J'attendais qu'on me parle de Dostoïevski et de traduction, c'est un documentaire sur Svetlana Geier qui parle de Svetlana Geier.

Mais maintenant que vous êtes ainsi prévenus, vous ne serez pas déçus. Femme frêle aux cheveux blancs, inflexible sur les virgules ou l'imparfait.
J'ai beaucoup aimé l'homme qui la relit ligne à ligne: «Ich kapituliere». (voir la bande-annonce)
Cher monsieur, ce n'est pas exactement comme si vous aviez le choix.

La vie de Svetlana Geier comporte deux miracles, deux exceptions: un père sorti des geôles staliniennes, un passeport allemand accordé à une étrangère pendant la guerre.
Film lent, montage d'images d'archives, film qui suit une vie qui a suivi l'histoire: les purges, donc, la guerre, l'arrivée d'Hitler vu comme un libérateur par une partie de la population (et j'ai pensé à cette famine ukrainienne dans les années vingt ou trente dont on voit la trace sur les pyramides démographiques encore aujourd'hui), Babi Yar en quelque sorte occulté (A. choquée à la sortie: «— Mais comment a-t-elle pu travailler pour les Allemands qui avaient tué son amie? — Tu sais, elle le dit quand elle parle de son père: on oublie ce qui nous empêche de vivre»), et l'Allemagne: «Je serai toujours reconnaissante de ce que les Allemands ont fait pour moi», phrase étonnante, vaguement choquante pour des Français (en tout cas pour moi, tellement habituée à associer les Allemands à l'horreur).

Mais les Ukrainiens avaient connu Staline...

Les passages où elle parle de littérature ou ceux où on la voit traduire sont de purs enchantements.






Svetlana Geier est morte le 8 novembre 2010 (le film a été tourné en 2008). Elle avait eu le temps de finir la traduction des cinq éléphants.