqué d'aller au concert: «Je ne peux pas m'engager à l'avance». Oui, mais au dernier moment il n'y a plus de place, et si j'y vais seule, il est malheureux. La vie de couple est vraiment compliquée. J'ai appris ces dernières années à passer outre la mauvaise humeur que provoque l'annonce de mes absences: cette mauvaise humeur est passagère, alors que le regret de n'être pas allée ici ou là-bas est durable. Cela demande cependant du courage car il n'est jamais si simple de faire de la peine — même si cette peine nous paraît illogique puisqu'elle serait simple à éviter en venant avec nous. C'est ici que l'affirmation «je veux être avec toi» montre sa duplicité: non, pas "être avec toi", mais "que tu restes avec moi", ce qui n'est pas tout à fait la même chose, et consiste peu ou prou à enfermer l'autre au prétexte d'attachement — qui n'a jamais si bien porté son nom. Je ne peux m'empêcher d'y voir une forme de caprice — puisque la peine serait évitable en m'accompagnant — si vraiment l'important était d'être avec moi.)

Je pars au marché un peu démoralisée. Je passe à la librairie, erre longuement, des titres m'intéressent mais chaque fois que j'ouvre un livre l'écriture me paraît pitoyable, sans force. A l'étage m'attend une mauvaise surprise: le rayon de poches a été réduit au quart pour laisser la place à des mangas et un présentoir de CD Hamonia Mundi. Ce rayon de poches était le seul intérêt de cette librairie. D'un autre côté, je n'ai aucune raison de me plaindre puisque je n'achète pratiquement rien ici. Je pars avec La fin de l'homme rouge et un Pouy, Samedi 14, en présentoir à la caisse, achat d'impulsion pour vérifier ce que je pense de Pouy.

Je le lis dans la journée. Décidément ce n'est pas mon genre. Seule idée intéressante, les scandales politiques à répétition actuels comme nouveau mode d'action anarchiste.

Le soir Les canons de Navarone pour revoir la Grèce. C'est exactement cela, paysages et visages. «Pourquoi moi? — Parce que vous avez de la chance.»
C'est effectivement important.

Le pied

Quand O. avait vu un ostéopathe en novembre dernier, celui-ci lui avait dit qu'il avait une jambe plus courte que l'autre et qu'il lui faudrait sans doute des semelles. Mon beau-frère nous a donné en mars l'adresse de son kiné, qui travaille pour de grands clubs de sport et l'INSEP: «il a changé ma vie, depuis je n'ai plus mal au dos».
Nous avions rendez-vous à midi. «Mais pourquoi vous vous habillez? — Parce que c'est dans le 17e.»
En voyant la salle d'attente, O. commente en souriant: «Ah oui, je comprends pourquoi vous vous êtes habillés».

Un examen sur une planche électronique mesurant les appuis des pieds au sol montre que O. fait porter 75% de son poids sur le pied gauche, et cela sur deux orteils (au total cinq orteils supportent son mètre quatre-vingt-dix: les deux plus gros de chaque pied et un petit isolé à droite).
Le rendu à l'écran de ces mesures est impressionnant. Les semelles sont moulées aussitôt (bonne odeur de colle et de résine) et O. ressort transformé: «je ne tombe plus!» (Quand un grand dadais de quinze ans vous dit qu'il tombe quand il s'appuie sur sa seule jambe droite, vous ne le prenez pas tout à fait au sérieux. Vous pensez non pas qu'il exagère (pas le genre de O.), mais qu'il décrit mal ses sensations. Parents de peu de foi… (Je suis soulagée d'avoir fait quelque chose à temps: à qarante ans, le frère de H. vient de découvrir qu'il n'a plus de cartilages aux genoux, usés par une mauvaise position des appuis au sol.))

Pour info : si vous songez à ce genre d'examen, faites-vous prescrire une ordonnance pour des semelles orthopédiques (au pluriel) par un médecin pour se faire rembourser par la sécurité sociale (ce que nous ignorions).

Nous déjeunons dans une bonne brasserie de quartier (O Sud Ouest Café), passons à la Fnac m'acheter un écran (depuis que j'ai mon portable j'ai beaucoup de mal à écrire quoi que ce soit de long, l'écran est petit lorsque j'ai besoin de nombreuses fenêtres ouvertes) et allons voir Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu? que O. et H. n'ont pas vu. C'est fou le nombre de films que je vois deux fois, une fois pour ne pas prendre le risque qu'ils disparaissent des écrans avant que nous nous décidions à y aller et une fois parce que les autres veulent le voir.

Vers minuit je passe sur FB pour découvrir que Laurent m'invite à aller voir une exposition à Rouen jeudi ou vendredi. C'est un court préavis pour H. Bon, on verra demain.

Retour à l'ancienne configuration

Il a un an, nous avions remonté l'ordinateur des enfants du salon à ma place, dans l'idée de pouvoir surveiller les temps de jeu le soir.
En pratique, cela a surtout conduit à ce que je n'ai plus d'endroit où me poser pour rédiger un billet ou une dissertation (d'où le squatt de la chambre de ma fille) et à nous empoisonner les week-ends par les cris des jeux en ligne en cours .

L'ordinateur est donc redescendu dans le salon, au grand soulagement des enfants et au mien. Désormais j'ai retrouvé ma place!

Barbecue de blogueurs devenus plus ou moins barbecue de Cruchons

Il y a bien longtemps c'était une tradition de blogueurs. Puis brouilles, malentendus, FB, déménagement et voisins pénibles aidant, elle s'est estompée.

A la faveur d'une conversation FB se prolongeant tard dans la nuit, j'ai lancé une invitation, et c'est ainsi que le barbecue s'est tenu chez moi, non sans que l'instigateur historique du barbecue ne se soit désisté et que nous nous retrouvions plutôt entre Cruchons (ie, lecteurs des Églogues de RC), à quelques transfuges près.

Soleil, côtelettes d'agneau (de contrebande), vins blanc, rosé, rouge, chats, chien, tomates, fraises, framboises, kougloff, macarons, Labiche, Dostoïevski, Chouraqui réécrivant la Bible (c'est gonflé), Jeeves (ou pas Jeeves?)…
Moins de cinéma et de Wagner que je n'aurais pensé.

Se souvenir: ne pas lire le début de Surveiller et punir (je me souviens de l'horreur de Jean Puyaubert pour le supplice de Damien racontée dans Du sens), commencer directement à la page trente, environ.

J'ai eu chaud, mais heureusement je possédais la bonne marque de rhum: examen réussi (enfin presque: je n'avais pas de sucre roux (normal, nous sommes toujours en rupture de sucre chez nous. Il nous arrive de faire des gâteaux en ouvrant des sachets de sucre récupérés dans les cafés, cinq grammes par cinq grammes: nous oublions toujours d'en acheter quand il n'y en a plus, persuadés que nous sommes de ne pas en utiliser)).

— Que penses-tu du rhum arangé?
— C'est le rhum pour les Blancs.

— Je n'achète jamais en librairie, les libraires sont des cons!

— Gibert jaune ou Gibert bleu?

— Mais qu'est-ce qui vous fait rire en littérature? (enjeu: Tarascon sur les Alpes ou pas Tarascon sur les Alpes?)

Retour à contre-cœur

Une semaine c'est vraiment trop court, rarement j'ai éprouvé autant de regrets à partir.

Les dernières cartes postales dans la cage à oiseaux qui sert de boîte aux lettres sur le comptoir de la réception, une dernière baignade en regrettant de ne pas en avoir profiter davantage, un dernier déjeuner sous la tonnelle.
Je me connecte à FB pour la première fois de la semaine; Skot s'est décommandé, Tlön demande confirmation de l'heure du barbecue. Je préviens H.
Autoroute jusqu'à l'aéroport, ça n'en finit pas, je m'endors au volant.
Embarquement très long de nouveau. Deux cartouches de cigarettes pour des collègues de H., pas le temps d'écrire et poster mes dernières cartes postales.

Regrets, regrets.

Un bébé adorable devant nous, une gosse de quatre ans qui pousse des cris stridents trois rangs devant. Les parents sont impassibles. Je pense que son frère de onze ans quittera la maison dès que possible.
Hervé est coincé dans le siège trop petit. Son voisin lui donne un conseil: «Il faut voyager sur Aéroflot, c'est taillé large, pour des Russes».

Nous sommes rentrés.

Enquête

Les questions sont ici.

1/ un ostrichpillow.

2/ Oui. Non. Je ne sais pas. Il faut voir au cas par cas.

3/ Oui.

4/ Non.

5/ Un bleu délavé, les ciels au-dessus de la Loire.

6/ Familier? Connu.

7/ Oui. Notes au crayon papier, soit au cours des pages, soit en notant les pages à retenir à la fin du volume.

8/ Oui.

9/ Où on ne se dit rien, à un point sans doute pathologique.

