A vendre

Choc en arrivant à JRS ce matin : pas de petit déjeuner, tout le monde porte un masque qu'il faudra garder même pendant les cours. C'est la conséquence du discours présidentiel, c'est cela ou l'école d'été s'interrompt.

Aujourd'hui j'ai davantage d'élèves, un journaliste syrien, un Afghan qui aime la cuisine et est passé par la Russie, des Iraniens. Je fais cours avec Paul, un baby-jéz (jésuite en cours de formation) qui vient de Côte d'Ivoire.
Celui qui est passé par la Russie (et donc parle russe) posera une question qui me laissera interdite: comment faire pour rencontrer des filles en France?
— En Russie c'était facile, on allait dans les bars. Mais ici, tout le monde reste en groupe.1
— Je ne suis pas la bonne personne à qui poser cette question. Je n'ai jamais fait ça, je me suis mariée à dix-neuf ans (ce qui est faux au sens strict, mais vrai sur le fond: j'ai simplifié). A mon avis il vaut mieux choisir un hobby, la musique ou le sport… mais ça coûte de l'argent, il faut s'inscrire en club. Attention, si vous choisissez la religion et que vous êtes musulman, renseignez-vous. Faites attention à l'imam que vous choisissez. Jamais vous n'aurez vos papiers si vous fréquentez une mosquée fondamentaliste. Si vous ne savez pas, demandez ici, ils vous renseigneront.

Le sujet du jour ne m'inspire pas beaucoup, il s'agit de l'actualité. J'ai découvert avec étonnement les ressources proposées: TV5 et RFI.
Nous visualisons un journal télévisé de trois minutes, nous voyons le vocabulaire. C'est compliqué avec le masque.

Je repère un reportage de trois minutes sur Louis de Funès. Je n'aime pas beaucoup les mimiques de cet acteur, ses exagérations me gênent, et j'ai été très surprise de son succès pendant le confinement qui a mené à la rediffusion de beaucoup de ses films.
Je lance la vidéo. Parmi les extraits se trouve un extrait de Rabbi Jacob que je prends le parti de commenter, car je sais que le sujet juif est sensible pour beaucoup d'entre eux. Il me semble important de les sensibiliser à la façon occidentale d'envisager les choses.
— Comment, Salomon, vous êtes juif? Ça ne fait rien, je vous garde quand même.
Je leur demande ce qu'ils en pensent. Seule Ndeye, qui est en France depuis longtemps, dit que c'est raciste.
— Oui. Je ne pense pas qu'on le dirait aujourd'hui. En fait il y a plusieurs niveaux dans ces phrases. «Salomon» est un prénom très juif, personne en France dans les années 70 n'appellerait son fils Salomon sans être juif. Donc le patron n'a pas fait l'association, ce qui peut s'interpréter de deux façons: soit il ne fait absolument pas attention à son chauffeur, soit le fait d'être juif a si peu dimportance pour lui qu'il n'y pense jamais. La deuxième partie de la phrase est plus proche de l'antisémitisme: «je vous garde quand même», comme si le fait d'être juif avait pu être une raison valable de licencier son chauffeur. A l'époque, en 1970, ça faisait rire parce que tout le monde savait que c'était de l'humour, qu'être juif n'était pas une raison pour être licencié. Aujourd'hui c'est devenu compliqué, certains sont capables de ne pas voir l'humour, car le fait que ce ne soit pas une raison de licenciement n'est plus évident pour tout le monde.

Je reprends mon souffle. Je les regarde, juste les yeux au-dessus des masques. Je parle trop mais ça me paraît si important s'ils regardent la télé et tombent sur les manifs pro-Traoré.
— C'est devenu compliqué en France, il faut faire attention. Quand vous voyez des manifs pour un noir mort pendant une arrestation, vous pensez quoi?
— Que c'est une manif contre le racisme?
— Oui. Mais dans la même manif, il peut y avoir des pancartes contre les juifs. Donc c'est de l'antiracisme sélectif, pas universel. Donc il faut faire très attention quand on veut soutenir une cause en France. Il faut bien regarder qui soutient qui.

*****

Repas avec ma collaboratrice. Nous ne nous sommes pas vues depuis mars. Je lui ai donné rendez-vous au restaurant pour papoter également de sujets perso, famille, vacances, etc. Team time. Je ne lui dis pas que je vais déménager. Je n'y crois pas encore complètement.

*****

La pipelette de ce soir-là est agente immobilière. Elle est passée faire une estimation de la maison. L'intérieur lui a beaucoup plu, sauf le salon qu'elle trouve étriqué.
Il va falloir repeindre la façade. Moi qui ai toujours détesté la couleur jaune de ma maison, je vais la quitter quand elle sera blanche.
Nous mettrons en vente dès qu'elle sera repeinte. L'agente pense pouvoir vendre rapidement. Il paraît que depuis le confinement les Parisiens fuient Paris.

*****

Le soir je prends le train pour Moret. C'est un test. C'est un peu plus long mais c'est CLIMATISÉ. Et propre. Et vide. Sacrées différences par rapport au RER D. Reste à savoir si les rames sont à l'heure. Le pari, c'est aussi la poursuite du télé-travail, et surtout le changement de boulot. Adieu Nanterre Préfecture.

Je rejoins H. et les deux enfants venus prendre les mesures de l'appartement pour commencer à imaginer où placer nos meubles (et savoir de quoi il nous faut nous débarrasser). H. a également apporté une promesse d'achat. L'idée de laisser un chèque d'engagement nous a fait traiter de fous par l'agente immobilière: «vous lui avez demandé sa carte d'identité? Vous êtes sûrs qu'il est propriétaire? L'argent doit toujours passer par un notaire!»
Bon, bon. (J'ai repensé au type qui avait vendu la Tour Eiffel).

Le "propriétaire" (noté SB par la suite) nous a recommandé le restaurant des Lys à Moret. (Nous lui avions demandé des adresses, que ce soit pour une cantine de tous les jours ou un événement à fêter.) C'est délicieux. Nous en profitons pour fêter l'anniversaire de H. qui est tombé en avril.



Note
1 : La société russe serait-elle plus ouverte que la société française? J'ai posé la question à H. qui met cela sur le compte de la disparition des classes populaires: «Les gens de la classe moyenne restent chez eux ou restent entre eux, ils ne vont pas papoter au café.»

Retenir son souffle

Hier, le propriétaire du loft nous avait proposé une visite à dix heures et demie ce matin. Nous avions donc l'adresse et nous y étions passés: points positifs, nettement hors de la zone inondable et une immense glycine au-dessus du portail; points négatifs (observés à travers la fente de la boîte aux lettres car les murs et le portail forment une barrière infranchissable) des coulures sur le crépis, des rideaux comme des haillons pour protéger les immenses vitres du soleil et un jardin minuscule.

C'est donc sans un espoir démesuré et avec un certain fatalisme que nous allions visiter.
Masques, gel, j'ai oublié de préciser hier que tout cela est de mise.
Le propriétaire a le look hipster du Marais, des tatouages tahitiens sur les mollets (le hipster porte-t-il un pantacourt? je m'y perds) et une voix douce très agréable genre Matoo (pour ceux qui connaissent). Il est aussi aimable et positif qu'au téléphone.

Le jardin est effectivement très petit. Il m'avait prévenu qu'il y avait installé une terrasse en bois et un salon de jardin qui mangeaient la moitié de la surface. En fait c'est parfait: le plaisir d'être dehors protégé par de hauts murs, une glycine, une vigne vierge sur le pignon mitoyen qui monte très haut sans l'obligation d'entretenir une pelouse (ouf!).

