Grâce à ce site dont je ne chanterai jamais assez les louanges (un travail indépendant et d'une telle qualité, poursuivi aussi longtemps : comment est-ce possible?), je découvre que la question «Peut-on éthiquement limiter l'offre de soins à un malade nécessitant des traitements coûteux pour des raisons budgétaires ?» (ainsi que l'Angleterre avait envisagé un temps de le faire: plus de dialyse au-delà d'un certain âge, pas de traitement du cancer du poumon si vous étiez fumeur, etc) a été très officiellement posée en France, et que le Comité consultatif national d'éthique y a très sérieusement répondu.

Je vous laisse savourer le résumé de Gérard Bieth:

[La] question [a été] posée en 2004 par l'ex-directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au Comité consultatif national d'éthique. Ce dernier a rendu un avis très prudent après trois ans de réflexion.
Le CCNE émet un certain nombre de recommandations, notamment :
- de réintégrer la dimension éthique et humaine dans les dépenses de santé, afin de permettre à l'hôpital de remplir de manière équilibrée l'ensemble de ses missions, et pas uniquement les plus techniques ou les plus spectaculaires.
- d'adapter les échelles d'évaluation des activités en vue de traiter de manière appropriée les différentes missions de l'hôpital.
- de se réinterroger sur la mission primaire essentielle de l'hôpital qui a dérivé vers un service public, industriel et commercial débouchant sur un primat absolu donné à la rentabilité économique.
- d'ouvrir l'hôpital à une dimension réunissant le "sanitaire" et le "social" (dépendance, adolescence, précarité etc.), en promouvant autour de la personne une meilleure coopération de l'hôpital avec des structures extérieures (soins de longue durée, HAD, ...)
- de s'assurer du maintien du lien social pour éviter que la personne ne sombre dans l'exclusion une fois le diagnostic fait et le traitement entrepris.
- ou encore de rendre aux arbitrages leur dimension politique, sans les déléguer aux seuls responsables hospitaliers.
En conclusion, le CCNE estime que "la garantie d'un accès juste aux soins de qualité n'est pas en contradiction avec une rigueur économique. L'adaptation permanente de l'offre de soins aux besoins démographiques, aux modifications épidémiologiques, aux progrès technologiques justifient plus que dans n'importe quelle activité humaine des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens, et en même temps susceptibles d'être sans cesse remis en question en gardant comme objectif central le service rendu aux plus vulnérables".

L'Avis n° 101 - Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier est disponible ici.

(Si je comprends bien, la réponse est non, malgré tout.)