10/ Oui, de façon inconstante. Sinon, Google agenda pour toute la famille. Chaque semaine est imprimée au fur à mesure pour savoir ce que font les uns et les autres dans les jours à venir. Les feuilles sont affichées dans la cuisine et corrigées à la main à la dernière minute.
Et oui, je peux m'en passer.

L'Arcadie fut-elle si heureuse ?

De la terrasse devant notre chambre, je saisis le moment du lever du soleil, entre 6h29 et 6h31.




6h49. Deux barques de pêcheurs, un raclement de gorge au balcon du dessous.

H. vient me chercher: je pensais avoir une heure de plus, mon ordinateur n'a pas changé d'heure.

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21h 15. J'écris à l'arrière du van. Nous avons encore mal estimé les distances, cela fait un quart d'heure que nous devrions être à l'hôtel si nous voulions y dîner (nous sommes en demi-pension). Nous roulons contre la montre avec l'espoir que l'esprit grec étant ce qu'il est, nous pourrons malgré tout être servis.

Le but initial de la journée était Bassae.
— Mais pourquoi Bassae?
— Euh ben euh…
— Cherche pas, on ne saura pas, elle a dû lire dans un livre quelconque…

9h. Autoroute jusqu'à Megalopolis, superbe (l'autoroute, pas Megalopolis: centrale nucléaire et fils électriques), vide, coupée de péages et de tunnels. A partir de Mégalopolis, petites routes "pitto" vers Bassae. Comme l'autre jour vers Thèbes, cela n'en finit pas, mais cette fois-ci, nous sommes prévenus, et c'est vraiment très joli, sauvage, route en lacets, passagers qui protestent (la route est étroite, les virages serrés, le revêtement inégal), le copilote interprète passablement la carte mystérieuse. J'ai pris le parti de conduire "à la grecque", selon mes nécessités, par exemple ralentissant sans vergogne pour lire les panneaux en grec (le déchiffrage n'est pas rapide) ou même m'arrêtant une fois à une fourche le temps de décider de la direction.

La plus belle surprise de ce voyage est Karytaina aperçue à l'horizon. Le château sur les hauteurs appartenait au fief de Hugues de Bruyères (1209) (Ah, ce nom…!), nous dit le Guide bleu, qui précise (mais nous sommes passés là par hasard et je ne le lirai qu'après) «l'un des plus pittoresques villages d'Arcadie». Magnifique et perdu.






Nous montons vers les nuages et l'orage, quelques gouttes, nous suivons un camion chargé de graviers, je le double (j'adore conduire en montagne, c'est fun, H. est mort de peur), pause pipi, à deux pas du camion une file d'énormes fourmis noires va et vient le long d'un étroit sentier à leur mesure. Je dépose un raisin (de Corinthe) sur leur chemin, nous les observons avec curiosité.
Déception, elles ne s'y intéressent pas et le contournent. Plus tard il me faudra convenir que nous sommes déformés par les dessins animés et que nous avons vraiment cru qu'elles le chargeraient sur leurs épaules en chantant.
Un instant deux ou trois fourmis s'y intéressent, nous pensons qu'elles vont le découper et l'emporter par morceaux. Mais non. Vont-elles en référer à l'intérieur de la fourmilière? Nous ne le saurons jamais, nous devons repartir.

O. claque la portière passager avant, H. hurle.
La porte a claqué franchement, le hurlement a été immédiat, le claquement a été si franc que j'imagine aussitôt de ma place de chauffeur la main broyée, coupée. O. a claqué la porte sur les doigts de H. qui montait à l'arrière en s'aidant de l'encadrement de la porte avant. Heureusement seuls les doigts ont pris, non pas métal contre métal mais métal contre caoutchouc (le joint), la douleur est intense, doigts gourds et choc d'adrénaline; H. ne pourra pas conduire, mais rien n'est cassé. J'ai eu vraiment peur, je ne sais pas ce que nous aurions fait: village suivant pour appeler un hôpital? Retour à Mégalopolis (une heure ou plus de trajet sur des petites routes?)

Surprise en arrivant à Bassae. Le Guide bleu de 1985 prévenait: c'est le temple le mieux conservé de Grèce, mais il sera sans doute couvert d'échafaudages pour consolidation.
En fait, il est carrément bâché, couvert par un chapiteau qui ressemble à l'opéra de Sydney, et cela depuis 1987. Je ne sais s'il reverra l'air libre un jour. Ainsi, il est protégé de la pluie et de la neige (nous sommes à 1100 mètres d'altitude) et a cessé de glisser sur le sommet de la pente. Le panorama est sauvage et magnifique, les pierres du temple ravinées par le temps d'une grande beauté, veinées de rouge par des siècles d'intempéries; on éprouve à la fois une déception à ne pas le voir dans son cadre naturel et une résignation sage à se dire que c'est mieux ainsi, que c'est la condition pour qu'il soit conservé — à la fois on ne peut s'empêcher de penser que s'il a tenu deux mille cinq cent ans, il tiendra bien encore quelques siècles et que tout cela est peut-être exagéré.




Ces photos changeront peut-être.

Les cartes sur le site (les tableaux explicatifs) indiquent deux autres temples plus petits derrière la montagne, nous tentons quelques chemins mais ne trouvons pas de passages. Tant pis, il est midi (deux heures pour faire 95 km), le dénivelé indiqué sur les courbes de niveau ne permet pas d'évaluer avec justesse le temps de la promenade, les ouvriers du chantier ne paraissent pas concevoir que nous puissions chercher autre chose que les toilettes, nous abandonnons (pourtant, pourtant… Je pense qu'il suffisait de contourner la maison des ouvriers occupés à consolider le temple).

Pas de cigales à cette altitude, des chênes pour la première fois durant notre voyage, des chardons d'un mètre de haut sur le bord de la route. Les montagnes alentour sont hautes, j'apprendrai plus tard que nous avons vu le mont Lycée (mais lequel était-ce? De l'inconvénient de lire les guides après et non avant. De l'urgence de retourner voir.)

Tout le monde est de bonne humeur, nous étudions la carte pour le retour, je montre ce que j'avais envisagé (une boucle de routes "pitto" en Arcadie); H. propose de pousser jusqu'à Olympie, tout le monde est d'accord, nous repartons. Le paysage change, la végétation est plus clairsemée. La route est moins bien entretenue, des branches fouettent le camion au passage avec un bruit effrayant, je demande à O. de replier le rétroviseur.

Nous croisons un camion de pompier (un pick-up, il y en a beaucoup ici, de marque japonaise le plus souvent) en sens inverse, un serpent traverse devant mes roues, des pierres gisent sur la chaussée, à un endroit la route s'est effondrée du côté du ravin (dans l'ensemble, les routes sont bien meilleures qu'en Italie, dans les Pouilles par exemple. Surtout le conducteur grec est facile à vivre, pas vindicatif pour deux sous; savoir que personne ne va arriver en face à grande vitesse est rassurant).

Dans un village un panneau annonce "Pizza-Café", mais pendant que nous nous garons, des vieillards à la terrasse de la maison d'en face nous font de grands signes que nous n'osons interpréter comme une invitation — rien n'indique que ce soit un restaurant, une "taverna", mais une fois descendus du camion, nous devons nous rendre à l'évidence. Nous n'osons les décevoir et nous nous installons en terrasse sans savoir à quoi nous attendre.

Nous provoquons l'effervescence, j'ai l'impression d'être dans Alphonse Daudet (Les Vieux: «Un vrai coup de théâtre ! La petite pousse un cri, le gros livre tombe, les canaris, les mouches se réveillent, la pendule sonne, le vieux se dresse en sursaut, tout effaré,»). Nous sommes d'abord installés sur des petites tables rondes de café, celles-ci sont remplacées par des tables à peine plus grandes que le vieux peut à peine porter mais qu'il met sa fierté à soulever, des nappes en papier apparaissent (ce qui semble confirmer, à la réflexion, qu'ils font bien de la restauration un métier). Ils ne parlent pas anglais, mais sourient beaucoup, sont très amicaux, se font expliquer la famille (l'aubergiste d'une cinquantaine d'années a cinq enfants). Passer commande est compliqué, nous faisons signe d'apporter ce qu'ils ont; nous refusons la bière et choisissons le vin (impossible/inutile d'expliquer que je suis seule à boire si cette campagne ressemble à la française et à toutes les campagnes d'Europe: H. et C. feront semblant (et finalement non: le vin est buvable, pas trop fort, inattendu). Salade de légumes en entrée, concombres, tomates, olives et un excellent fromage au goût de roquefort (si j'avais parlé le grec j'aurais essayé d'en acheter), poulet frit (pané, cela me rappelle le sud des Etats-Unis) et frites (qui sont ce qui a le moins d'intérêt: sans doute tourisme rime-t-il avec frites, je suppose), pastèque et café.
Deux autres voitures arrivent et après avoir tenté le café/pizza d'en face (apparemment on ne peut qu'y boire) échouent "chez nous" et sont installés sous la tonnelle voisine. Nous voyons l'aubergiste disparaître dans la rue qui descend et remonter avec des provisions de la supérette locale.
Elle nous réclame cinquante euros, en hésitant, d'un air interrogatif du genre «Ça ira?». Nous avons honte, cinquante euros à six vin et café compris… Comme me le dira H. plus tard et ailleurs (alors que nous entendrons un Français très désagréable vitupérer contre les Grecs), les gens du coin ne paient peut-être que la moitié et dans ce sens-là nous nous faisons peut-être "arnaquer", mais quelle importance si ça leur permet de vivre une ou deux semaines tranquilles?