La déco du rez-de-chaussée est à couper le souffle dans son homogénéité, sur le thème de New York et Philadelphie, des meubles en métal foncé qui répondent aux poutres en acier (c'est un ancien magasin de meubles). Billard à la feutrine bleue, carrelage sombre, éclairage type industriel. Beaucoup de disques, rock grande époque. Toute la difficulté est de vider mentalement la pièce pour y visualiser notre bazar, ce qui en changera(it) fatalement le style et le charme1. Les murs sont-ils suffisamment longs pour accueillir les bibliothèques? (de façon générale, au-delà des grandes du salon, y aura-t-il assez de murs dans l'ensemble du bâtiment pour mettre les bibliothèques variées?).
Le propriétaire explique qu'il n'utilise pas les radiateurs (ce qui permet de mettre des meubles devant) mais qu'il se chauffe avec le poêle (une stère de bois par an).
Pourrions-nous réellement vivre ici, cela paraît petit (d'ailleurs H. remet en cause la surface, ce qui conduit à des mesures); pourrions-nous réellement vivre ici, ne risquons-nous pas d'en dénaturer l'esprit? C'est si beau qu'on voudrait tout conserver en l'état.

Premier étage. Escalier sans rambarde, simples planches le long d'une poutrelle inclinée. Grand dressing, immense salle de bain (l'équivalent d'un studio à Paris, quinze à ving mètres carré) dans les vert émeraude, le reste en chambre bureau salon. Vus de l'intérieur, les rideaux que j'ai qualifiés de haillons sont ordinaires, normaux.
Plancher. Plancher épais, d'origine, des planches, chaud, brillant.
Je sens le bois sous mes pieds (pieds nus pour ne pas salir). Je regarde les poutres.
Le plancher emporte ma décision. Je veux vivre ici.
Mais H. a-t-il le même sentiment? Il est ailleurs en train de discuter d'autre chose (vraiment pas la même ambiance que dans "l'imprimerie". Pourtant il y aurait bien plus à voler ici). Je ne peux pas croiser son regard, et si je le croise, comment transmettre mon souhait, mon désir, mon emballement, sans trahir mon engouement devant le propriétaire?
Je n'ose plus rien regarder. Je ne veux pas m'attacher. Au cas où cet endroit m'échappe, où H. soit tiède, je ne veux pas que le regret soit trop profond.
Dernier étage, ce qui sera(it) "mon" étage (l'endroit le plus chaud et le plus bas de plafond (je suis la plus petite), mais aussi le plus lumineux. Le plancher est le même. Je regarde sans regarder. Ce serait ici, ce serait parfait. Pour moi, «une chambre à soi». Regarder vite, comme à travers mes doigts, ne pas trop regarder, ne pas s'attacher.

Rez-de-chaussée, terrasse, café. H. me regarde, murmure «on le prend?». Je secoue la tête affirmativement, imperceptiblement. Soulagement trop fort pour ne pas ne pas avoir peur de l'exprimer.
H. se tourne vers le propriétaire: «c'est bon, on le prend.»
Discussion pratique. Nous voulons laisser un dépôt de garantie; pour moi seul l'argent garantit que le propriétaire ne vende à un plus offrant (Crainte injustifiée: j'apprendrai plus tard que lorsqu'un vendeur annonce un prix, il ne peut pas accepter une offre supérieure à ce prix si une offre faite au prix affiché a déjà été faite.) Le propriétaire nous rassure, nous dit qu'il croit à notre parole. J'aurais tendance à lui faire confiance, mais je fais si facilement confiance que c'est de moi que je me méfie.

Plus tard, nous apprendrons qu'il a eu plus de cinq cents contacts via PAP (de Particulier à Particulier)2. Il a eu des propositions, mais toujours en dessous du prix de mise en vente. Nous sommes les premiers à ne pas avoir marchandé. (Ouf!)


Itteville chez nos amis. Ils sont l'une des raisons pour lesquelles nous avons choisi le sud: H. risque de travailler de plus en plus souvent avec lui.
J'ai bien peur que nous ayons monopolisé la conversation avec notre enthousiasme.
Ils nous ont donné les coordonnées de leur copine agent immobilier à Yerres. Nous comptons sur elle pour l'évaluation et la vente.




Notes
1 : Notre bazar a-t-il du charme? Question que je n'ose poser à voix haute tant je redoute la réponse.
2 : Comment rester aussi aimable après cinq cents contacts?

Des visites

Hier je dissertais sur l'aviron:
— Je serais bien retourner à Melun, ils sont vraiment sympa, je me sens bien dans ce club. Mais ils ont si peu de matériel pour les loisirs que ç'en est décourageant. A Neuilly le matos est formidable mais je ne me sens pas à ma place, on n'a pas grand chose en commun.
— Tu sais, il n'y a pas de miracle. Soit le club est sympa et il n'y a pas d'argent, soit il y a du matériel et les rameurs ne nous correspondent pas exactement.
Ah. Oui, c'est logique. Je n'avais jamais envisagé cela sous cet angle.

Premier contact avec le club quai des plâtreries à Samois. Je suis intégrée d'autorité à un huit de pointe. Je suis surprise de la discipline dans le bateau: ça ne discute pas, les exercices sont de bon niveau, au carré à quatre, six puis huit rameurs; ça "passe" alors que nous n'y arrivons pas avec notre huit de couple1. Le bassin est magnifique. Nous passons au ras du château de la Rivière dont nous avions cru une aile en vente.
Retour. Laver le bateau, le rentrer. Repérer les coutumes de ce club, la façon de ranger les pelles, de porter la coque. Nous avons tous un masque, c'est compliqué pour un premier contact.

Pour faire suite à la discussion d'hier et bitcher un peu, je dirai que la différence entre ici et Neuilly, c'est qu'à Neuilly ils vont en vacances en Corse; ici, d'après les conversations surprises, c'est plutôt l'île de Ré ou Noirmoutier.

*****

H. vient me chercher et m'emmène dans le centre de Samois qui l'a séduit. Il a visité une maison — trop sombre — et pris contact avec deux agents (agentes) immobiliers. Il a sympathisé avec l'une des deux et ils ont eu une conversation sur les inondations. Il en ressort que la Seine possède plusieurs lits historiques qu'elle reprend en cas de crue… sans qu'on puisse prévoir lequel.
— En 2016 les autorités ont été prises par surprise, mais la prochaine fois on sauvera Paris en inondant l'amont.

Brrr, pas très rassurant.

Restaurant sans intérêt à Moret. Je me change dans les toilettes2, très vastes puisqu'elles sont aux normes handicapées. Puis nous partons pour la première visite.

*****

Comme nous sommes en avance nous faisons le tour de "l'imprimerie": vu de l'arrière les verrières de l'entrepôt font grise mine et les tuiles gondolent. Il y aura des frais à engager.
Le propriétaire est aussi grincheux qu'au téléphone. A-t-il eu beaucoup de mauvaises expériences, est-il épuisé par les visites? Je suis du genre à traîner, à rester en arrière pour regarder par une fenêtre ou évaluer la taille d'un mur (les bibliothèques vont-elles tenir? C'est un enjeu, elles ont été faites sur mesure pour notre maison actuelle). Par deux fois (ou trois) il s'arrête, revient en arrière pour me chercher: «non, mais si vous ne suivez pas, c'est comme si je faisais deux visites». Il a l'air si exaspéré que j'en viens à me demander s'il redoute les vols s'il me laisse seule.

Les pièces sont harmonieuses, bien agencées, moins grandes que celles dont nous disposons actuellement. Nous montons les étages, les descendons. Nous attendons la visite de l'entrepôt qui nous a fait rêver sur Google street view — un peu moins depuis qu'on en a fait le tour extérieur. Il est vaste mais décevant. Il faut refaire les verrières — celles déjà refaites l'ont été en plexi et non en verre, ce qui enlève du cachet à l'ensemble. Du "potentiel", comme on dit, mais nous voulons habiter là, pas en faire une salle à louer: une fois que nous aurons acheté la maison, nous n'aurons plus un kopeck avant des années pour nous occuper de cet entrepôt.

