Encore de l'art contemporain

Hier, autour de 18 heures, je feuillette Beaux-Arts magazine de novembre. Un article attire mon regard, car il reprend l'un des points soulevés par Commande publique: «Enquête sur les restaurateurs de l'impossible face à Koons, Hirst... L'art contemporain à durée limitée?»

Je regarde les photos. Finalement, mon problème n'est pas que je n'aime pas l'art contemporain, c'est que je n'arrive pas à le prendre au sérieux. Si l'on excepte quelques œuvres affreuses, et quelques autres terrifiantes (et donc très fortes, sans doute les meilleures, supposé-je (mais qui a envie de vivre avec une œuvre terrifiante dans son salon, une œuvre qui vous donne envie de hurler de terreur ou de désespoir?)), j'ai toujours l'impression d'être en face d'une bonne farce. Les discours très abstraits sur le thème me complexent terriblement : quand je vois une gigantesque peau de banane suspendue au plafond, dont deux pans sont relevés à l'aide de câbles, découvrant l'empreinte d'un corps d'homme dans le corps de la banane, j'ai avant tout envie de rire. Ce n'est pas que cela ne me plaise pas, mais j'ai envie de rire, et je me demande pourquoi tout le monde ne rit pas: une impression de roi nu.


Autre photo, petite, bleue. Il s'agit de paquets de Gauloises.

Je copie la légende de la photo:

Pierre Buraglio, Gauloises. 1978, assemblage de paquet de cigarettes, 200x200 cm.
Pour assembler ce panneau de 336 paquets de Gauloises bleues, Pierre Buraglio avait utilisé des bandes de Scotch qui ont jauni avec le temps. Les restaurateurs les ont retirées et les ont remplacées par des matériaux plus stables, tout en s'interrogeant: la seule trace autographe de l'artiste étant d'avoir posé ce Scotch, en le retirant ne risquait-on pas d'annuler son geste?

Le panneau me plaît, l'idée me plaît, la couleur me plaît... mais quand je lis cette légende, j'ai à nouveau envie de rire: comment peut-on être si pompeux devant une chose aussi ludique? Ou alors cette légende n'est pas pompeuse, mais tongue in cheek? Comment savoir, comment décider, je ne connais rien des codes de ce monde-là.
Et je m'interroge: je croyais que ce qui comptait, c'était l'idée, davantage que "la trace autographe". L'idée d'un panneau de Gauloises subsiste, quel que soit l'adhésif. Alors? Y aurait-il réapparition de la technique, un artiste étant finalement jugé dans sa capacité à durer, au sens le plus concret du terme (sens de la matière, des matériaux, retour à l'antique problème de la conservation de la couleur et des textures)?

La réforme des universités

Il y a une semaine déjà, je découvrai cet appel, lancé par l'université Paris VIII, contre la loi dite "pour l'autonomie des universités". J'oscillai entre l'agacement et le rire: d'une part un ministre de Sarkozy déclarerait-il "le ciel est bleu", l'université de Paris VIII s'exclamerait en coeur "Parfois il est gris, d'autres fois il est noir" (et ce ne serait pas faux, bien sûr, néanmoins, pourrait-on considérer pour autant que le ciel n'est pas bleu? (sachant qu'en fait il est incolore, mais passons)); d'autre part il faut un certain souffle pour se déclarer publiquement contre "l'excellence": des professeurs et des chercheurs ne doivent-ils pas naturellement viser l'excellence, le meilleur en eux?

Je ne pense pas que le financement privé soit la meilleure solution. Cependant, nous pouvons constater la faillite du système actuel: locaux vétustes (en 2002, les toilettes à la turque du Mirail à Toulouse, sans eau chaude ni savon ni sèche-main, m'ont rappelées celles de mon école primaire à Agadir en 1974), parfois dangereux, administration parfois incompétente et surtout sans volonté (histoire de l'étudiante visible/invisible qui avait un O et non un 0 dans son identifiant informatisé (ce n'est qu'un exemple, bien entendu: histoire de cette amie attendant sa bourse tandis qu'elle préparait son agrégation, ne prenant plus le bus, se lavant au gant de toilette pour économiser l'eau chaude, etc. (c'est Zola, je sais, Skot: 1995)), professeurs recrutés par cooptation (je suis pour la cooptation: il est normal de souhaiter travailler avec ceux dont on sait qu'ils ont les mêmes valeurs et les mêmes aspirations que vous, c'est même un gage de qualité — à condition de ne pas être médiocre soi-même!) alors que des concours sont ouverts pour pourvoir les postes vacants et que des candidats naïfs, ne connaissant pas ces subtils rouages français, passent des semaines à peaufiner leur candidature et leur dossier...