Une fois rentrée, j'ai tenté d'idenfier le village et la maison: c'est à Petralona en Arcadie. Et si vous voulez y passer, je mets en ligne la photo-satellite:





Nous reprenons la route, un peu étonnés de ce que nous venons de vivre et sans très bien le comprendre: est-ce que ces gens font vraiment profession de restauration? Mais il n'y avait même pas d'enseigne à leur maison! Croisons-nous sans le savoir d'autres endroits où nous pourrions nous arrêter déjeuner?

La route devient peu à peu plus facile et s'abaisse vers la côte. Nous reproduisons l'habituelle recherche du distributeur lié au besoin d'essence (nous ne sommes pas très doués). Nous nous perdons pour aller à Olympie et suivons le fleuve Alphée (sans le savoir, nous l'avions déjà suivi à Mégalopolis et Karytaina). La végétation a complètement changé, même le climat et la couleur du ciel paraissent différents, l'eau douce transforme le paysage et lui donne une douceur inaccoutumée après l'âpreté que nous venons de traverser.

Olympie. Nous arrivons tard, très tard (vers cinq heures?), alors qu'il est possible de passer plusieurs jours ici, sans doute. Nous visitons d'abord le musée du site (pour voir une maquette avant la visite. La différence de styles muséographiques est frappante entre Delphes française et Olympie allemande, je qualifierais les Allemands de pédagogique, avec un goût pour la reconstitution), abandonnons l'idée de visiter les musées historiques et nous nous promenons (vite, vite) sur le site lui-même, impressionnant par son ampleur et son calme. Quelle douceur, ici. A cette heure-ci il fait moins chaud, le site est désert, on est merveilleusement bien.
Je suis étonnée par l'éloignement du site de toutes les grandes villes de l'Antiquité, étonnée par cette idée un peu folle de conclure une trêve le temps d'une compétition sportive (mais alors, si l'on arrive ainsi à conclure une trêve, c'est que l'on ne se hait que relativement: pourquoi ne pas la prolonger le reste du temps?)
Une glace à l'ombre de deux énormes platane, une robe et un t-shirt plus tard, nous repartons. J'ai calculé que nous avons deux heures pour parcourir cent quarante ou cent cinquante kilomètres, route "rouge" sur la carte Michelin au un millionième, nous devrions y parvenir sans difficulté.

Nous ne tarderons pas à découvrir que la route "rouge" (n° 74) est l'équivalent des petites routes du Massif Central, celles où l'on se croise avec difficulté. Les à-pics sont vertigineux, il n'y a pas toujours de parapet, le minibus tremble dans les épingles à cheveux, c'est d'une beauté à couper le soufle. Le soleil est caché par les montagnes à l'ouest, les profondeurs des ravins sont cachés dans la pénombre, les pentes orientales sont éclairées par la lumière déclinante, il n'y a plus trace humaine dans le paysage, plus de poteau électrique ni âme qui vive.
Parfois nous croisons une voiture, et même une fois, à notre désarroi, un car (mais comment fait-il?)
Evidemment nous roulons lentement (plus tard, je me rendrai compte que le guide prévoit 45 km/h de moyenne, ce qui est honnête). Serons-nous à l'heure à l'hôtel?

Nous traversons Lagkadia avec difficulté (la route est étroite, dans chaque virage nous craignons de heurter l'arrière du minibus contre les parapets de pierre ou les voitures qui arrivent en face: mais comment un car a-t-il pu traverser cet endroit?), la ville est très animée et je regrette de ne pas pouvoir m'y arrêter, elle donne envie de rester un jour ou une semaine, le temps de comprendre comment quelque chose de si petit et si éloigné de tout peut être si populeux et vivant.

Route 111 sans remonter vers le nord (plus court à vol d'oiseau, mais nous sommes devenus méfiants: nous cherchons à rejoindre l'autoroute au plus vite), la nuit est tombée, nous avons choisi de rejoindre l'hôtel en espérant qu'ils auront pitié de nous et accepterons de nous servir (ce qui sera effectivement le cas).

Retour à l'hôtel les yeux pleins d'images, la tête pleine du regret d'être allés si vite, bien conscients que ce périple aurait pu nous prendre la semaine si nous nous étions arrêtés le temps convenable dans chaque endroit qui nous attirait.

Repos

Après la journée d'hier, nous avons programmé une journée de farniente. Je suis de nouveau réveillée à l'aube. Je m'installe sur la terrasse avec L'Idiot. En allant jusqu'au bout de la terrasse vers le nord ouest, j'ai remarqué que l'occupant de la chambre à qui j'avais fait peur le premier matin, assis sur une chaise, attend lui aussi le soleil. Nous sommes donc deux à attendre le soleil chaque matin. Je regrette de l'avoir chassé du meilleur endroit, je sais aussi que nous ne pouvons être deux au même endroit pour attendre. La solitude est essentielle.

Une fois le rite accompli, je me recouche. Je dors profondément quand H. me réveille à neuf heures moins cinq (fin théorique de petit déjeuner à neuf heures, mais c'est de la théorie). Il en restera des traces toute la matinée: yeux larmoyants (mais pourquoi? le sel?), incapacité à parler (fatigue intense à l'idée de former des mots), non-désir de me baigner…

Au petit déjeuner, je remarque une famille que je prends pour des Australiens: quatre enfants entre seize et vingt-cinq ans, blonds et très carrés, tous, les deux filles autant que les deux garçons. On dirait que les garçons ont oublié d'enlever leurs protections de football américain quand ils ont enfilé leur t-shirt.
Plus tard, en cherchant une place pour lire sur la pelouse, je remarque aux côtés du garçon qui a les cheveux longs un livre de la taille d'un petit Larousse. Qu'est-ce donc, les oeuvres complètes de Tom Clancy en version reliée? Je m'approche négligeamment: Systematic Theology.
(En fait ils sont hollandais. Ça va être quelque chose, le pasteur du XXIe siècle!)

En maillot de bain à l'ombre d'un palmier j'avance dans L'Idiot. C'est bien la première fois que j'arrive à dégager du temps pour lire en vacances. Ce n'est pas du tout ce que j'aurais pensé d'après le titre, et c'est presque guilleret après Crime et Châtiment et Les Frères Karamazov. Je songe à Lorenzaccio (la ressemblance entre Lorenzaccio et A Philippovna). «Le meurtre du père et le viol de la petite fille, dit la préface de Raymond Abellio, à propos des thèmes récurrents de Dostoïevski.

Repas à l'hôtel. Pas de buffet, nous commandons des plats au bar et nous mangeons sur la terrasse entre la pelouse et la mer. Après un cocktail (de l'ouzo bleu, ouzo, curaçao et limonade), une moussaka, des calamars frits et un café frappé, j'ai pratiquement une indigestion. Sieste. Cartes postales. Dîner. Belote. Je n'aurai pas nagé aujourd'hui.

Inner peace de H. devant la mer en attendant que O. revienne avec les cartes pour jouer à la belote.


Delphes ou le tour du golfe de Corinthe

5h30. A. m'a demandé de la réveiller pour voir le soleil se lever. Une lueur rouge transparaît à l'horizon, je me recouche et vais réveiller A. trois quart d'heure plus tard. Il fait jour mais le soleil n'est pas encore visible, nous le regardons émerger derrière les montagnes. Dès qu'il apparaît, il ne faut que quelques minutes pour qu'il surgisse tout entier (calculez la vitesse de rotation de la terre, la distance terre- soleil, la taille du soleil — dont les Grecs ont connu une approximation assez tôt.)

Départ à 9 heures pour Delphes. Comme je suis copilote, je choisis de la route "verte" (comprendre: notée pittoresque (pitto) sur la carte Michelin): nous franchissons le canal de Corinthe (cette tranchée me surprendra toujours) et nous prenons à gauche pour longer la côte. Traversée de Loutraki très commerçante (plus grande cité thermale de Grèce, nous dit le Guide bleu de 1985. Lac de Vouliagméni (eau salée, et pourtant plus haut que le niveau de la mer. Ou pas? S'agit-il d'une ouverture à l'horizon? (Oui.) C'est très beau, très tranquille, lieu de vacances pour ermite aimant le kayak ou la pêche. Tout est tellement désert dès qu'on s'éloigne des villes.)