La cave est intéressante géologiquement parlant: non bétonnée, elle sert de tampon en cas de crue; elle se remplit puis se vide naturellement, c'est ce qui s'est passé en 2016. Mais après les informations récoltées par H. ce matin, nous nous demandons si cela sera suffisant la prochaine fois.
Nous passons au jardin. Et soudain nous apprenons que l'étendue de pelouse n'est pas en vente. Seuls dix à vingt mètres carrés sont vendus: au-delà, le propriétaire réserve le terrain… pour éventuellement se construire une maison de plein pied. Bref, non seulement il n'y a pas de terrain, mais en plus cela consisterait à vivre avec l'ex-propriétaire dans le jardin. La messe est dite.

*****

Un tour à Héricy pour voir une petite maison vendue peu chère qui de l'avis de l'agent immobilier pourrait présenter de beaux espaces après travaux. Nous ne pourrons pas la visiter avant mercredi, mais H. voulait me montrer le joli jardin et le portail aux iris.

Puis Boissise pour une visite très triste: une très petite dame âgée dans une très grande maison, qui essaie de la vendre depuis un an. La maison a une belle vue, une belle terrasse, un sous-sol spacieux, un immense étage lambrissé. Mais elle n'est pas réellement habitable: l'escalier qui mène à l'étage a été entouré de murs qui empêchent qu'on puisse monter quoi que ce soit d'un peu volumineux. Tous les lits (si nombreux que je finis par me dire que c'était une colonie de vacances: non, c'était pour les neveux et nièces qui venaient pour les fêtes célébrées en famille) sont des lits une place qu'on dirait pliants, je suppose que c'était la condition pour les monter à l'étage. Et le jardin est grand, rien qu'à le voir je suis découragée du souci qu'il va me causer (qu'il me causerait).
Non, ça ne sera pas possible.
Nous remercions la dame frêle et l'oncle venu «représenter ses intérêts» (il s'est présenté ainsi) et nous partons le cœur lourd de tant de solitude au milieu des traces de tant d'animation enfuie.

Nous téléphonerons le lendemain pour dire que nous ne sommes pas intéressés.



Notes
1: en pointe chacun a une rame (deux en double). L'équilibre du bateau dépend donc de l'harmonie entre les rameurs babord et tribord. C'est plus difficile, chacun ne possède que la moitié de la solution.

2: Je m'asperge vaguement d'eau fraîche, m'essuie avec mon tee-shirt. L'une des contraintes du covid, c'est que les vestiaires ne sont plus accessibles. On arrive et on repart en tenue, les douches ne sont plus accessibles — ce qui rend quasi impossible de ramer le midi.

Librairie polonaise

Dans les activités de l'après-midi, il est prévu vendredi en huit un café-débat. Le thème du jour était donc de s'entraîner à l'exercice du débat.
Je découvre le sujet de cet entrainement en ouvrant la chemise qui m'est remise chaque matin: l'amitié.
La feuille comporte du vocabulaire et des questions: comment définiriez-vous l'amitié? l'amitié peut-elle prendre fin? l'amitié entre un homme et une femme est-elle possible? Quelle est la différence entre un ami et un copain?

Copain, pote, camarade, ami, compagnon: les nuances, les sens identiques dans des niveaux de langage différents, etc.
J'exprime une conviction: leur but est de trouver du travail et obtenir des papiers, ils ont donc intérêt à toujours utiliser du français soutenu. Je leur conseille de ne jamais utiliser "pote", ce qui leur évitera de se tromper de contexte.

J'essaie d'expliquer que l'union libre n'était pas prévue par la langue française traditionnelle et qu'il nous manque des mots (je ne sais pas si c'est vrai mais c'est ainsi que j'ai vécu cette évolution) alors on utilise des mots non prévus pour à l'origine. Le français utilise copain et copine ou "petit copain" et "petite copine" pour traduire boyfriend et girlfriend, mais dans les faits cela ne s'applique qu'aux adolescents et aux jeunes adultes. Ensuite… eh bien compagnon ou compagne, par exemple, ou partenaire.
Les nuances entre un ami, mon ami…
— Même un Français ne sait pas exactement ce que vous voulez dire si vous arrivez aux JRS en disant: «je suis venu avec mon ami». Est-ce que vous n'avez qu'un seul ami et vous êtes venu avec ou est-ce que c'est votre petit copain? Il faut un contexte pour décider entre les deux, et parfois on se trompe.
— Mais alors qu'est-ce qu'il faut dire?
— Si vous voulez que les gens ne se posent pas de question, il faut dire «un»: je vous présente «un ami».

Nous avons comme consigne de retrouver l'autre groupe de niveau avancé à onze heures et demie; mais nous sommes si bien plongés dans les nuances (les conditions du débat: ne pas être catégorique: «Ne dites pas "vous vous trompez" ou "c'est faux"; dites "c'est possible, cependant j'apporterais une nuance"») que je n'ai pas lu la feuille jusqu'au bout: nous devions résumer nos réponses et choisir quelqu'un pour les présenter à l'autre groupe. Bon tant pis, on va se débrouiller.

Déjeuner avec Patrick chez Georgette. Deux ans sans se voir, me dit-il, depuis les derniers concerts à Thiré. Bavardage et papotage puis librairie polonaise. Nous y restons longtemps, comme un après-midi à prendre le thé chez des vieux amis. C'est une belle librairie, tant par les boiseries que par les livres présentés. Patrick et la libraire discutent longuement d'auteurs et d'éditeurs, de noms dont je n'ai jamais entendus parler, de souvenirs de la guerre froide. Les éditions de l'Âge d'homme ont déposé le bilan, et comme à chaque fois je me sens coupable: nous n'avons pas acheté assez de livres (mais maintenant je me souviens des mots jésuites: «vous ne sauverez personne»). Les éditions Noir et Blanc, qui appartiennent en partie à la librairie polonaise (mais comment Patrick sait-il tout ça) ont créé "la collection Dimitri" (en hommage à Vladimir Dimitrijević) et réédite les titres du fond au rythme d'un ou deux par an.
Il faut que je trouve les livres d'Arnold Zweig au plus vite.


Bibliophore :
- Hanna Krall, Le Roi de cœur
- Adam Mickiewicz, Les Slaves
- Andrzej Stasiuk, Sur la route de Babadag
- Wojciech Chmielarz, La colombienne

Des soldes et des rendez-vous

Petit déjeuner avec H. boulevard Raspail. Il va chez un client pour la journée, il m'a déposée près d'Assas. C'est devenu compliqué de circuler dans Paris, même l'été. Ça va être l'enfer à la rentrée.

Aujourd'hui le thème était l'écologie (le but étant toujours, je le rappelle, de fournir du vocabulaire). J'ai parlé ressources naturelles, pillage des ressources naturelles, famine, démographie, nourrir la planète, nucléaire, dépendance énergétique face à la Russie ou l'Arabie Saoudite. Sans doute pas assez parlé éoliennes ou panneaux solaires.
J'ai cruellement conscience de faire passer mes convictions (as opposed to une information objective). Mais je sais désormais que des écologistes pur sucre n'auraient pas ces scrupules.
Je pense trop.

Soldes à midi. Beaucoup plus acheté que d'habitude, sans doute l'indice que ces matinées me rendent heureuse (faire des essayages et constater qu'on est un gros tas devant le miroir (me) demande beaucoup d'énergie. Ce n'est pas une partie de plaisir mais un effort. Difficile de faire cela quand je n'ai pas le moral). Une robe et un tailleur rouges, deux chemisiers blancs, un pantalon noir, que des habits pour le boulot. La note était étonnamment peu salée, la moitié de ce que j'attendais: effet déstockage Covid?