Bref, le financement privé ne sera pas un remède universel: d'abord il sera probablement insuffisant, d'autre part la provenance et l'utilisation des fonds devront être contrôlés. Mais cette loi propose un changement, et au point où on en est, cela ne peut qu'être bénéfique: dans cinq ou dix ans, il sera nécessaire d'évaluer les résultats de cette politique et y apporter des réformes, de fond ou à la marge en fonction de ses résultats. En d'autres termes, je suis pour un pragmatisme raisonné.
Sur ce site, on rit et se gausse de l'appel lancé par Sciences-Po, qui sans attendre part déjà à la recherche de fonds. Il est paradoxal que les auteurs de ce billet ne se rendent pas compte qu'ils sont en train de faire la promotion de ce qu'ils dénoncent: on peut penser ce qu'on veut de Richard Descoing, mais sa méthode offensive et très marketing a donné de bons résultats: Sciences-Po est une maison connue et reconnue, donc sa méthode est valable, du seul point de vue qui devrait intéresser les étudiants: trouver un emploi (et construire une carrière) à leur goût correspondant à leurs compétences et leur permettant de vivre.

Les sphères plus littéraires et celles des sciences sociales seront-elles sacrifiées par des financements privés? Je ne le pense pas; cependant, il est probable qu'elles devront rétrécir en volume: moins d'étudiants, moins de professeurs, davantage d'exigence sur leur niveau (je suppose, cela n'engage que moi. (Mais peut-on réellement regretter qu'il y ait moins d'étudiants en psychologie?)) Je rappelle pour mémoire que Marc Fumaroli enseigne aux Etats-Unis depuis que le Collège de France a considéré qu'il avait atteint la limite d'âge pour un professeur, que les grands proustiens sont au Japon et que Claude Simon a d'abord été reconnu aux Etats-Unis (pour parler du peu que je connais, mais je suis sûre que l'on pourrait trouver d'autres exemples dans d'autres domaines des arts, de la littérature et des sciences humaines): le grand capital n'a pas fait disparaître toute aspiration à la culture.


Enfin, pour le plaisir, bien qu'il s'agisse de faits un peu anciens, je mets en ligne le récit de Pierre Hadot à propos des nominations au CNRS. Vous pourrez m'objecter que cela a sans doute changé depuis, rien n'est moins sûr d'après ce dont j'ai été témoin à deux reprise dans un autre domaine. Vous noterez que dès 1968-69, Pierre Hadot citait l'étranger en exemple.

J'ai appartenu au CNRS pendant quatorze ans à peu près. Etant donné la précarité de la situation des chercheurs à cette époque-là, qui était la période encore presque héroïque du CNRS, je m'étais inscrit dans un syndicat, la CFDT, pour être si possible défendu en cas de licenciement. Et comme d'ailleurs les effectifs de la CFDT n'étaient pas très grands à cette époque, j'ai même été obligé d'assumer certaines fonc­tions syndicales, dans le secteur des sciences humaines, alors que Mademoiselle Yon, biologiste, s'occupait des sciences exactes. Il s'agissait par exemple, quand les chercheurs ont eu le droit d'avoir des délégués dans les commissions, de choisir des représentants de la CFDT qui pourraient y siéger. J'ai moi-même été élu dans la commission de philosophie à titre syndical. Cela m'a permis de participer au fonctionne­ment du CNRS et de voir comment cela se passait. A mon humble avis, à cette époque, la manière dont les chercheurs étaient recrutés était assez défectueuse. C'était le principe do ut des [«je donne pour que tu donnes »] qui régnait.
Exemple caractéristique : pendant une séance à laquelle j'ai participé, le président de la commission, qui avait quelques semaines auparavant choisi les rapporteurs qui devaient lire en séance leurs appréciations sur le dossier de tel ou tel candidat, avait donné le dossier de son poulain à Monsieur X, et avait pris, lui, pour en faire le rapport, le dossier du poulain de Monsieur X. Mais j'ai su après coup qu'il avait préparé deux rapports : un rapport favorable, dans le cas où Monsieur X remplirait le contrat, un autre défavo­rable, dans le cas où Monsieur X ne le remplirait pas. Il s'est trouvé que Monsieur X a rempli son contrat. Le candidat du président a donc été admis, et, par suite, le poulain de Monsieur X. Aux yeux de ce président, peu importait la valeur réelle du candidat de Monsieur X. Il était seulement un moyen de récompense ou de vengeance.
Par ailleurs, le syndicat CFDT n'était pas très puissant au CNRS, du moins à cette époque, si bien que pour être admis comme chercheur, il fallait être soutenu par le syndicat national des chercheurs scientifiques, lié à la FEN. Lorsque, devenu directeur d'études à l'EFHE, après 1964, j'ai voulu présenter un candidat, qui était quelqu'un de tout à fait remarquable, et qui a fait ses preuves depuis, je n'ai pas réussi à le faire admettre. Pendant trois années de suite, j'ai présenté le même candidat, sans résultat. Après quoi je lui ai dit faites-vous présenter par l'autre syndicat; allez voir Untel. Il a été pris immédiatement, l'année d'après. Donc le recrutement ne se faisait pas selon la valeur des candidats, mais selon la politique syndicale.
On nous avait demandé, en 1968 ou 1969, des conseils pour la réforme du CNRS. Dans une lettre au directeur des Sciences humaines de l'époque, j'ai écrit qu'il serait bon de choisir un système analogue à celui qui existe à l'étranger, soit en Allemagne, soit en Suisse, et je crois aussi au Canada, où, qu'il s'agisse du recrutement d'un chercheur ou de la constitution d'un laboratoire de recherches, ou d'une subvention pour un livre, on demande un rapport à des spécialistes extérieurs à la Commission et qui même, très souvent, sont étrangers au pays.
Cette prépondérance de certaines personnalités universi­taires ou syndicales a nui, je pense, dans certains secteurs, au développement harmonieux du CNRS, au moins dans le domaine des Sciences humaines. Quand j'étais dans la Commission de philosophie, j'avais coutume de dire : dans la nature, c'est la fonction qui crée l'organe, mais au CNRS, c'est l'organe qui crée la fonction. Je voulais dire par là que, si le puissant professeur ou le puissant syndicaliste Untel avait envie d'avoir un laboratoire subventionné, il lui suffisait de présenter un vague projet de recherche, qui était tout de suite jugé indispensable, sans que la Commission se demande sérieusement si ce projet était vraiment urgent et utile, dans le cadre général de la discipline. J'avais d'ailleurs fait rire un jour une Commission de réforme du CNRS, en parlant, dans une métaphore terriblement incohérente, des « requins qui se taillent la part du lion ». J'avais l'excuse d'être furieux.