La route qui mène au phare sur le cap Perachora est en travaux, un marteau-piqueur de la taille d'un engin de chantier (cela doit avoir un nom) est en train de ronger le bas côté. Nous passons de justesse avec le minibus (j'ai juste le temps de rabattre l'oreille (le rétroviseur) de mon côté), le plus inquiétant étant la physionomie tannée du vieux Grec nous faisant signe d'avancer: grand sourire et geste de la main (l'autre tient le drapeau rouge baissé) genre «allez-y en confiance», et soudain grimace «j'ai dit une connerie, ça ne va pas passer». «Reste dans l'axe, ne touche à rien», dis-je à H. en imaginant déjà le bruit de la carosserie contre l'engin de chantier — je ferme les yeux, c'est passé, et nous avons gagné le respect du vieux Grec: au retour une heure plus tard il fera tourner et arrêter le marteau-piqueur, nous ouvrant une voie royale.




Phare, un peu d'escalade. Comme d'habitude, nous sommes en train de prendre notre temps en début d'excursion: à cette allure, en s'arrêtant partout où j'en ai envie, sera-t-il, serait-il, possible d'atteindre Delphes aujourd'hui? Je contemple la rive en face et visualise mentalement la distance jusqu'à Delphes: c'est loin, je suis inquiète, je ne dis rien.
Nous reprenons la route, je vise Porto Germeno (Guide bleu : l'endroit où Laïos abandonna Œdipe). La route est en lacets, nous suivons une petite voiture blanche qui se trompe dans un embranchement et monte dans le village de Pisia, la route rétrécit, la voiture blanche prend peur et s'arrête, nous ne pouvons plus passer.
Il s'agit d'Espagnols qui veulent aller à Schinos. (Ils ont des amis en France qui habitent Yerres, «vous connaissez?» (c'est moins la coïncidence qui me surprend que la récurrence de ce type de coïncidences, le nombre de voyageurs rencontrant à l'autre bout de la planète un personnage partageant avec eux un point commun inattendu et familier).

La route est escarpée (épingles à cheveux) et nous avançons très lentement. Surtout, la carte est terriblement imprécise et donne l'impression de faire du sur-place. Le moral des troupes baisse dangereusement malgré la beauté de la mer et les pierres sur la chaussée qui mettent du piment dans le voyage: «Chute de pierres… Ah oui, c'est vrai.»
Nous nous arrêtons à Alepochori pour acheter de l'aspirine et boire un pot (il a été décidé, contre mon avis (j'aurais bien goûté le plat que grignotaient les trois Grecs en terrasse) de déjeuner plus tard — il est à peine midi)). Je prends mon traditionnel café frappé.
Il se confirme que les toilettes des cafés n'ont pas de verrou: si la porte est fermée, c'est que c'est occupé, et nous devons songer à ne pas la fermer en les quittant.
Nous buvons (et jouons un peu à inner peace) en terrasse en face d'un panneau indiquant Megara. Nous avons le choix: continuer à vitesse d'escargot vers Porto Germano ou prendre vers Megara une route plus importante et sans doute plus rapide? Un autre facteur entre en jeu, nous n'avons plus d'essence, et c'est ce qui nous fera nous décider pour Megara. (Je regrette de ne pas aller à Porto Germano, pour Œdipe, mais sans le dire, car bien consciente que nous allons beaucoup trop lentement (je ne suis même plus sûre que nous atteindrons Delphes avant le soir, avant la fermeture (mais à quelle heure ferme le site?). Ce n'est qu'une fois rentrée en France que je me souviendrai: Porto Germano, c'était la plage où je me baignais l'année dernière, lieu mythique sans que je le sache.)

Problème imprévu: le pompiste standard (ie hors des abords d'Athènes) ne prend pas la carte bleue (nous arriverons à cette conclusion après quelques autres expériences). Nous voilà à faire nos fonds de poche et ceux des enfants pour réunir péniblement cinquante euros. L'essence coûte le même prix qu'en France. Le pompiste nous sert (comme en Italie), il ne parle que grec mais réussit à nous demander la composition de la famille (sont-ce nos enfants? une question qui reviendra souvent) et si nous sommes allemands. Devant notre dénégation, il fait mine de viser avec un fusil et tirer en disant «Merkel, poum!» S'en suit un ou deux mots ébréchés signifiant que les temps sont très durs. Je regrette vraiment de ne pas pouvoir faire le plein chez lui, c'est trop bête. Nos euros lui auraient été utiles.

Direction Megara sud-est, puis est vers Athènes, puis plein nord vers Thèbes. La route est "rouge" sur la carte mais tortueuse en réalité, le revêtement est lisse mais non plan, comment dire? il semble pencher comme du liquide épais dans un verre, vers l'amont, l'aval ou les bas-côtés de la route, selon les moments. C'est la seule route et nous suivons ou croisons de gros camions. Heureusement que la conduite grecque est bon enfant, sans agressivité. Nous progressons lentement (toujours cette carte au millionième, nous n'avançons pas) et décidons d'aller jusqu'à Thèbes pour déjeuner puisque nous n'avons plus d'argent liquide.

Thèbes est dans une plaine et c'est laid (mer ou montagne: la plaine grecque est laide). Déjà en 1985 le guide évoquait une "cité naufragée". Comme il est étrange de voir dans cet état la ville d'un des rois les plus célèbres de l'histoire du monde. On comprend bien pourquoi ce fut une ville prospère: agriculture et aujourd'hui industrie.
Nous trouvons un distributeur (après avoir demandé notre chemin dans une pharmacie) qui au grand étonnement d'H. propose trois cents euros comme retrait minimum (peut-être parce que les Grecs ne font plus confiance aux banques et paient tout en liquide?) Nous déjeunons dans un kebab (si si) et reprenons la route. Suis-je la seule à douter de notre capacité à atteindre Delphes avant le soir?

Direction plein ouest, il est trois ou quatre heures, c'est agréable, peu à peu la route s'élève, («si si je vous assure, c'est une station de ski, vous allez voir»)— je ne reconnais rien et pourtant c'est bien la route prise l'année dernière. Ce n'est qu'en arrivant à Arachova que je reconnaitrais le village si étroit («non, tu plaisantes, vous êtes passés ici en car?» «oui, c'était un peu compliqué») et si touristique, avec le même regret de ne pas avoir le temps de nous arrêter cette année non plus: j'aurais bien acheté un poncho en poil de mouton ou une tunique de coton.

Delphes. Il est cinq heures environ. Nous visitons le musée d'abord, pendant qu'il fait encore chaud. Anecdote: une gardienne interdit à un jeune homme de photographier son amie devant le sphinx: les photographies des objets sont autorisées, mais pas les photographies de personne devant les objets. Quel raffinement.
Quand nous sortons, le soleil est caché par les montagnes à l'ouest. Le site est encore plus beau à cette heure-là, les colonnes se détachent sur un ciel d'un bleu profond. Je photographie une fleur encore ouverte dans l'ombre d'un mur en pensant à Monsieur Pic.




Conciliabule, le même que ce matin: quel chemin prendre, rejoindre l'autoroute au plus vite au nord de Thèbes ou prendre vers l'ouest pour passer le pont de Patras (inconnu de notre Guide bleu)? Et il nous faut de l'essence…
A ma grande surprise, c'est l'option la plus aventureuse, vers l'ouest, qui est choisie. Nous repartons, avec deux paquets de Tuc au bacon pour le goûter (il est environ sept heures).

Routes en lacets, routes plus larges qui suivent la côte, ça monte, c'est long, c'est beau, la mer, d'énormes eucalyptus, une station service (le plein cette fois-ci). Je suis longtemps les trois mêmes voitures, nous nous garons à Naupacte et choisissons un restaurant sur la plage, littéralement: la table est sur les galets. A l'horizon se découpe le pont de Patras, j'explore systématiquement le kiosque à journaux dans l'espoir de trouver une carte postale, en vain: il fait un peu épicerie, mais ne vend pas de carte postale.

Le garçon est adorable; il parle un anglais basique (je remarque que nous sommes souvent trop littéraires, nous utilisons un vocabulaire trop compliqué). Il s'étonne en nous voyant passer commande en grec en déchiffrant péniblement la carte:
— Vous lisez le grec ?
— Oui.
— Et vous comprenez ce que vous lisez ?
— Non !
Eclat de rire général.

Trop compliqué de jouer à la belote en attendant les plats, alors O. ramasse des galets pour sa propre inner peace. Deux photos, une sans flash qui permet d'apprécier le crépuscule (à 20h39 disent les données de la photo), une avec flash:




Repas simple et excellent, coucher de soleil, pastèque (pas de repas sans pastèque)… Nous repartons dans la nuit noire, il faut atteindre le pont qui brille à l'horizon. (Pour information, c'est à peu près là qu'a eu lieu la bataille de Lépante.)