L'après-midi, appel successif des deux propriétaires de Moret, que j'appellerai l'imprimerie (le grand entrepôt collé à la maison est le local d'une ancienne imprimerie) et le loft. Dans des styles très différents, le premier grincheux et le second enjoué, ils vérifient la même chose: que nous ne sommes pas des «visiteurs de maison», une engeance qui passe ses week-ends à faire perdre leur temps (et leur moral) aux propriétaires en visitant et en critiquant sans avoir l'intention d'acheter.
Je pose deux questions : avez-vous la fibre (non, pas à Moret) et comment la maison est-elle chauffée?

L'imprimerie est un homme plutôt négatif, qui m'explique que sa maison est en zone inondable. On dirait qu'il fait tout pour décourager la visite, «parce que ça donne du travail». Le loft prend la vie du bon côté et m'explique tout le bonheur de vivre à Moret, les commerçants présents en centre-ville, la forêt à deux pas (mais pourquoi s'en va-t-il?)
— Si vous voulez mettre des cloisons…
Je l'interromps: — Je n'achète pas un loft pour mettre des cloisons!
— Je suis bien d'accord avec vous.
J'ai l'impression qu'il a dû en voir de toutes les couleurs.

Visite prévue samedi pour l'imprimerie (je préviens que je serai transpirante du fait de l'aviron) et dimanche pour le loft.
La maison de Vitry est vendue (pour ceux qui veulent rêver et pour les riches, l'agence était Terrasses & jardins), Etiolles n'a pas fait signe, Saintry a envoyé un mail (propriétaire en Bretagne).

Le soir encadrement des débutants à Neuilly. Ça faisait longtemps: avec jrs le matin, j'ai totalement laissé tomber les entraînements d'ergo. J'ai oublié de dire que j'ai écrit le 13 juillet à l'organisateur de la coupe des dames à Angers pour qu'il m'indique quel club vers Fontainebleau participe régulièrement à la course: l'ANFA, le club organisateur de Ram' jazz. Je vais m'inscrire là-bas; ce sont mes dernières sorties à Neuilly, même si je ne le leur ai pas encore dit. J'ai fait trop d'efforts pour ce huit (revenir à la Défense le week-end, contrôler mon poids en permanence) pour trop peu de plaisir. Adieu.

H. m'attend depuis un moment. Nous dînons dans un excellent restaurant, servie par une serveuse très menue et très souriante. La rue entière est bloquée, transformée en immense terrasse, un orchestre de jazz joue au loin.

Il est strict ?

— Tu n'étais pas à la randonnée lundi ?
— Non, avec le 14 juillet, ça faisait quatre jours de congé, alors je suis restée avec mon mari.
— Ah, il est strict ?
— Non, mais dans la semaine on travaille, on ne se voit pas beaucoup, alors quand il y a quatre jours on en profite pour être ensemble.
— C'est logique.
Je souris intérieurement. Ça me fait plaisir qu'il découvre qu'un couple puisse être ensemble volontairement et non par obligation. Les relations hommes-femmes sont l'un des donnés occidental le plus difficile à intégrer pour eux.


Aujourd'hui, le thème était les fêtes nationales1. A part avoir expliqué le système des "ponts", je dois avouer que je n'ai pas traité le sujet. Tout au moins pas directement.
Décomplexée par ce que j'avais lu sur le site FLE, j'ai osé remonter à La Fayette. J'ai fait un cours de deux heures sur trois cents ans d'histoire de géopolitique occidentale. Je ne sais pas ce qui est compréhensible par des Afghans ou des Syriens de trente ans, qu'apprennent-ils à l'école, qu'ont-ils lu? Je n'ai pas l'impression qu'ils sachent grand chose sur la seconde guerre mondiale, ils ne réagissent pas au nom d'Union soviétique (sachant que quoi qu'ils apprennent, c'est forcément d'un point de vue différent du nôtre2). Voilà deux fois en dix jours que je parle de l'extermination des juifs. Je ne sais plus exactement pourquoi, une fois pour expliquer la création de l'Etat d'Israël à un Egyptien (la culpabilité européenne, mais en repartant de la première guerre mondiale et des Anglais. Parler de colonisation devant des descendants de colonisés subissant aujourd'hui les conséquences du bordel que nous avons fichu… Que pensent-ils? Sans doute bien autre chose que ce que j'imagine. Je n'ose pas poser de questions. Mais est-ce que l'Afghanistan a été colonisé? Je n'en sais rien, en fait), une autre fois pour parler des déplacements de population après 45 et des lois qui protègent les réfugiés: «vous en bénéficiez aujourd'hui».

Une fois encore je ne les ai pas beaucoup laissés parler. J'espère que je ne les saoûle pas trop.


Je suis retournée au restaurant qui propose des flameküches. Le serveur est toujours le même, c'est une plaisante stabilité dans un monde qui change.



Note
1 : Je suis émerveillée par ces ressources FLE.
2 : je ne sais plus si ce que je sais de l'Afghanistan vient de Homeland ou de Mes voyages avec Hérodote. Ou des deux. L'Afghanistan, «tombeau des empires», ce doit être Homeland.

Tu es bien assis ?

— Tu es bien assis ?
— Oui, pourquoi ?
— Ce matin, je revoyais mon profil sur "Gens de confiance" (toujours cette hésitation entre nom de jeune fille et nom marital) et je suis tombée sur la question: « Comment souhaitez-vous être appelée?» Et tu sais ce qu'il y avait comme choix?
— Non.
— Votre prénom, Chère Madame, ou… Votre Altesse.

H. s'étouffe dans son café. Il réfléchit un peu.
— Mais c'est génial, comme idée.
— Je ne sais pas. Mais je t'en parle pour tes logiciels. Parque ce que c'est si énervant d'être appelé par son prénom et tutoyé.
— Mais si. Imagine: tu es concierge ou taxi, mais tu descends d'une famille noble russe et tu gardes ça au fond de ton cœur. Soudain on te propose de t'appeler Votre Altesse: mais tu es prêt à tout donner, à vendre ce que tu avais toujours refusé de vendre… C'est génial.
Moi, ça me rappelle juste un épisode d'Amicalement vôtre.



— Tu es bien assis ?
— Je suis debout, mais ça va aller. Qu'est-ce qu'il y a ?
— J'ai fait quelques recherches ce matin sur des sites immobiliers. Et pendant que j'y étais, j'ai regardé autour de Blois. Il y a un site qui fait l'agrégation de plusieurs sites. Et regarde ce que j'ai trouvé :



Tu n'aurais pas trente-et-un millions d'euros et demi ?
H. regarde un instant:
— Mais c'est Ménars !
— Tu crois ? Je contemple un instant. Ah oui, tu dois avoir raison.
— J'en suis sûr, il n'y a pas beaucoup de châteaux qui donnent sur la Loire.

Comment n'ai-je pas reconnu "mon" château1? Les photos intérieures sont superbes. Clic gauche pour les voir de plus près:



J'ai trouvé une meulière rénovée avec terrasse en bois vers Vitry, une maison à Etioles, une qui domine la Seine à Boissise, une autre à Saintry. J'envoie des mails. Nous annulons la visite de la maison de retraite et une autre visite, trop loin de Fontainebleau.
H. se concentre sur Moret, trouve une maison avec un grand entrepôt. A un moment donné, il s'exclame: «ça, ça va te plaire!»
Et effectivement, ça me plaît: un loft sur trois étages, un escalier dans un puits de lumière qui me fait penser au musée de Haarlem ou à la maison de Jules Verne.

Il n'y a plus qu'à attendre.