J.C. : Vous n'êtes sans doute pas plus tendre à l'égard du fonctionnement des bibliothèques universitaires ?
Je laisse de côté le problème bien connu de la Bibliothèque nationale de France, pour m'en tenir aux bibliothèques universitaires. Quand on a été dans les autres pays, et qu'on a vu des bibliothèques au Canada, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse (je n'ai pas été aux Etats-Unis), on constate que les étudiants ont un accès aux documents beaucoup plus facile et plus abondant qu'en France. Au Canada, j'ai vu des bibliothèques où il y a des petits bureaux, dans lesquels les étudiants peuvent travailler et utiliser des ordinateurs. En Grande-Bretagne et au Canada, les étudiants ont accès aux rayons des bibliothèques. En Allemagne, il y avait un accès aux rayons à la biblio­thèque de Francfort; à Berlin, dans une immense salle, les étudiants avaient sous la main pratiquement toute la littérature utile, tous les livres de base, les collections de textes, les collections historiques. Dans la salle de lecture de la bibliothèque de la Sorbonne, il y a quelques dictionnaires, et puis — et c'est un progrès énorme —, la Collection des Universités de France (les textes bilingues du fonds grec et latin), mais finalement, c'est très insuffisant.
Le plus préoccupant est que les étudiants, qui ont beau­coup de mal à trouver une place, ont toutes les peines du monde à obtenir les livres qui sont ou à la reliure, ou empruntés ou volés. Il y a plusieurs années, pendant un hiver, la moitié de la salle de lecture de la bibliothèque de la Sorbonne a été plongée pour partie dans l'obscurité; cela a duré plusieurs mois sans que la moindre réparation soit faite : ou bien les étudiants venaient avec des lampes de poche, ou bien ils ne venaient pas. À l'époque, j'avais fait une protestation auprès de l'administrateur de la bibliothèque, ce qui n'a servi à rien. Peut-être faute de crédit ! Mais n'était-ce pas un cas où des crédits auraient dû être débloqués d'ur­gence ? Il faudrait parler aussi de la grande misère des biblio­thèques de province. J'avais une fois critiqué devant Marrou la qualité d'une thèse de doctorat. Il m'a répondu : « Oh, que voulez-vous, il travaille en province. »

Pierre Hadot, La philosophie comme manière de vivre, Albin Michel - 2001, p.81 à 85

Certains repas sont plus fatigants que d'autres

— Il m'a insultée; il m'a traitée de conique!

— La structure du centre Beaubourg est globalement tubulaire, localement cylindrique.

— Donc pour toi, aucun problème entre l'œuf et la poule?
— Aucun, on a toujours d'abord un œuf.
— Mais comment tu as l'œuf?
— A la base, par un lézard. Enfin bon, sauf du point de vue théologique, dans ce cas, on a d'abord une poule: Dieu a créé la poule.