Le retour de Patras à Corinthe sera cauchemardesque: autoroute sur une file tout du long (travaux d'élargissement), signalisation agressive et répétitive (flèches et panneaux lumineux), camions, nuit noire, route qui n'en finit pas, position inconfortable à l'arrière du minibus qui brinquebale… Les abords entre l'autoroute et la mer sont très peuplés, de très nombreuses lumières brillent. Bizarre, je n'aurais pas cru cela quand je regardais cette côte du phare ce matin (ce matin! comme cela paraît loin).
Nous rentrons à minuit passé. Ouf, l'hôtel est ouvert. Demain repos, histoire de profiter de la piscine et de nos lits.

Mycènes

Je me réveille tôt (toujours le syndrôme «papa, on va au zoo») et de la terrasse je regarde le soleil se lever.





Je songe à "Your Bassae better be good", pourvu que je puisse aller à Bassae, je ne sais plus d'où viens cette phrase, Journal de Travers? Je n'ai rien préparé, rien lu, j'ai amené un Guide bleu de 1985, j'ai envie de tout voir ou de ne rien faire, ça m'est égal. J'avance dans L'Idiot.

Petit déjeuner. Avant de partir, j'ai découvert Gravity Glue sur FB, et hier sur la plage j'ai ramassé sept galets.
Et donc au petit déjeuner j'ai commencé à essayer. (Les deux du dessus sur la photo des trois sont très difficiles à placer. Ils ne sont pas sur le tas à cinq.)





Nous partons pour Mycènes, en nous perdant un peu (il n'y a pas beaucoup de routes donc il est difficile de se perdre beaucoup — en revanche nous ne comprenons pas toujours les panneaux car nous ne lisons pas couramment).

Mycènes, tombe de Clytemnestre, palais d'Agamemnon. Les mineurs et les étudiants ne paient pas (ce sera ainsi tout le voyage).

C'est grandiose et c'est peu de choses : des pierres, des blocs de pierre. Il faut venir avec son imagination, ses rêves, ses lectures. C'est tout de même très étrange de se dire qu'ici se tenait le palais d'Agamemnon. Electre a toujours été mon mythe préféré (dans quelle mesure Oreste a-t-il inspiré Hamlet?)

La signalisation grecque est très légère, quelques tables de pierre qui expliquent quoi est quoi, voilà tout. Le guide indiquait qu'il fallait se munir d'une lampe de poche pour descendre au fond de la citerne, mais aujourd'hui tout le monde a son portable.
L'entrée est discrètement signalée; je sais, toujours par le guide, que la descente est périlleuse. Nous ne sommes pas très nombreux, cependant une file ininterrompue descend à tâtons l'escalier inégal taillé dans la roche. Pas de rampe ou corde à laquelle se tenir, des murs humides, pas d'indication sur la profondeur du tunnel, c'est long, un peu angoissant (si quelqu'un tombe, tous tombent). Nous rions en entendant une jeune Américaine qui remonte grommeler «ils pourraient mettre un panneau: descente inutile, il n'y a rien à voir»: comme je le disais, si l'on ne se donne pas la peine d'imaginer les esclaves descendant chercher de l'eau, les flambeaux dans la paroi, ou le système de poulie permettant de remonter l'eau, ou que sais-je encore, il n'y a pas grand-chose à voir, c'est exact, l'eau étant désormais pompée à la source pour descendre dans la vallée (nous le verrons plus tard).
Au retour, presque à la sortie, je me permets de dire à des parents d'une petite fille de six ans que la descente est dangereuse.

Musée (maquette du site: toujours commencer par le musée, cela permet d'avoir une idée du site en 3D), boutique de souvenirs (j'achète des boucles d'oreille sur le site d'Agamemnon et de Clytemnestre, je ne peux me lasser de ces noms.)

Repas au village, sans grand intérêt mais surtout très lent, ce qui finit par nous agacer. Je sors mes galets et nous tâchons de faire passer le temps sur le mode d'«inner peace» de Kung Fu Panda II. D'autres bien évidemment se moquent de moi:





Nous rentrons vers trois ou quatre heures en roulant le long de la côté très découpée. H. cherche Corfou (le port). Les enfants chantent des chansons scoutes et des hymnes de Naheulbeuk.

Sieste, piscine, mer. Je me fais enguirlander au prétexte que je suis partie trop longtemps nager sans doute à un endroit interdit. (En tout cas j'ai eu peur en sortant de l'eau à l'extrêmité de la plage: nombreux oursins visibles à travers l'eau limpide).

Départ — et surtout arrivée

A la suite d'un bug sur internet (le bus indiqué était celui du dimanche), nous avons finalement pris la voiture pour aller à Roissy (enfin, une partie d'entre nous, puisqu'à six et les bagages, deux ont dû prendre le RER).

Formalités d'enregistrement assez longues (et bruyantes. Dieu que nous sommes bruyants, j'ai honte), suffisamment longues pour que H. prenne le temps d'aller chercher du tulle gras pour O. (j'espère désespérément que O. va guérir magiquement et va pouvoir se baigner cette semaine). H. revient abasourdi, le tulle gras, ce produit magique que je considère comme l'un des basiques d'une pharmacie, est passé à 55 euros sans ordonnance… (mais que se passe-t-il dans l'industrie pharmaceutique?)

Puis enchaînement rapide (toujours cette impression que le temps se vaporise dans les aéroports) jusqu'à l'embarquement (la femme qui me demande si je comprends ce que veut dire «aléatoire» dans «contrôle aléatoire des sacs». J'aurais dû dire non). J'ai choisi Aegean Airlines parce qu'elle m'avait plu l'année dernière (les bonbons, les hôtesses); je découvre que je ne suis pas la seule à l'avoir remarqué puisque la compagnie est notée "meilleure compagnie régionale 2013".

Nous admirons le profil grec des hôtesses et écoutons les paroles du garçonnet de cinq ans derrière nous qui commence toutes ses phrases par un perçant "Papa, papa, est-ce que…". J'en déduis qu'il ne doit voir son père que pendant les vacances mais H. me dit: «Il est mort de trouille. — Tu crois?». Peu avant l'atterrissage le petit garçon annonce: «J'ai réfléchi, je n'aime pas l'avion. Papa, papa, il ne faudra pas le reprendre pour rentrer à la maison».

L'Adriatique, Athènes, je ne sais plus ce que j'ai fait pendant le vol, commencé L'Idiot sans doute (non, pas par Markowicz, dans ma vieille édition de poche).
Nous récupérons un minibus Mercedes chez Budget (le moins cher, du simple au double) et partons vers Corinthe sous l'orage. Les motards en chemisette et sans casque attendent sous les ponts que l'averse se calme. Nous découvrons avec stupeur la conduite grecque — la bande d'arrêt d'urgence sert à tout, de voie lente pour les camions dans les côtes, de voie d'accélération pour les bretelles d'accès, de voie supplémentaire pour vous inviter à les doubler… Pas de sotte compétition, les gens roulent plutôt lentement et invitent les plus rapides à doubler en se déportant sur le côté. Je tombe aussitôt amoureuse de la conduite grecque, si pragmatique et si éloignée de l'agressivité française ou italienne.

Arrivée à l'hôtel, j'ai la surprise de découvrir que la personne de l'accueil se souvient que je connais "le père Maurice". Elle se fait expliquer la composition de la famille (l'aîné et sa copine, le frère et la sœur) et nous propose sur la terrasse un appartement pour nous et les plus jeunes, une chambre à part pour le couple. La vue est magnifique.

Premier dîner. J'ai l'impression d'être dans ces Agatha Christie où Miss Marple passe ses vacances dans les îles grâce à son neveu. Un peu de gêne en croisant les gens, sommes-nous censés les voir et les saluer (en quelle langue?) ou faire glisser notre regard comme s'ils étaient transparents pour ne pas paraître inquisiteur? Quelle est la bonne distance?

Je peux désormais répondre à Hélène: oui, cela fait plaisir à H. d'être en Grèce.

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Les grillons, les cigales, les oiseaux au lever du soleil.

2/ Oui, je ne jette plus mes cigarettes, je les mets à la poubelle! (Sinon, sinon… d'une part beaucoup de choses que j'ai toujours faites (économie d'eau, d'électrécité, réutilisation des emballages, etc, en souvenir, en hommage, à ma grand-mère, à la ferme sans eau courante quand j'étais petite), et beaucoup de choses que je fais malgré tout en pensant au "mal": utiliser l'iPhone en pensant aux enfants envoyés dans les mines, acheter des œufs en pensant aux poules en batterie («Tu es complètement folle» me dit Hervé.))

3/ Oui, 26 décembre 1984, je pense. Tarot toute la nuit. Rencontré Hervé (P***, trente ans cette année!)

4/ Oui, c'est certain. Les titres racoleurs notamment, comme Pas dans le cul aujourd'hui, par exemple.

5/ Ma classe de première. La chaleureuse atmosphère que nous avions développée entre nous trente. Les profs n'avaient jamais vu ça.