PS : au fait, Moret-sur-Loing s'appelle maintenant Moret-Loing-et-Orvanne. La fureur de tout enlaidir n'épargne rien.



Note
1: photo de Patrick.

Au sud de Fontainebleau

Je me reconnecte sur "Gens de confiance" (je ne sais plus quelle copine m'a cooptée sur ce site), trouve trois maisons dans nos prix et surface à Melun, Salins et Fontainebleau et envoie trois mails.
Nous avons sélectionné aussi quelques maisons sur le Bon coin, sans savoir où elles se trouvaient exactement, dont une avec piscine intérieure… (lol). Quand l'offre paraît trop belle pour le prix, je me demande ce que cela cache.

Nous partons après avoir déjeuné sur le pouce. L'idée est de suivre les bords de Seine pour trouver une ville qui nous plaise. Nous repartons de Coudray-Montceaux, traversons la Seine, visitons Seine-Port, un village étonnant, entouré de fortifications (Saint-Port devenvu Seine-Port), traversons Boissise-la-Bertrand à flanc de côteau. Il semble que d'anciennes propriétés seigneuriales (restes de manoirs et de vieux murs) ont été loties pour construire des pavillons: selon que l'on regarde à droite ou à gauche, ce n'est ni la même esthétique ni la même richesse ni le même siècle.
Nous tentons de suivre le chemin de halage mais il y a trop de travaux.
Melun, forêt, Bois-le-Roi («non, je ne veux pas habiter à Bois-le-Roi, tout m'y paraît faux»). H. n'est pas habitué à la décapotable et n'a pas pris garde, je lui avais dit que c'était la mauvaise heure, qu'il fallait capoter, que le soleil tapait trop: nous sommes cuits. Diabolo-menthe. Sur les trois maisons de "Gens de confiance" deux sont vendues, nous prenons rendez-vous pour visiter la troisième demain (quels bosseurs, ces agents immobiliers: demain est férié).

Fontainebleau, nous entrons dans une agence immobilière ouverte, nous laissons nos critères à un homme sympathique mais qui ne nous aidera pas: il est spécialisé dans Fontainebleau. Or la ville est trop cossue à notre goût et trop chère. Cependant j'aurais aimé qu'il nous dise si nous avions une chance de trouver ce que nous cherchions (quelque chose de joli, dans l'ancien, quelque chose d'imposant comme une maison de maître: sommes-nous totalement irréalistes avec notre budget?) ou s'il fallait tout de suite réajuster nos critères de sélection.

Entretemps l'un des propriétaires du Bon coin a rappelé. Huit cent mètres carré rénovés dans une aile de château, le corps de logis étant détenu par une société — nous avions imaginé qu'il s'agissait du château de la Rivière à Thomery, mais pas du tout: il s'agit d'un château beaucoup plus au sud, à Vaux-sur-Lunain, à la limite de la Seine-et-Marne. Nous avons rendez-vous demain en fin d'après-midi. H. a récupéré l'adresse, nous observons notre carte Michelin en nous demandant s'il est bien raisonnable de nous exiler si loin.

Alors, parce que nous avons décidé d'être courtois avec les propriétaires des maisons que nous visiterons, de ne pas décrier leur bien, nous décidons d'aller voir le château puisque nous en avons l'adresse: si cela ne nous plaît pas, nous annulerons tout de suite la visite en prétextant que c'est trop loin, sans dire que nous sommes allés voir les extérieurs.
Est-ce le Gâtinais au sud de Fontainebleau? Je conduis, des panneaux indiquent des marais, le soleil est descendu, les champs sont blonds, c'est loin. J'ai le cœur serré: c'est loin, et si ce château nous plaisait, aurions-nous le courage de refuser? C'est si loin, pas de transport, comment travailler? J'imagine un château Louis XIII de briques rouges ou un château du XVIIIe siècle, j'imagine quelque chose de sombre à la lisière d'une forêt, de vastes pièces, trop peu de lumière. Irrésistible. Et si loin.

Départementale dans les blés, petite route à gauche, nous tournons, un tracteur se met sur le bas-côté pour nous laisser passer. Au loin la tache verte d'un bouquet d'arbres, reste de forêt.
Nous arrivons devant de hauts murs, un portail monumental. Une demi-douzaine de voitures sont garées en arc-de-cercle.
Notre cœur se décroche.
C'est une maison de retraite et c'est sinistre.
L'aile du chateau à vendre fait partie d'une maison de retraite. Il s'agit d'habiter dans l'enceinte d'une maison de retraite.

Une petite vieille très courbée fait le tour des voitures. Je crois qu'elle va nous aborder mais elle nous ignore en marmonnant. J'insiste pour que nous suivions les murs de la propriété. Je veux comprendre ce que nous voyons, faire le lien avec les photos de l'annonce. Visiblement la maison de retraite est installée dans le corps de logis. Quelle est l'aile à vendre? Impossible de le savoir, de l'extérieur nous ne voyons rien, les corps de logis sont trop imposants. Les photos prouvaient un gros travail d'aménagement intérieur, H. dit que la femme au téléphone était jeune, nous imaginons qu'elle a hérité d'un bien invendable.
— Elle se trompe, dit H. Elle devrait faire des chambres à louer pour les visiteurs qui viennent de loin voir leurs parents.

Nous repartons le cœur assombri par cette ambiance déprimante et par le fardeau qui pèse sur la propriétaire. H. examine la carte, prend des routes «pitto» (pittoresques, bordées de vert sur les cartes Michelin). Nous nous perdons (enfin, c'est relatif puisque nous ne savons pas où nous voulons aller. Retourner vers Fontainebleau), vallons, canal du Loing, c'est joli.
— Ah tiens, il y a un endroit dont je garde un bon souvenir, c'est Moret-sur-Loing. C'était pendant la rando Ram'Jazz en 2011, nous avons pique-niqué sur une plage en laissant les yolettes sur l'eau.

H. est tombé amoureux de Moret-sur-Loing. Coup de foudre, love at first sight.

Las, covid oblige, peu de restaurants, tous pleins. Nous dînons à Fontainebleau avant de rentrer.

Début des recherches

Journée creuse : pas osé continuer à bricoler de peur de faire du bruit un dimanche (visseuse éléctrique). H. regarde les maisons sur le Bon coin pour se faire une idée des prix.
Par nature je suis toujours défaitiste: ça va être trop cher, ce qui nous plaîra ne sera pas dans nos prix et on finira de guerre lasse par prendre quelque chose qui ne correspondra pas à nos envies, etc.

C'est terrible d'être comme ça. Heureusement que le sachant, il est possible de se regarder faire et de ne pas s'écouter, mais la petite voix du doute est là, toujours. L'optimisme marseillais de H. ne la contrebalance pas, au contraire: son estimation de notre maison actuelle (avec son terrain de 980 mètres carré (c'est précis)) ne me rassure pas mais me paraît mirobolante.
Il faut dire que la vente de notre appartement en 1999 pour acheter la maison actuelle me reste comme un cauchemar. Je pense que nous l'avions mis à un mauvais prix, trop bas; nous n'avions pas les bons visiteurs qui essayaient de faire baisser le prix alors que c'était un prix définitif; les visites avaient d'abord eu lieu dans un appartement trop plein (trois enfants en bas âge dans un appartement avec deux chambres), puis dans un appartement vide: deux erreurs.

Cela n'ébranle l'évidence de notre conviction: il faut partir.

Une décision soudaine et irrévocable

Une amie d'AC devait venir la chercher vers onze heures. En attendant nous avons longuement papoté sur la terrasse, essentiellement API (Application Programming Interface : H. a fait une sorte de formation-imprégnation en une demi-heure), management et conduite de projet.

Tard dans l'après-midi (pour éviter la chaleur) nous avons commencé à monter la tonnelle pour supporter le rosier.