— On est tous des cônes.

— Mais Louis XIV était enfant, sa mère était gérante...
— Gérante?
— euh...
— Celle-là, je te jure que je la mets sur mon blog.

Observateur impartial

Sur le trottoir rue Vaugirard, tôt le matin (il fait encore nuit), un vieil Arabe, visage tanné et bonnet de laine en jacquard, murmure en regardant la nuée de vélibs et les piétons pressés:

— Y a quique chose qui va pas en France.

Pourquoi réformer les retraites puisque nous serons morts étouffés ou privés d'énergie avant que le problème des retraites ne se pose vraiment ?

Le dernier commentaire de Skot m'a rappelé cette courte étude publiée par Flash CDC Ixis le 16 juin 2004. Le rédacteur en est Patrick Artus.
Cela se présente sous forme de sept pages pleines de chiffres et de graphiques :

Introduction

Nous montrons que la croissance mondiale, l’évolution de la consommation d’énergie des émissions de CO2 par unité produite, le déplacement de la croissance mondiale vers des zones peu efficaces technologiquement, et émettant beaucoup de CO2 par unité de production, devraient rendre les problèmes de ressources énergétiques et le niveau global d’émission de gaz à effet de serre insupportables avant que le vieillissement démographique ne devienne un phénomène global.

Je ne recopie pas l'ensemble des données (graphiques extrapolant la population, les émissions de CO2, la productivité, le PIB, en Chine, en Russie, au Japon, au Etats-Unis et pour la zone euro à partir des chiffres de la World Bank, la DRI, l'EIU et CDC Ixis). (Je tiens le pdf à disposition sur simple demande). J'en arrive directement à la conclusion :

Beaucoup de pays réfléchissent aux moyens d’équilibrer les régimes de retraite à l’horizon 2030-2040. A cette date, le vieillissement aura atteint les Etats-Unis et la Chine (graphique 13), au Japon et en Europe, la population de plus de 60 ans sera pratiquement égale à celle de 20 à 60 ans.
Mais les calculs faits précédemment montrent que, même avec des hypothèses favorables, en 2040 la consommation d’énergie et les émissions de CO2 auront l’une et les autres été multipliées par 3 (voir graphiques 11 c/12 c), rendant probablement la planète invivable. Quelle est alors l’utilité du rééquilibrage des régimes de retraite ?


Voilà. Nous pouvons donc vaquer tranquilles à nos occupations.
(Je me demande encore si ces pages sont un canular. Elles négligent que rien n'est égal par ailleurs, et que les extrapolations sont sans doute toutes fausses. Par exemple, les extrapolations de population des années 1970 étaient toutes trop fortes par rapport à ce qui s'est réellement passé. Cependant, l'étude retient deux hypothèses de travail, dont une "optimiste". Alors?)

Livres rares et précieux

Un récent article du Point m'apprend que les éditions Puf vont publier des fac-similés des livres et manuscrits détenus par la fondation Bodmer à Genève.

(Encore des idées de cadeaux de Noël).

Les classiques sont increvables

Lorsqu'une pièce s'intitule Tout Shakespeare en une soirée et qu'elle dure une heure, moi, naïvement, je m'attends à un condensé humoristique des pièces de Shakespeare — peut-être pas de toutes mais au moins des plus célèbres — reprenant leurs lignes de force et les personnages principaux. J'espère une espèce d'article Wikipedia sur scène, quelque chose de drôle et de vivant qui joue comme un aide-mémoire.

Nous nous sommes retrouvés devant un tilleul (très beau, d'ailleurs, un magnifique poster scolaire) et deux acteurs auxquels je m'empresse de préciser qu'il n'y a rien à reprocher.
Je retiens "les classiques sont increvables"; le pape baise la terre d'Autriche; l'archevêque de Vienne s'entend très bien avec le pape, après les répétitions ils boivent ensemble un demi-coca frappé (ayant décidé d'envoyer l'autre moitié aux assoiffés d'Ethiopie). Vienne n'est pas une bonne idée pour un Allemand, surtout le Burgtheather. "Nous avons sous-estimé la culture et la haine viennoises".

Je retiendrai de cette heure pendant laquelle j'ai failli m'endormir (ce qui est très gênant dans une salle si petite) que décidément je n'aime pas le théâtre absurde, l'absurde ne me fait rire que "dans la vraie vie".
Ici j'ai attendu Godot, et je me suis beaucoup ennuyée.


Tout Shakespeare en une soirée de Thomas Bernhard au Théâtre du Nord-Est.

Petites légumes

Via Techbee, une série de photos de légumes qui vaut le détour.