6/ Non. Quand je veux quelque chose, tout devient soudain naturel, évident: une action puis une autre, enchaînement.

7/ Qu'on cuisine pour moi (courses incluses!) Je veux bien me charger de la vaisselle et de la remise en ordre après.

8/ Qu'on m'en raconte. J'aime intensément dans le film Out of Africa la façon dont la baronne raconte des histoires.

9/ Non, plus maintenant. Je n'écoute plus rien, sauf dans la voiture, ce qui passe sur France Musique au moment où j'y suis (RFM si France Musique m'agace, RFI si RFM m'agace).

10/ Que je viens de France, oui, c'est sûr.

Jeudi ensoleillé

Forte chaleur, trois ou quatre machines en conséquence.

Marché (à vélo), cuisine, j'épluche de la rhubarbe, j'équeute des haricots verts et je découpe des concombres devant Ricœur. Un peu de rangement. En fin de journée, je transbahute le bazar de la chambre de O. sur mon lit… Ce soir je vais le monter d'un étage.
Je confie à A. le soin d'étudier le guide bleu pour la semaine prochaine.

O. rentre de Corse vers neuf heures. Il est brûlé au second degré sur la poitrine (cloques). C'est impressionnant.
Les trois à la maison, ça faisait longtemps. Et donc éclats de rire et éclats de voix sur la terrasse dans la nuit qui tombe. (Après un camp scout et une colo, l'important est de les nourrir!)

Mercredi flemme

Je procrastine toute la journée. Une société d'assainissement vient curer les canalisations — la dernière fois c'était en 2000. Je passe beaucoup trop de temps sur FB avec des mauvais coucheurs (ça faisait longtemps que je n'étais pas restée dans une discussion avec des malappris, je m'amuse un peu). Tout se termine par un barbecue (non, pas un barbecue virtuel, mais une programmation de barbecue futur), ce qui est plaisant (non, pas avec les malappris, avec les potes).

C. et I. sont rentrés d'une colonie (en tant qu'animateurs) déprimante, pluie et mauvaise cuisine (mais les souvenirs racontés sont drôles).

Mardi studieux

A la casse le matin pour vendre la voiture comme épave (impossible de faire les papiers plus tôt puisque H. n'était pas là (carte grise à son nom) puis 14 juillet). J'ai oublié de préciser l'autre jour qu'on ne met plus sa voiture à la casse, on la "dépollue". *sigh*
Dans la cour, une magnifique Ford Mustang jaune à capote noire sur la plateforme d'un camion jaune, avant et aile droite violemment enfoncés. Elle ne roulera plus.

Je songe qu'il est tout de même curieux que l'achat de la maison ait coïncidé avec la destruction de ma première voiture, et que la fin du paiement de la maison coïncide avec la destruction de la deuxième…

Après-midi studieux à lire Kant, Mounier et Ricœur. L'identité narrative… Après tout, en prenant cette hypothèse littéralement, il deviendrait possible de distinguer des fonctions de Propp dans les récits de vie, voire des tropes (ce qui aurait l'avantage de rendre prévisible la fin des histoires — ou presque, selon que l'auteur est classique ou moderne… Mais qui est l'auteur?) Cela expliquerait les régularités, les ressemblances, que l'on retrouve d'une vie à l'autre. Finalement ces destructions de voitures correspondent à un encadrement, comme il y en a tant dans les péricopes bibliques. (Je vais tout de même préciser, au cas où: ce qui précède n'est pas à lire trop sérieusement, même si, même si…)


En fin d'après-midi je fais une recherche dans mes archives. Ma fille devant faire un stage "d'observation" (prendre des notes et donner un coup de main) d'une semaine dans des écuries de courses ou sur un champ de courses (appel au peuple: si vous connaissez palfreniers, jockeys, drivers, propriétaires…), je tente de retrouver la jeune femme qui gardait les enfants il y a quinze ans: son ami de l'époque était driver. Et c'est ainsi que je découvre qu'elle a aujourd'hui un élevage de chiens en Mayenne. Connaissant son énergie et sa bonne humeur, je ne doute pas que les chiens doivent être comme des coqs en pâte. Cela m'a fait plaisir d'avoir ainsi de bonnes nouvelles de quelqu'un que nous aimions beaucoup et qui a disparu sans crier gare (elle ne travaillait plus chez nous, elle était invitée au baptême du dernier, elle n'est pas venue, nous n'avons plus jamais eu de nouvelles).
Je mets la vidéo en ligne en pensant en particulier à Didier, puisque Alice (oui, elle s'appelle Alice) élève des bouviers bernois.


Lundi rien

Je devais ranger la chambre de A. que j'ai largement utilisée pour stocker mon bordel, je ne l'ai pas fait, je transbahute tout dans la chambre de O.

A. rentre de Lisieux vers sept heures après quelques problèmes de train.

Dimanche sans histoire

Il pleut quand j'arrive à Melun. Une semaine plus tard, il pleut encore, il pleut toujours… 26 mn d'ergo (c'est précis, le temps de faire 5 km, ce qui est très mauvais temps, ne cherchez pas).
Les vestiaires ont été débarrassés de la plupart des vêtements qui traînaient sur les porte-manteaux (on voit que c'est les vacances et que les principaux championnats sont passés); j'ai la surprise de reconnaître mon jean perdu depuis octobre parmi les quelques nippes encore pendues.

Marché. Sieste.
J'essaie de faire des listes : à lire (pour l'été, pour la vie), à apprendre (grec et allemand), à faire (ranger, classer, jeter). Toujours les mêmes listes, cela me rend perplexe. Cela me fait rire, maintenant (à une époque cela me désespérait).

Ah oui, une chose importante: je viens de me rendre compte que le 11, nous avons payé la dernière échéance de notre prêt immobilier. La maison est désormais à nous. (Quinze ans, p***, quinze ans).

Locataire

A priori, nous allons héberger un parfait inconnu en septembre. Ça tombe bien, j'envisageais de m'inscrire sur le site de couchsurfing. J'espère simplement qu'il ne sera pas trop surpris que la maison soit vide si souvent. Finalement, la personne qu'il risque de croiser le plus souvent est I.

Résumé de H:
— Et qui vit chez vous?
— La copine de mon fils et le beau-frère d'une connaissance de ma belle-mère.

J'espère qu'ils s'entendront.

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Aux Halles à Paris, ça compte? J'avais vingt ans, je traversais la station vers onze heures du soir pour rentrer à nanterre, assez souvent, et souvent en chaussures plates vert pomme, mini-jupe et gilet rose. On m'a demandé mes papiers. A la fin, j'ai demandé «Mais pourquoi? — Vous ne devinez pas?» J'ai compris qu'ils me prenaient pour une pute. Je les ai regardés, je ne leur ai pas dit que je sortais de cours à Sciences-Po à dix heures et demie.

2/ Non, à quoi bon?

3/ Non, mais de temps en temps je pense à me faire une solide collection de tee-shirts parisiens (je ne le ferai pas, pas assez d'occasion de les porter. Je préfère une collection autour d'Alice).

4/ Ni l'un ni l'autre.

5/ Non, pas le niveau et pas assez de globules rouges. Mais j'aurais aimé cela. Je n'aime pas la compétition (mental fragile) mais j'adore l'effort (obstinée).

6/ Indifférent.

7/ Oui. Mon acte de naissance est très bordélique, apparemment je m'appelais France, Valérie, puis c'est devenu Valérie, France. Impossible de demander des explications sans faire pleurer ma mère. J'ai renoncé.

8/ Rarement, mais par bonté pour les portes! J'ai cassé une poignée en porcelaine un jour (1992, 1993) tellement j'étais énervée contre mon bébé qui ne voulait pas dormir (drôle de méthode, certes, mais vaut mieux passer sa colère sur la porte, malgré tout. Néanmoins j'ai eu peur de moi-même et depuis je fais attention).

9/ Dans l'ordre, toujours.

10/ Pas de membre de la famille dans ce cas.

Décidément, je ne fais aucun progrès

Une journée de réunion — conseil d'administration, révision des statuts. Les administrateurs élus parmi les syndicalistes (ils sont en fait élus en tant que salariés et non en tant que syndicalistes, mais les cinq mille votants choisissent des gens connus sur la liste des candidats, donc le plus souvent des syndiqués/syndicalistes) sont persuadés que les représentants désignés par les entreprises adhérentes (dits "membres honoraires") sont "aux ordres de la direction". Ils ne le laissent pas sous-entendre, ils le disent ouvertement.

Je ne comprends pas pourquoi cela m'énerve autant, ou plutôt je le sais, c'est l'injustice et la démesure de l'accusation qui m'exaspère: d'une part les entreprises adhérentes, une fois fixé le montant de la cotisation annuelle, se moquent éperdûment de ce que les administrateurs pouvent décider tant qu'elles n'en entendent pas parler (je veux dire: tant que la mutuelle fonctionne), ensuite le travail des membres honoraires (les seuls à me répondre, à relire les comptes, à préparer les réunions) n'est pas reconnu, enfin il est fatiguant d'être accusé de vouloir saborder une entité pour laquelle on se démène pour justement assurer sa survie.