Je ne sais plus exactement ce qui s'est passé. Est-ce pendant le repas que nous avons décidé de déménager? le coup de poignard dans le dos du voisin, après la réelection de Clodong (aussi méchant que NDA mais dans le genre insidieux), le RER D insupportable, le futur Leclerc de la gare qui va tuer définitivement la ville, la meulière éventrée en face de chez nous dont les travaux ne reprennent pas qui laisse présager une revente en catastrophe à un promoteur immobilier, les enfants devenus invisibles, la nécessité de changer de club d'aviron parce que l'actuel ne mènera à rien, le déménagement de P., potentiel futur associé de H., dans le sud de l'Essonne…
Je crois que c'est H. qui a posé la question. J'ai répondu oui comme une évidence. Cette certitude immédiate, sans hésitation, qu'il fallait partir est la preuve que nous avons atteint les limites de l'exaspération. C'est comme un dégoût; il faut fuir, recommencer ailleurs, même si nous sommes trop âgés pour ne pas savoir que nous partons avec nous-mêmes — dont nous ne savons pas si nous sommes le problème ou la solution.

Alors après le repas, sur un coup de tête, nous sommes partis à Coudray-Montceaux: H. voulait voir les bords de Seine qui m'avaient tant plu lors des Culs gelés.

A vrai dire Coudray-Montceaux est très laid, à l'image de ces villages "relais de postes" dans Alexandre Dumas, maisons anciennes alignées le long de la route vers Paris, lotissements construits au fur à mesure qu'à l'inverse Paris déborde. Il n'y a que les bords de Seine qui soient beaux — mais très beaux.
Je lui montre dans la nuit la maison aux volets verts qui me poursuit dans mes rêves.

Hébergement

Ce matin il y a beaucoup moins d'élèves en niveau avancé et nous nous retrouvons à deux pour quatre élèves, trois Iraniens et un Turc «d'origine kurde» précise-t-il toujours à l'enregistrement du matin — et c'est aussitôt déchirant de l'enregistrer comme turc.
L'autre animateur a prévu un petit jeu écrit — ce que je trouve étrange et scolaire puisque nous devons faire de la conversation française. Cela nous prend beaucoup de temps et il nous reste une heure pour traiter le thème du jour: la géographie.

Sans doute est-ce parce que j'ai consenti à son idée que l'autre animateur consent à la mienne: demander aux participants de nous expliquer la géographie de leur pays plutôt que nous celle de la France. Le Turc est en minorité devant l'enthousiasme des Iraniens pour leur pays: il faut absolument visiter l'Iran, c'est très beau, très varié (point culture: les plages sont non mixtes ce qui permet aux femmes de se baigner).
Plus tard lors du débrief inévitablement je me demanderai si je n'ai pas eu tort, s'il ne leur aurait pas été plus utile qu'on leur présente la France et ses régions.

Aujourd'hui j'ai appris que le prénom "Sader" voulait dire honnête et que la plupart des prénoms arabes ont une signification.

Le soir nous hébergeons AC, ma copine de St Brieuc. Elle fait une escale en route vers les Vosges.
Nous dînons au restaurant réunionnais en parlant principalement des malheurs (professionnels) d'Hervé.

En vélib

Il y avait moins de participants aujourd'hui, je me suis donc désistée et j'ai tenté d'aller à Nanterre préfecture en vélib. Je n'ai pas trouvé l'entrée du tunnel accessible aux vélos sous la Défenseet j'ai donc fait le tour, je me suis perdue dans Courbevoie et me suis retrouvée le long du cimetière (un sacré détour m'avisé-je maintenant en regardant la carte).

Je suis passée devant les Groues, l'occupation d'une friche à Nanterre. Camping, réparation de vélos, il paraît y avoir pas mal de choses à voir dans cet espace.





Photo un peu sombre car la luminosité était intense (ô paradoxe de la photographie).

Au bureau c'est la dèche: pas de machine à café, pas d'eau chaude pour le thé, le coin cafeteria est fermé. Je mange au self pour la première fois depuis le déconfinement.

Le soir, rencontre apéro avec une député LREM de l'Essonne au golf d'Etiolles. J'ai laissé tomber le Modem car je suis fatiguée de leurs querelles internes — treize ans que ça dure et je ne comprends rien à leurs dissensions. Je me suis emballée à propos de l'éducation, exprimant ma conviction qu'il faut un socle commun de lectures de référence. Je propose quelques fables de La Fontaine et Les trois mousquetaires, rien de révolutionnaire, mais quelque chose que vraiment nous ayons tous en commun — car il nous reste si peu de choses. Quand je l'interroge O. me dit qu'à deux ou trois ans près les jeunes n'ont pas les mêmes références, ne regardent pas les mêmes youtubeurs. Tout est devenu si éparpillé, si difficile à rassembler.

Est-ce ce soir-là que H. m'a demandé dans la voiture où je déménagerais si nous déménagions?
— Soit le long de la Seine vers le sud ce qui te rapprocherait de Pascal, Coudray-Montceaux m'a beaucoup plu, par exemple; soit vers St Germain-en-Laye pour un accès plus direct à la Défense.

Technologies

Le cours d'aujourd'hui portait sur les technologies. Je n'avais pas repéré que nous avions reçu les fiches de vocabulaire via un lien googledoc et je me demandais de quoi il fallait parler. En fait il s'agissait des technologies numériques, tout le vocabulaire des claviers, applications, internet…
J'ai trois élèves, aucun de ceux d'hier n'est revenu (c'est un peu inquiétant). J'apprends que les Iraniens et les Afghans se comprennent, que les Afghans parlent dari et pachtou et que le dari et le farsi sont très proches — mais qu'il existe une multitudes de langues en Afghanistan. (Je n'avais jamais entendu ce mot de "dari").

J'écris tout au tableau, Anne-Lise la prof de FLE reste un moment dans la salle pour voir comment ça se passe. Je joue un peu avec le franglais, «Google it!»
A la fin du cours, B** me demande: «est-ce que tu pourrais me donner un exemple de phrase avec le mot "numérique"? J'ai l'impression de connaître plein de mots que personne n'utilise.»
Je reste sèche.

Débrief. Un animateur en cours avancé a organisé un débat pour ou contre numérique pour les enfants, un autre a simulé l'achat d'un portable à la Fnac. Mince, je n'ai pas du tout pensé à cela, quand j'ai voulu préparer le cours hier j'ai focalisé sur «technologies» parce que je me demandais ce que cela recouvrait, et j'ai oublié l'aspect «conversation». J'exprime ma gêne durant le cours à utiliser certains mots technologiques en sachant le prix de ces objets, on me regarde avec incompréhension. J'exprime ma crainte de trop parler. Plus tard Anne-Lise croisée dans la cour me dira avec son grand sourire doux: «tu es dure avec toi-même».

Belle sortie en quatre, soleil et douceur.
Jean-François, moi, Bertrand et X. Le quatre des deux Eric n'a pas réussi à nous distancer, et comme ils sont imbus de leur force, ils font la tête (mais ils sont lourds, nous étions plus légers et plus techniques: l'aviron est un sport de glisse). Le soir dans la cuisine, j'aperçois des visiteurs à travers la vitre. Joie et bonheur, cela faisait plusieurs années que le dernier avait disparu.



(A noter, la bassine pour les déchets destinés aux poules. Et les limaces, délice des hérissons.)

Premier jour

Première journée à l'école d'été des JRS. Il y a beaucoup de monde dans la cour quand j'arrive, toute une foule joyeuse (en fait environ soixante: le maximum que l'on peut accueillir dans les salles dans le respect des règles sanitaires) qui est filtrée par deux professeurs de FLE qui évaluent leur niveau (débutant, intermédiaire, avancé) avant que chacun ne s'enregistre (ce qui permet de les compter et de prendre leur téléphone pour leur envoyer des sms d'invitation et de rappel) et descendent dans la grande salle prendre un café (ou plutôt du thé: une population, masculine à 90%, qui prend du thé) et manger une tartine (à la confiture de rhubarbe? Ils aiment la rhubarbe? Ne font-ils pas la grimace en en découvrant le goût?)