(Finalement, je suis en train de remonter aux origines du blog: signaler ce qui plaît (ou ce qui indigne), établir une sorte de surveillance croisée et généralisée de la toile. J'en profite donc pour signaler un arbre généalogique de Palamède, un cours d'agrégation, toujours sur Charlus, et des photos autour de La Recherche.).


Màj: j'ajoute une grille de loto pour profs qui s'ennuient en réunion.

Voiliers

Comme dirait Louis XVI, "rien".
Du vélo, des vélos, il fait froid. Beaujolais nouveau, pas trop mauvais, réchauffant.

Pascal Perrineau analyse l'opinion des Français face à "l'ouverture" (mais le mot ne sera jamais défini. Par recoupement, on déduira qu'il s'agit du contraire du protectionnisme ou du conservatisme): rien de transcendant, même pas de quoi remplir un billet, mais il est drôle. Le grand clivage entre les Français aujourd'hui n'est plus la classe sociale ni l'opinion politique, mais la réponse donnée à la question «A votre avis, la mondialisation est-elle plutôt une chance pour la France?» 51% des Français répondent non, 48% oui.

L'eurobaromètre permet de poser les mêmes questions dans tous les pays de l'Union européenne. Les Français font souvent partie des plus pessimistes. Nous sommes les premiers consommateurs d'antidépresseurs au monde.

En passant devant l'hotel Lutetia, je remarque un tourbillon derrière une vitre:


Il s'agit de minuscules bateaux en papier.


Je n'ai pas retenu le nom de l'artiste, ce n'était d'ailleurs pas très clair. Ricardo quelque chose, sans doute.

Ethique, finances publiques et solidarité

Grâce à ce site dont je ne chanterai jamais assez les louanges (un travail indépendant et d'une telle qualité, poursuivi aussi longtemps : comment est-ce possible?), je découvre que la question «Peut-on éthiquement limiter l'offre de soins à un malade nécessitant des traitements coûteux pour des raisons budgétaires ?» (ainsi que l'Angleterre avait envisagé un temps de le faire: plus de dialyse au-delà d'un certain âge, pas de traitement du cancer du poumon si vous étiez fumeur, etc) a été très officiellement posée en France, et que le Comité consultatif national d'éthique y a très sérieusement répondu.

Je vous laisse savourer le résumé de Gérard Bieth:

[La] question [a été] posée en 2004 par l'ex-directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au Comité consultatif national d'éthique. Ce dernier a rendu un avis très prudent après trois ans de réflexion.
Le CCNE émet un certain nombre de recommandations, notamment :
- de réintégrer la dimension éthique et humaine dans les dépenses de santé, afin de permettre à l'hôpital de remplir de manière équilibrée l'ensemble de ses missions, et pas uniquement les plus techniques ou les plus spectaculaires.
- d'adapter les échelles d'évaluation des activités en vue de traiter de manière appropriée les différentes missions de l'hôpital.
- de se réinterroger sur la mission primaire essentielle de l'hôpital qui a dérivé vers un service public, industriel et commercial débouchant sur un primat absolu donné à la rentabilité économique.
- d'ouvrir l'hôpital à une dimension réunissant le "sanitaire" et le "social" (dépendance, adolescence, précarité etc.), en promouvant autour de la personne une meilleure coopération de l'hôpital avec des structures extérieures (soins de longue durée, HAD, ...)
- de s'assurer du maintien du lien social pour éviter que la personne ne sombre dans l'exclusion une fois le diagnostic fait et le traitement entrepris.
- ou encore de rendre aux arbitrages leur dimension politique, sans les déléguer aux seuls responsables hospitaliers.
En conclusion, le CCNE estime que "la garantie d'un accès juste aux soins de qualité n'est pas en contradiction avec une rigueur économique. L'adaptation permanente de l'offre de soins aux besoins démographiques, aux modifications épidémiologiques, aux progrès technologiques justifient plus que dans n'importe quelle activité humaine des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens, et en même temps susceptibles d'être sans cesse remis en question en gardant comme objectif central le service rendu aux plus vulnérables".

L'Avis n° 101 - Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier est disponible ici.

(Si je comprends bien, la réponse est non, malgré tout.)

Cela demande réflexion

Vendredi matin, je contemplais mélancoliquement quelques mots de la pub pour le combi volkswagen «[...] on change de femme, on change pour un homme, [...]», en me disant que décidément cette pub avait bien saisi l'air du temps, quand miraculeusement j'ai reçu un mail qui contenait quatre photos réconfortantes.









Instructif

Une solution simple pour remplir son blog, c'est de commenter celui des autres.

Donc c'est l'anniversaire de Kozlika, et elle le fête en parlant d'un sujet ma foi rarement abordé.