J'éprouve le sentiment étrange que les membres syndiqués préfèreront tuer la mutelle que la laisser évoluer, devenir autre que ce qu'elle est aujourd'hui (accepter de nouveaux adhérents, en particulier). Et lorsqu'ils l'auront tuée à force de rigidité, ils proclameront: «Nous vous l'avions bien dit, que la direction voulait la peau de la mutuelle». (Et je ris nerveusement).

Ça m'exaspère. L'injustice et l'illogisme m'exaspèrent, et l'ennuyant, c'est que je proteste. Il faut que je fasse des progrès, que je ne dise rien, que je ne réagisse pas. La première précaution, c'est de prévoir une boule quiès la prochaine fois — à cacher discrètement par les cheveux — selon le principe que les bêtises entendues à moitié me tapent moins sur les nerfs. (Je le sais par expérience).

Conversation de femmes libérées

J'ai pris la conversation en route, dans le Libanais où j'étais venue me réchauffer après ma sortie en skiff et ma douche froide (c'est déprimant, une douche froide quand il fait froid.)
Elles étaient en train de discuter, une brune en manteau rouge et une blonde maigre aux hanches extrêmement étroites.
— … parce que tu comprends, l'esthéticienne m'a dit qu'il ne fallait pas s'exposer au soleil après l'épilation pendant deux jours…
— Elle exagère peut-être, juste une journée…
— Parce que tu comprends, je pars quatre semaines, et je voudrais être nette. L'année dernière, au bout de deux semaines j'étais dans les bras de Marco et je n'étais pas nette…
In petto, je pensais «tu baises, tu échanges de la salive de la sueur du sperme des glaires, et tu t'inquiètes de poils? C'est quoi ce mec qui s'inquiète de quelques poils?»

Et puis j'ai dû manger, bricoler avec mon iphone, quand j'ai entendu:
— Il ne faut pas compter en euros de l'heure, car on ne compte pas ses heures. Tu commences tôt le matin et tu termines tard la nuit; l'année dernière j'ai terminé à deux heures du matin.
— …
— Je touche cent soixante euros pour la journée, et je suis artificier diplômé, je ne suis pas en bas de l'échelle. On commence le matin vers sept heures, huit heures, on met tout en place, on s'arrête une heure pour manger. Entre dix-sept et vingt-trois heures je peux faire la sieste, me reposer, c'est l'heure où le chef d'équipe fait ses contrôles, l'heure des impondérables, nous on ne sert plus à rien…
— Oui enfin, tu ne peux pas t'éloigner, faire du shopping…
— Non…

La discussion dérive un peu, je suppose qu'elles parlaient du quatorze juillet et du feu d'artifice.
— Tu dois te souvenir d'avril, j'ai fait quelque chose en avril, en Allemagne, au black. On me payait le billet de train et l'hôtel… Enfin tu sais comment c'est, à cinq ou huit dans deux chambres, et encore, tu dors dans le couloir quand un mec ramène une pouffe: «ça y est t'as fini? on peut retourner se coucher?» et tu te recouches dans les draps sales…
L'autre rit, mi-choquée, mi-dégoûtée.
— C'était au Hilton, tu te souviens comment c'était? Au matin on partait en volant les oreillers en plume, ils étaient si doux…

Je mange en riant intérieurement. Moins mijaurée que je ne pensais. (Je n'écoute pas particulièrement, mais nous ne sommes que trois (il est tard) et la salle est petite. Plus tard elles parleront d'un ami à elles travaillant à la Tour d'Argent recruté par je ne sais quel club… Je n'arrive pas à comprendre à quel monde elles appartiennent.)

Juste une question de point de vue ?

Quelle est la différence entre une cougar et une MILF ?

Un peu d'aviron

La vidéo est tournée principalement sur le bassin où je rame, celui du CNF (club sur l'île de Neuilly qui se voit du métro ligne 1). Le grand angle déforme les perspectives, mais cela donne une idée du dépaysement quand on travaille en bureau à la Défense.

Quelques points de repère :
- Il s'agit de pointe (une rame par rameur), donc l'équilibre est plus difficile à trouver: c'est comme si un équilibriste ne disposait que d'un demi-balancier, l'autre moitié étant utilisée par un coéquipier devant lui, les deux dépendant l'un de l'autre pour ne pas tomber.
- Remarquez la différence entre la force déployée durant la passée dans l'eau, le petit coup sec au moment de sortir la pelle de l'eau (le seul moment où les bras travaillent, l'essentiel de la force est fourni par les jambes) et le retour lent sur la coulisse.
- La première fois que l'on voit les rameurs de dos, ils rament "sans coulisse" (jambes tendues, soit le mouvement en barque, à peu près), la deuxième fois ils font des exercices d'équilibre en s'arrêtant deux fois durant le retour, une première fois après le renvoi de main (exercice classique) puis une deuxième fois une fois les pelles au carré (verticales), prêtes à tomber dans l'eau (exercice que je ne connaissais pas, il faudra que j'essaie).
- HJ8+ : "Hommes Junior 8 barreur" => «huit junior» dans le langage courant (on ne précise ni "barré", ni "de pointe", car c'est toujours le cas en compétition. On précise "filles" si c'est un huit féminin).



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Agenda :
Belle sortie en skiff avec la sensation de se déployer en ressort. Hauteur de mains réglée par le port de tête (à essayer en bateau long).
Découvert l'existence de la page de Vincent sur FB (je n'y avais pas pensé!)
Edge of tomorrow. Voyage dans le temps un peu différent: non pas des anneaux parallèles avec des histoires qui se poursuivent en chacun d'eux, mais un temps linéaire avec la possibilité de rejouer une journée (non, ce n'est pas exactement pareil, on évite les paradoxes temporels).
Allemagne-Brésil 7-1, incroyable et douloureux (dangereux?).

Anna Karénine

RER A, matin. Classique folio.
Le pendentif caché par le livre représentait une poupée russe.


PME en croissance

— Tout de même, ils savent ce qu'ils ont gagné depuis que tu es là.
— Ils savent aussi ce qu'ils ont perdu. Il y a plus d'argent à distribuer dans une entreprise qui vivote que dans une entreprise qui se développe. Je vais te donner un exemple. L'autre jour, le directeur financier nous a annoncé que nous allions faire plus de résultat que prévu. Le patron a dit: «tant mieux, ça fera des dividendes», le syndicaliste a dit: «parfait, ça fera des primes à distribuer» et j'ai dit «super, on va pouvoir embaucher une personne de plus».

(Evidemment, après, le problème est de choisir entre les options. Mais remarquons que l'optique spontanée du syndicaliste n'est pas de partager le travail mais l'argent (pourquoi pas, c'est tout à fait compréhensible. A condition que les mêmes ne viennent pas faire des discours sur le partage du travail, justement.))

Journée noire

La voiture est morte sous mes doigts sous mes pieds à la sortie de l'autoroute A5 en direction de Melun. J'ai attendu le dépanneur, j'ai appelé H. pour qu'il vienne payer (à mon habitude je n'avais ni papier ni argent) et me ramener. 1993, trois cent mille kilomètres, un enfant né sur la banquette arrière. Il pleut.

En rentrant, nous nous arrêtons pour déposer de vieux vêtements dans une benne à textile. Elle est pleine, je force, avec tant de conviction que je me coince la main si violemment qu'un instant je m'imagine que je viens de me casser trois doigts de la main droite (défilent dans ma tête L'arnaqueur, les tableaux à préparer pour le conseil d'administration, la piscine et la mer avec trois doigts plâtrés (c'est idiot, on ne plâtre pas les doigts), Mensonges d'Etat et la torture, c'est tout de même bizarre d'inventer des choses compliquées, c'est si simple de faire mal).

Bref, je n'ai rien, mais vraiment très mal, fourmis au bout des doigts quasi inutilisables. Je pense que cela doit valoir (puisque je parlais de torture) un arrachage d'ongle.


Après-midi à regarder les voitures sur internet avec H. qui finit par s'habituer à l'idée d'une décapotable même s'il trouve cela ridicule sous nos latitudes. Les sites automobiles sont vraiment mal faits, et toutes les voitures qui me plaisent ne se font plus.
Les voisins partent en vacances, ont vidé leur frigo chez nous. Nous les invitons donc à venir manger leurs restes pour leur faciliter le départ.

Quelques articles médicaux

* Celui de Sophie, sage-femme. Je mets un lien vers un billet qui m'a rappelé le commentaire du jésuite grec devant nous, les Français en vacances: «ça fait du bien de voir des gens qui vont bien».

* Ce billet sur les neurosciences, pour nous souvenir que "la liberté" n'est pas si simple (et que tout cela incite à la réflexion. Nous ne sommes pas ce que nous croyons être, mais que sommes-nous? Voir tout ce blog (en anglais)).