J'anime un groupe avancé sur le thème des métiers et des professions. Je suis seule avec eux; les animateurs des groupes débutants et intermédiaires sont en binôme. Ils sont trois jeunes hommes, un qui travaille, un qui attend des papiers (ou attend d'être refoulé, si on est pessimiste) et un étudiant, deux Afghans et un Syrien.

Celui qui était salarié travaillait à Auchan au rayon PGC (produits de grande consommation). Par chance j'ai travaillé dans cette enseigne il y a trèèès longtemps (mon premier emploi) ce qui me permet de connaître certains des sigles utilisés. J'ai sans doute trop parlé, je tente de leur donner du vocabulaire pour le quotidien, pour leur permettre de comprendre ce qu'ils entendent autour d'eux ou à la télévision.

Rayons, rayonnage, rayonner de joie: comment dit-on le contraire de rayonner de joie? «Je suis triste, je devais aller en Iran en mars, ma mère avait un visa entre l'Iran et l'Afghanistan, on devait se revoir, puis le covid est arrivé, et maintenant son visa n'est plus bon.»
Il parle de la vie difficile de smicard en région parisienne. Son idée est de faire venir sa famille, mais c'est dur avec un tel salaire. J'explique «coût de la vie»: «tu pourrais aller en province: le salaire serait le même, mais le loyer moins cher.» Mais il m'explique qu'il a besoin de Paris, pour jrs, ses cours de français, pour toutes les structures associatives et administratives. J'explique les départements, les préfectures, les antennes JRS comme Angers, Dijon… (il y en a sept mais je ne les connais pas toutes).

Moslem a expliqué en se présentant qu'il songeait à changer de nom: les Français ne comprennent pas son prénom et imaginent qu'il est en train de dire qu'il est musulman. Il est en attente de papiers et il exprime sa frustration: «je perds mon temps. Un an que je suis là et je ne fais rien, je vieillis, ma vie s'en va». (Je rappelle qu'en attendant la reconnaissance de son statut de réfugiée, une personne ne peut pas travailler, d'où beaucoup de solitude et d'ennui — d'où l'idée des jrs jeunes.)

Séance de débrief ensuite avec tous les animateurs. J'arrive très en retard, (je ne savais pas où c'était) et je n'entends pas ce que disent les autres, dommage. Un animateur de groupe avancé a imaginé un jeu de rôle sous forme d'entretien d'embauche: mais oui, quelle bonne idée, voilà comment les faire parler, plutôt que ce que j'ai fait.
Et je sais qu'il faut que je fasse taire cette voix, que c'était bien, que ça s'est bien passé, que nous avons passé un bon moment ensemble, que tout va bien, et que je dois arrêter de douter.

Le plus dur finalement est de ne parler de rien à la maison. Je ne suis pas sûre que H. apprécie que je rencontre trois réfugiés dans un espace confiné car le virus est toujours une grande source d'inquiétude.

J'ai fini Tchernobyl. Le dernier épisode pourrait être un commentaire de l'époque actuelle: la science n'est pas une idéologie, elle résiste à la propagande. Annoncer 3,5 röntgens de radiation quand la réalité est à 400 ou 4000 ne fera pas descendre le niveau à 3,5. Le mensonge ne peut pas tout cacher.
Soutenir que les vaccins sont nocifs ou que le covid n'existe pas — a ou aura des conséquences réelles sur la vie — et la mort — des gens.

Trois amis (ou plutôt deux)

Le premier a fait un infarctus il y a trois semaines (nous l'apprenons en lui téléphonant pour tout autre chose), le second fêtait ses soixante ans aujourd'hui et était à la maison pour travailler (sa femme nous a prévenu ce matin, je suis sortie acheter du champagne, nous sommes en rupture de stock depuis le confinement), le troisième préfère faire confiance à un homme rencontré deux fois qu'à H. qu'il connaît depuis six ans: la fin de la possibilité de travailler ensemble. H. a le moral dans les chaussettes — et moi aussi.

Il est suffisamment découragé pour accepter vers six heures d'aller voir une annonce immoblilière que j'ai repérée le matin en allant chercher le champagne (en temps normal il aurait eu la flemme).
Malheureusement je n'avais pas vu la mention "vendue" sur les photos de la belle maison de Brunoy.

Ensommeillée

Debout une heure au petit matin, ce qui me permet d'écouter les oiseaux au lever du soleil (en réalité, une demi-heure avant que le soleil n'apparaisse). Je continue la lecture du livre du voisin de Thomas Bernhard (en allemand).
Je me recouche, et, fait exceptionnel, H. se lève avant moi plein d'allant (c'est ce qui est exceptionnel), me réveille, me propose de partir au marché pour prendre le petit déjeuner sur place.
What ?
Je suis passablement embrumée. J'apprendrai plus tard qu'il a du travail et qu'il ne voulait pas me laisser faire le marché seule.
C'est gentil.

Entraînement d'ergo (le moral boosté par la sortie sur l'eau hier matin) puis messe (la première depuis longtemps). L'église peut accueillir cinquante-et-une personnes, annonce une feuille sur la porte. Une affiche par banc indique "place autorisée". Il n'y a pas de quête mais un panier à l'entrée (c'était ainsi dans mon enfance, le curé avait l'habitude de faire la quête à la sortie. C'était plus facile de ne rien donner quand on n'avait pas d'argent (il m'arrivait régulièrement d'avoir oublié ma pièce)); les fidèles ne se déplacent pas pour la communion, c'est le prêtre qui remonte l'allée.

Ayant pris soudain conscience que j'avais bel et bien fini mes années de théologie, j'ai réinstallé CandyCrush. Niveau 1650.

J'avais pour projet de ranger et commencer le ménage ce week-end. Ambition déçue.

Premier épidode de la série Tchernobyl.
Je ne peux que conseiller que La supplication de Svetlana Alexievitch. Déchirant. Mais je n'en finirai pas de conseiller Svetlana Alexievitch.

Samedi

Les sorties de huit heures ont été supprimées : premier créneau à neuf heures. Dommage, pour moi aucune sortie n'est jamais trop tôt, j'aime la fraîcheur, la lumière, sur l'eau.
Vincent m'a donné un nouveau skiff, à priori plus difficile mais sur lequel je me suis sentie beaucoup mieux, beaucoup plus légère. J'ai retrouvé des sensations aériennes que je n'avais plus depuis le déconfinement. Cela m'a remonté le moral car j'en bave depuis la reprise.
J'ai croisé Anne qui envisage des entraînements en huit plus light. Par ailleurs, aucune fille ne s'est inscrite pour ramer en double ou en quatre depuis que c'est possible. La motivation, le désir, est minimum. Je vais aller voir ce que propose Nogent. Si le télétravail se maintient, cela n'a pas de sens de ramer à la Défense, surtout le week-end. Je ne restais que pour le huit — si ce projet est abandonné je n'ai pas de raison de rester à Neuilly.

Pendant que j'étais sur l'eau H. est allé essayer et commander un vélo d'appartement boulevard de Clichy. Il est revenu enchanté. C'était sa première vraie sortie depuis le déconfinement (autre que la pharmacie, le marché ou le boulanger). Je commençais à m'inquiéter (en silence) de ce non-désir de sortir de la maison.