Dimanche

Bizarrement, l'ennemi numéro 1 de mon blog serait plutôt le désœuvrement: autant dans un esprit de pure contradiction j'arrive toujours à l'alimenter lorsque j'ai mille choses plus urgentes à faire, autant je ne sais plus quoi écrire dès que j'ai du temps.
Or j'en ai.
J'ai si bien délégué en cette rentrée que je dois avoir gagné huit heures par semaine, destinées à l'origine à un projet plus personnel. Mais tout ce temps "libre" me donne le vertige et je n'en fais rien, je ne sais pas comment commencer.
Alors je range. On ne chante pas assez les vertus tentatrices du rangement: cela occupe les mains, peu l'esprit et donne bonne conscience. Surtout, c'est une tâche quasi infinie puisqu'elle s'auto-génère.

Pendant qu'on range, on peut penser à autre chose, par exemple se demander si ce blog n'est pas trop incohérent dans ses destinataires/destinations: d'une part destiné à être gougueulisé avec ses longs passages "fiches de lecture de quatrième" (il faut bien compenser la démission de certains (et quand un blogueur[1] vous aborde en vous faisant remarquer les décorations corinthiennes d'un immeuble hausmannien sur deux étages, vous vous dites qu'il n'y a plus le choix: arrêter ce genre de billets ou les poursuivre jusqu'à l'indigestion)), d'autre part destiné à quelques amis à qui je donne ainsi quelques nouvelles (et donc ne concernant pas les internautes de passage), sans compter les billets que je remplis de ce que j'ai vu ou lu afin de me servir de ce blog comme d'un index personnel.
"Tu gamberges trop", me disait René.

Dimanche soir, j'ai regardé La mort dans la peau, le deuxième film de la série donc, après avoir vu le troisième, La vengeance dans la peau, intriguée par ce billet. (La semaine précédente, je m'étais endormie avant la fin du premier, La mémoire dans la peau.)
De film en film l'action s'accélère; c'est dans le deux que se fait la transition vers toujours davantage d'ellipses; dans le troisième on arrive en pleine vitesse. J'aime beaucoup les films "à suivre" qui sont pensés ensemble dès l'origine tout en restant compréhensibles indépendamment les uns les autres. Il ne me reste plus qu'à revoir le troisième, puis le deuxième, puis le premier, afin de suivre le maillage des renvois entre les trois. J'ai le soupçon que certains points de la chronologie sont indécidables, comme si tout était déjà là, ce qui est bien le moins concernant les aventures d'un amnésique.

Notes

[1] J'en profite pour signaler à ce blogueur qui s'étonnait du pointillisme de certains la date du 14 juillet 1884.

La plus blâmable

Fais-le, mon cher Lucilius: revendique tes droits sur toi-même, et le temps qui, jusqu'à présent, t'étais enlevé, soutiré, ou qui t'échappait, ressisis-le et ménage-le. Sois convaincu qu'il s'en va comme je l'écris: il est des instants qu'on nous arrache, il en est qu'on nous escamote, il en est qui nous filent entre les doigts. La plus blâmable est la perte par négligence. Aussi, si tu veux bien y prêter attention, la plus grande partie de la vie se passe à mal faire, une large part à ne rien faire, la totalité à faire autre chose que ce qu'on devrait.

Sénèque, Lettres à Lucilius, début de la lettre I. traduction de P. Guisard, Bréal éditions.

C'est la faute à Embruns. C'est à cause de lui que j'ai perdu mon temps à jouer à splash.

Décalque

En résumé, un paradis que je peux imaginer ne m'intéresse pas. (En revanche, je pense pouvoir me faire une représentation assez exacte de l'enfer.)

Rentrer chez soi

17h. Histoire de l'art. Vocabulaire : un triglyphe, une métope, une échine, un tailloir, un antéfixe, une acrotère, l'opisthodome ou adyton (en grande Grèce et en Sicile).
L'architecture, la mimesis, Platon, l'Idée, la représentation de l'Idée, la représentation de la représentation...
— Une colonne dorique n'a pas de base et repose directement sur les stylobates. Elle a vingt cannelures acérées. Oui, je sais, pourquoi s'ennuyer avec ces détails puisque les chapitaux sont faciles à reconnaître... Mais comment faites-vous quand il n'y a plus les chapitaux?
Je n'y avais jamais pensé.

— Si je vous dis 31 avant Jésus-Christ, à quoi pensez-vous?
Silence dans la salle.

— Il faut regarder la série Rome. La BBC s'est ruinée, mais c'est vraiment bien fait. Il y a même une scène sur le dépucelage d'Antoine: ça se passe dans un bordel, on lui présente quatre jeune filles et un jeune homme pour qu'il choisisse. C'est vraiment très bien fait.
Personne ne dit mot ni ne sourit ni n'échange de regard dans la salle. La jeune professeur est d'un naturel parfait. Les choses ont tout de même changé en vingt ans.