* pas un blog mais un article, toujours en anglais, sur la façon dont nous avons perdu nos repères par rapport à une vieillesse "normale" (sachant que j'ai plutôt le problème inverse: je considère trop vite qu'on ne peut rien faire, et je découvre sans cesse à nouveau combien nous savons traiter de dysfonctionnements. C'est merveilleux).

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Non.

2/ Jamais. J'utilise plutôt et qui n'a pas le même sens, Faut pas se plaigner, phrase de ma grand-mère polonaise, grammaire incluse.

3/ Aucun. La sonnerie? Très discrète, un rien me réveille.

4/ Non.

5/ le russe, l'italien, le grec moderne.

6/ Des douches. (Je n'arrive déjà pas à sortir d'une douche, alors d'un bain…)

7/ Oui, des photos d'enfance. J'ai l'impression que toutes les photos d'une même classe sociale se ressemblent: même lumière, même habits, même arrière-plan.

8/ Oui. "Pour vivre heureux vivons caché" est un réflexe. Ou : "tant que personne ne l'interdit c'est autorisé, donc ne disons rien".

9/ Y a-t-il des gens qui n'aient jamais pleuré en lisant un livre? (Que lisent-ils?)

Quart de final

Je suis entrée dans la boutique, la Marseillaise retentissait dans le café d'à côté tout le monde chantait (et je me suis demandé quelle influence avait eu Qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu?) je suis ressortie. J'ai pris un Velib, il y a eu un hurlement, et j'ai continué tranquillement vers le Marais (très difficile de garer mon Vélib) puis vers Ménilmontant (toujours tout droit, Commines puis Oberkampf) en me disant que c'était cool de mener un but à zéro comme ça dès le début.

C'est la mi-temps, Skot est en train de discuter en terrasse une bière à la main.
— Oh Alice, qu'est-ce que tu fais là? … Le problème, c'est que tu ne nous portes pas chance.
— Je sais, j'ai même hésité à venir à cause de ça. (Et c'est vrai.)

Ce n'est qu'en m'installant devant l'écran dans le café que je comprends que c'est l'Allemagne qui mène. La seconde mi-temps est riche en occasions perdues, les Bleus paraissent manquer d'esprit combatif. Ils manquent de hargne. Le gardien de but allemand est vraiment bon.

Surtout des Noirs dans le café, mais le patron est arabe. C'est le ramadan, très peu de verres sur les tables, beaucoup de silence, nous sommes de loin la table la plus bruyante. Amis d'amis FB, je ne connais que Slothorp et Tlön.

Couscous d'abord. Conversation de cinéphiles, journalistes de revue, un monde que je ne connais pas auquel je suis peu sensible. Plus le temps passe et plus les discours sur "l'art", "les œuvres", me paraissent vides de sens. Je n'arrive plus à les prendre au sérieux. Un échange sur Houellebecq (littérature ou sociologie?)

— Je l'ai eue comme prof à la fac, elle était très jolie.
Je ris stupéfaite et incrédule:
— Ce n'est pas possible! Tu es le plus sexiste de tous, et tu ne t'en rends même pas compte!
— Mais enfin, ce n'est pas sexiste de dire qu'elle était jolie!
— Pas en soi, mais dans le contexte, quel rapport avec la choucroute? Je ne te dis pas qu'Olivier Duhamel enseignant le droit constit à Science-Po était si bôôô dans son col roulé (même si c'était vrai)!

Glace ailleurs. La conversation roule sur la famille.

Vivement la prochaine coupe du monde, qu'on se revoit. (Sauf que je porte malheur, hum).

Un petit déjeuner fautif

Je voulais m'inscrire à l'un de ces petits déjeuners professionnels organisés autour d'un thème par des entreprises (souvent des cabinets de conseil) qui se constituent ainsi un carnet d'adresse de clients potentiels. Puis j'ai oublié, puis j'ai envoyé un mail hier vers quinze heures et j'y suis allée ce matin sans attendre la réponse, me disant que je m'ajouterai manuellemaent sur la liste des participants.

Le lieu de rendez-vous était dans l'un de ces centres de conférence que les entreprises louent pour avoir de grandes salles. Quand l'intervenante a commencé à parler, je me suis dit que je m'étais trompée de petit déjeuner, et pire, que le sujet de celui-ci ne m'intéressait pas du tout: c'était une veille sur les tendances de la formation professionnelle dans le monde (intervention organisée par Opcalia). (Je n'ai jamais pris la formation professionnelle très au sérieux, et cela doit être très français, car l'intervenante a confirmé que nous étions connue pour cela: ne prendre la formation que pour une obligation légale et non pour un investissement. (Apparemment une loi est en train de tenter de moderniser et de changer cet état d'esprit).
(A la pause, j'ai vérifié à l'accueil: il n'y avait pas d'autre petit déjeuner d'organisé ce matin. Au bureau, un mail m'attendait pour me prévenir que celui auquel je voulais assister avait été annulé.)

J'ai tout de même pris quelques notes. Apparemment la grand'messe internationale de la formation est organisée par l'ASTD. Il y a trois ou quatre conférences par ans dans des grandes villes américaines, rassemblant environ neuf mille personnes dont 40% d'Asiatiques (une dizaine de Français). Ces conférences rassemblent quatre cent cinquante exposants; leur liste à trouver sur le site de l'ASTD permet d'avoir une idée de ce qu'ils vendent et de ce qui se vend.
Le e-learning est en perte de vitesse, les formations sont de plus en plus un mix de formation théorique virtuelle, de préférence des vidéos ne dépassant pas une quinzaine de minutes, et des formations très pratiques en présentiel.

Les formateurs doivent captiver les gens (au sens propre), sinon au bout de dix minutes tout le monde est sur son smartphone (ce qui me paraîtra toujours hautement impoli mais ne paraît choquer personne). La compétence du formateur est remise en cause en permanence par les formés susceptibles de faire des recherches google pendant la formation pour vérifier ce que dit le formateur (!).
De plus en plus, il est demandé de mesurer un ROE (Return on Expectations: prouver que les salariés ont réellement acquis une compétence, par une mesure avant la formation, puis un ou deux mois après (formation à la délégation, par exemple: le formé délègue-t-il davantage après qu'avant?)), voire un ROI (Return on Investment), ce qui est beaucoup plus difficile à évaluer car il n'y a pas de mesure "toutes choses égales par ailleurs" (comment mesurer l'impact d'une formation commerciale si par ailleurs le marché s'est écroulé, il y a eu crise économique, des concurrents ont fusionné?)

Tout ou presque est disponible sur Youtube (l'intervenante ne tenait absolument pas compte des éventuelles problèmes de langues et des niveau des salariés). «Ce que vous avez à faire, c'est repérer sur le net ce qui vous intéresse pour le mettre à disposition des salariés». (Au passage problème du droit d'auteurs: ne pas vendre ce qu'on récupère gratuitement.)
In petto je me suis dit que c'était une piste pour les documentalistes, car trouver la meilleure vidéo sur un thème à partir des tags étrangers servant à l'indexation… pas si simple et surtout très long. Les serious games sont moins à la mode. J'ai noté le nom d'un jeu pour se former à la négociation: The Merchants".

Ce qui est en train d'émerger, ce sont les MOOC (Massive Open Online Course), formations en ligne données par les professeurs de grandes universités, formations gratuites devenant payantes si l'on veut obtenir une certification. (Le modèle économique de ces MOOC n'est pas encore stabilisé: comment diffuser gratuitement des cours en ligne pendant que les étudiants en présentiel paient dix mille dollars l'année?)
Il existe des légendes: les MOOC auraient permis de repérer des ingénieurs nigériens ensuite invités en Californie, etc, etc. (Notes: éclatement des frontières, faites vos MOOC, mettez vos vidéos sur internet, mais attention, pas toutes vos compétences, car que vous resterait-il à vendre?)
En France, deux sont très connues: une formation de Lille en gestion de projet, une du CNAM en management.

J'ai noté par ailleurs une liste de noms et adresses:
coursera
edX
udacity
Carnegie Mellow
Stanford
classe to go
coursebuilder, proposition Google pour créer des MOOC à usage interne (des SPOC).

Dernier point : un formateur doit être sur linkedin et avoir au moins quatre cents contacts (ratio américain). Il faut avoir également des recommandations, donc à la fin de chaque formation, demander aux formés d'aller déposer un petit mot… (et ça m'a paru étrange, déjà que je trouve étrange que les restaurants ou gîtes nous demandent de le faire sur Tripadvisor, mais le demander pour soi quand c'est soi le produit, et non plus la chambre ou la cuisine…)

Formation au management

Entendu en terrasse à côté de moi:

— Dans cette formation au management, j'ai bien aimé la différence entre impliqué et concerné: si l'on prend les œufs au bacon, la poule est concernée, le cochon est impliqué.
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