Max et les ferrailleurs au cinéma de la ville. Quel sujet étrange, un flic qui fait arrêter une bande pendant un crime qui n'aurait pas été commis sans son intervention. C'est rythmé mais très lent, et à cause de l'aviron je ne tiens pas en place, je gigote sur mon siège, je ne sais plus quelle position adopter pour soulager les muscles. Heureusement nous sommes huit dans la salle (deux la première fois, cinq la deuxième, huit ce soir: ça progresse).

Il fait froid.

Journée dense

Je suis fatiguée, et quand je rentre, H. est en train de s'énerver au téléphone: un projet sur lequel il travaille depuis des mois, une avancée technologique à laquelle il croit, est menacé par l'un des associés ("le voisin") qui pense pouvoir faire de l'argent facilement sans se plier au lent déploiement nécessaire.
Dans la boîte aux lettres une enveloppe: j'ai ma licence de théologie (baccalauréat canonique) avec mention Bien. (P*** neuf ans).

Journée dense.
Le matin, des profs de FLE (Français comme Langue Etrangère) nous expliquent la méthode (parler lentement, clairement, répéter beaucoup, insister sur la prononciation, féliciter, etc.) et nous présentent des outils (thèmes, fiches de vocabulaire,...).

L'après-midi, répartition des sept rôles de chaque matinée (café, accueil, administratif) et des goûters pour l'ensemble du mois.
Petits jeux, amusants, tournés vers la libération de l'énergie (tandis qu'hier c'était plutôt la mémorisation des prénoms). Leur simplicité m'enchante, comme se mettre sur deux files (soit deux groupes de dix) et se classer sans parler par ordre alphabétique des prénoms ou de mois de naissance. C'est tout simple et très amusant.

Jeux de rôles, "que faire si" : si un participant drague, s'il accapare la parole, s'il avoue être à la rue et appelle au secours, si une dispute se déclenche, si un groupe de même langue se renferme sur lui-même et ne participe pas…
En gros, il faut garder son calme et en référer aux organisatrices.
A propos d'un participant qui coucherait à la rue : — Ne culpabilisez pas. Vous constatez les situations, vous n'en êtes pas responsable. Ne prenez pas sur vos épaules un fardeau trop lourd.
A propos de se sentir inutile, de ne pas être sûr d'être utile : — Il faut l'accepter. Vous ne saurez jamais si ce que vous faites est utile, si les gens en face en retirent quelque chose. Il faut l'accepter.

Ce que j'aime et me paraît difficile (difficile de ne pas prendre une posture professorale), c'est le principe de réciprocité au cœur de la démarche: nous venons proposer de la conversation en français, mais les "élèves" peuvent proposer de la musique, du sport, de la danse, de la cuisine, du théâtre, n'importe quoi dans lequel ils sont compétents et qu'ils ont envie de partager: les ateliers de l'après-midi servent à cela.
J'essaierai d'y assister la dernière semaine de juillet (le reste du mois je ne participerai qu'aux conversations du matin).


Vélib matin et soir. Géniaux, les domaines cyclables. De gare d'Austerlitz à rue de Seine dans des couloirs réservés. Il y a clairement une aristocratie des cyclistes en fonction des vélos — je suis tout en bas sur mon Vélib.
Acheté une nappe orange pour le salon et des sandales en remplacement de celles cassées à Tarascon il y a quatre ans.

Amicothérapie

Choc : je suis la seule de mon âge dans un groupe de vingt. Il est possible que deux ou trois aient trente ans, mais c'est un maximum. La plus jeune passe en terminale l'année prochaine. Je ne pensais pas être une telle exception. Cela m'intimide.
Une majorité de filles, dix-sept sur vingt.

Constatation (connue (de moi) mais renouvelée): l'efficacité du réseau jésuite. Tous viennent d'écoles tenues par des jésuites ou d'universités dont les aumôniers sont jésuites. J'ai l'impression de me revoir moi-même à Sciences-Po… sauf qu'à âge équivalent ils ont voyagé bien plus que moi (ô ce regret d'avoir fait mes études avant la chute du mur). Et puis je faisais partie des "pauvres" à Sciences-Po, et eux non.

Explication du statut des réfugiés (définition juridique. Photo d'un powerpoint projeté au mur) :



«En France on appelle étrangers des gens qui ne le sont pas: ils sont nés ici, ils n'ont pas d'ailleurs. Ça génère beaucoup de frustrations.»

La proposition jrs se décline en sept programmes.

J'aime bien les grains de sagesse jésuite (jèz pour les intimes) que sème le père Antoine (il me semble que c'était Antoine):
— Qui ici a vécu la position d'être étranger? (Quelques mains se lèvent.) C'est fondateur. Le jour où vous descendez d'avion et que vous êtes le seul Blanc et qu'on va bien voir que vous n'êtes pas d'ici, vous comprenez quelque chose. Et ne rien comprendre, une autre langue, un autre alphabet… (Et soudain je me demande, comme dans une psychothérapie inattendue, quelle part joue dans le fait d'être là le fait d'avoir grandi au Maroc.)
«Les gens passent, ils ne vous appartiennent pas. A un moment ils ont besoin de partir, il faut l'accepter»; «un atelier d'amicothérapie»; «si vous vous sentez plus proches des migrants qui passent que de l'équipe dans laquelle vous travaillez ou que de votre famille, quelque chose ne va pas, ce n'est pas sain»; «les migrants sont placés six semaines en famille d'accueil. Pas plus de six semaines, parce qu'ils doivent construire leur vie, pas s'incruster dans la vôtre»; «vous ne pouvez sauvez personne. Vous saurez ce qu'ils vous apportent, vous ne saurez jamais ce que vous leur apportez. Il faut l'accepter»; «chaque fois que vous créez un groupe, vous créez un dedans et un dehors. Certeau l'a théorisé. C'est difficile, il faut en être conscient»; «une langue, c'est une manière d'apprendre à se connaître. On dit dans une langue des choses qu'on ne dirait pas dans une autre».

Déjeuner, végétarien par défaut, avec quelques tranches de jambon à part.

Après-midi sur le droit d'asile : les procédures juridiques françaises — et européennes quand les deux se croisent. C'est épouvantablement compliqué, je ne comprends pas comment un migrant ne parlant pas français a une chance de sortir du labyrinthe.
Je retiens que les audiences du CNDA (cour nationale du droit d'asile) à Montreuil sont publiques, qu'il est conseillé d'y aller une ou deux fois pour avoir une idée des dossiers traités là.

Pierre raconte toutes les embûches, le trafic des tickets de queue dans les préfecture, le jour où la préfecture de Nanterre a ouvert la porte du fond et non la porte principale, rendant caduque l'attente de ceux arrivés à trois heures du matin, ceux qui achètent des «récits de vie infaillibles» (pour obtenir le droit d'asile) à des compatriotes peu scrupuleux et se font débouter parce que leur récit ressemble à des dizaines d'autres (il me semble que Kaurismäki en parlait dans De l'autre côté de l'espoir).

Pierre sourit tout le temps, la bouche fermée, les yeux rieurs, comme s'il s'excusait de raconter des trucs révoltants, injustes, sur un fil, qui mettent en jeu la vie des gens.

En fin de journée nous abordons le planning. Je dois venir tous les matins de juillet du mardi au vendredi. Peut-être poserai-je une journée de congé le lundi 27 pour participer à la dernière randonnée du mois.

Préparation de la saison prochaine

Les certificats de sport se demandent désormais tous les deux ou trois ans. Je devais renouveler le mien, j'ai pris rendez-vous pour une téléconsultation.
«Une téléconsultation pour un certificat de sport? On arrive aux limites de l'exercice» a commenté mon médecin.

Entraînement calamiteux en salle: une minute à cadence de référence, une minute à cadence de récupération, huit fois, huit minutes de récupération et de nouveau une série de seize minutes : la deuxième fois je n'ai pas du tout tenu les temps.
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