19h20. Bloquée dans le RER B. Un jeune homme en short de sport et chaussures de ville, bras nus, parle fort à ses trois camarades :
— Mais est-ce que Jésus est vaiment à la base de ta vie?
Silence.
— Qu'est-ce que ça veut dire pour toi, s'en remettre à Jésus?
Balbutiements.
— Pour moi ça veut dire que...
Il m'insupporte. Je regarde autour de moi, personne ne sourit ni ne fait attention, comment font-ils pour échapper à sa voix, le RER est très lent, s'arrête parfois dans le tunnel. Je vais m'asseoir plus loin, j'entends toujours le sermon, mon voisin lit Le Figaro, le combi volkswagen occupe une pleine page avec la légende «Il a appartenu à un troskiste, un maoïste, un socialiste et un sarkoziste sans jamais changer de propriétaire»[1]; je me déplace à nouveau, atteins l'espace vide de quatre mètres carrés en fin de wagon dans les RER B, deux noirs sont assis sur des chaises et parlent à mi-voix. Je me replonge dans les tristes démêlés de Fayçal I avec les Anglais.
Aux Halles les noirs se lèvent et partent avec leurs chaises.

19h35. Je cesse d'attendre le RER D et vais prendre le A.
Le téléphone sonne:
— Allô maman? Est-ce que tu sais à quelle heure doit rentrer O.? Il n'est toujours pas là, on commence à s'inquiéter.
— Euh non. Regarde sur l'emploi du temps dans la cuisine.
— Mais ce n'était pas un cours normal, le prof l'avait déplacé.
Bon, si, l'horaire était indiqué, il était trop tôt pour s'inquiéter, je donne quand même quelques consignes: 1/ ne pas pas paniquer 2/ si O. n'est pas rentré dans vingt minutes (il suffit de rater un bus pour prendre beaucoup de retard) appeler Julien pour avoir le numéro du prof 3/ appeler le prof 4/ ne pas paniquer 5/ me tenir au courant.
Je raccroche. De toute façon je suis coincée dans un wagon.
Ce matin, jour de rentrée, les deux plus jeunes se sont levés dans une maison vide. Le benjamin est le dernier à avoir quitté la maison. Il lui est déjà arrivé de partir en oubliant de la fermer à clé.
Je lis. En face, un jeune homme lit L'Equipe. Je repère une variante de la publicité pour le combi volkwagen. L'histoire de l'Irak dans l'entre-deux-guerres est particulièrement sanglante, de soulèvements en répressions.

20h15. Le téléphone sonne:
— Allô maman? C'est bon, il est rentré. T'es où?
— J'ai pris le A, finalement.
— Mais tu vas rentrer comment?
— Je ne sais pas. A pied ou en bus.
— Ben dis donc. Tu veux que je les fasse manger?
— Oui, bonne idée.

En quittant le RER, je remarque que mon voisin a abandonné L'Equipe. En attendant le bus, je jette les pages qui ne m'intéressent pas.
Voici donc le texte de la publicité du combi volkwagen (qui fête ses 60 ans, ai-je appris en faisant un tour sur le net): «Il a transporté tous le idéaux de la terre. La porte devait être mal fermée.Tous les gars du monde qui se donnent la main, la libération de nos camarades, la libération sexuelle, la fin du capitalisme, du profit, de l'oppression, la lutte continue, le Vietnam libre, l'amour libre, l'odeur de l'encens qui brûle, l'odeur des fromages et du patchouli, les gourous, les shamans, les shakras, les maisons bleues, les livres rouges, la route de Katmandou, de Goa et la route again, les vestes afghanes, les tuniques indiennes, les auto-stoppeuses suédoises, les pattes d'éléphant et les gilets en mouton retournés... Quand on voit tout ce que le combi a perdu en route, on se demande comment sa réputation a pu nous arriver intacte.»


Notes

[1] Ce matin, je découvre les petites lignes : «Tout le monde change. On change d'opinion, on change pour la gauche, on change pour la droite, on change de coupe de cheveu, on change de chaussettes, on change de slip, on change de couleur préférée, on change d'habitudes alimentaires, on change de femme, on change pour un homme, on change pour devenir une femme, on change pour des énergies nouvelles, on change pour développer durablement, on change de médecin, on change de médecine, on change pour changer, parce que tout le monde change. Sauf votre vieux Combi: lui, à part quelques pièces, il est resté le même depuis 60 ans.»

Mais pourquoi les canards de Barbarie ? et pourquoi 72 = 24 ?

« Poussin d’un jour » : toute volaille âgée de moins de 72 heures et n’ayant pas encore été nourrie.
Toutefois, les canards de Barbarie (Cairina moschata) ou leurs croisements âgés de moins de 72 heures et yant été nourris sont également considérés comme des poussins d’un jour.

texte 18 du Journal officiel du 8 novembre 2007

Rangement

Passé la journée à trier des papiers. Plus un papier devient ancien, plus il est difficile à jeter; il est plus facile de se débarrasser de la facture d'un appareil acheté en 2005 et désormais hors garantie que d'une facture remontant à 1988 — surtout qu'il n'en reste qu'une d'aussi ancienne.

Il y a surtout les coupures de journaux que je collectionne depuis 1990 sur tous les sujets, dès que quelque chose retient mon attention, les éditeurs, les auteurs, les libraires, la démographie, le dossier de l'eau au Proche-Orient, les activités de Khadafi junior, «la reconnaissance mutuelle d'Israël et de l'OLP, un tournant historique» (Les Echos, 10/09/1993), un article de Courier international de juin 1994 mettant en cause la France dans les massacres rwandais (traduction d'un article de Mark Huband paru dans The Weekly Mail and Guardian - Johannesburg), un portrait de Hans Blix, des coupures amusantes, etc.

Mais on peu être un homme libre et avoir ses petites faiblesses. Une de ses notes de frais [d'Albert Londres] est restée fameuse: «Achat d'un cheval: 1.000 yen. Revente du cheval: 1.000 yen. Total: 2.000 yen.» Il fut réglé sans discussion. On raconte qu'autrefois la presse menait grand train...

L'Agefi du 12 mai 2004, à propos du 66e prix Albert Londres (du temps où L'Agefi paraissait encore sous format papier).

Evidemment, le classement n'avance pas vite puisque j'en profite pour googueuliser au fur à mesure, par exemple pour savoir ce que devient Laleh Seddigh, dont je possède un portrait paru dans le New York Times en mai 2005. Hélas, le conte de fée a l'air de mal tourner.

En faisant une recherche sur le philarmonique de Berlin, j'ai trouvé un concours/classement de meilleurs blogs comme il s'en tient régulièrement. Celui-là est d'origine allemande. J'ai regardé quelques blogs français, assez vite: mes préférés pour le moment sont un blog tenu par un expatrié à Kinshasa (je simplifie) (j'ai décidément un faible pour les blogs d'expats, ils présentent de plus l'intérêt de donner en lien d'autres blogs d'expats) et un blog de photographies d'insectes et plus généralement de très gros plans de la nature (escargots, gouttes d'eau, etc).

Bon, je retourne à mon classement.

Quelques nouvelles

  • regardé Divine mais dangereuse pour expliquer à C. l'association d'idée qui avait mené au déguisement pour les quarante ans de O.
  • regardé 7 jours et une vie, sur la lancée. Edward Burns reste l'un des plus beaux acteurs actuels, étrange qu'on ne le voit pas davantage.
  • regardé Un jour sans fin pour la x-ième fois. Que d'efforts pour une journée parfaite.

Oui, j'ai fait le pont.

Attaqué le classement des papiers accumulés depuis deux ans dans un carton ayant contenu des oreillers. 60 x 50 x 35 cm de papiers. Retrouvé la carte de Ch. datant de janvier dernier, et donc l'adresse pour lui écrire.

Coup de fil de mon garagiste qui a trouvé le billet que je lui ai consacré. C'est embarrassant. Il nous a donné l'adresse du garage où il travaille désormais.

Malade. C'est pénible. (Retrouvé en triant et classant mon attestation de carte vitale. Elle est périmée).

L'Afrique au présent

Entre le président qui pense que l'Africain n'est pas entré dans l'histoire et les bonnes âmes de gauche convaincues que les campagnes africaines se vident parce qu'on y meurt de faim, c'est le même discours. La gauche pense que l'Afrique végète et qu'il faut faire un effort de générosité; la droite part du même constat pour prôner des solutions libérales. Tous nous trouvent nuls. La réalité est que l'Afrique atteint 5% ou 6% de croissance pendant que la France est à 1,8%.
En jetant ce regard misérabiliste et compassionnel sur l'Afrique, la France se rassure elle-même. Elle a besoin de penser que l'Afrique ne va pas bien. Pendant ce temps, les gens de Dubaï, les Indiens et les Chinois ne nous disent pas que nous ne sommes pas entrés dans l'histoire, ils commercent avec nous.

Lionel Zinsou, Associé-gérant à la banque Rothschild dans Le Monde, cité par Le Nouvel économiste du 4 octobre 2007.


A la décharge de la France, une carte mondiale du nombre de médecins par habitants.
Dans un genre un peu différent mais intéressant car méconnu, voir cette enquête sur les relations des universités (françaises) avec les pays en développement.

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