Crêpes

A Yerres de nouveau. H. fait essayer la voiture bleue (la berline, la voiture «raisonnable») au beau-frère d'une amie: vendue. Mi-mars la voiture partira en Pologne.

J'ai eu le temps de tailler les hortensias pendant l'essai. C'est plus facile de tailler à quelques semaines du printemps: les bourgeons sont là, il suffit de couper au ras.

O. et Y. toujours aussi charmants. Ils nous avaient préparé des crêpes, à charge pour nous d'apporter les confitures. Y. aime les fleurs et le rhum. Elle paraît même avoir une sacrée descente.

— Je reprends l'école le premier mars, le jour de mon anniversaire. Je vais le dire aux enfants: «c'est mon anniversaire».
— Tu le dis aux enfants?
— Bien sûr, pourquoi pas? Eux ils le font, ils arrivent à l'école en disant «c'est mon anniversaire». Et ils apportent un gâteau… Il faut que j'apporte un gâteau.

O. commence à travailler demain.

Couscous

A Yerres, d'une part pour déposer des objets à la ressourcerie de Montgeron (nous avons une recyclerie plus proche de nous, mais elle nous paraît plus élitiste), d'autre part pour récupérer du bois: des années que nous stockons des bûches au fur à mesure des arbres coupés; cette fois-ci nous allons vider l'appentis.

Nous avons ramené un couscous de la Table marocaine pour déjeuner avec O. et Y.

Y. avait pour projet d'aller acheter une télé l'après-midi: nous l'avons prévenue qu'en ce dernier jour d'ouverture des très grandes surfaces (covid oblige), il y aurait beaucoup de monde. Le matin, en passant dans l'autre sens, nous avions contemplé incrédules la file de voitures s'engageant pour Carré Sénart déborder sur l'autoroute.

Une règle jusqu'ici jamais démentie

Les films québecquois qui parviennent jusqu'en France sont bons.
Ou me plaisent, ce qui n'est pas la même chose mais est appréciable cependant.

Je suis en train de regarder Les invasions barbares.
«On n'arrive pas à comprendre le passé, comment tu veux prévoir l'avenir?»
«Vous savez, ici, tout le monde était catholique, comme en Irlande ou en Espagne. Et puis, à un moment très précis, en 1966, en quelques mois les églises se sont vidées. Personne n'a jamais pu expliquer ce qui s'était passé.»
«Je ne veux pas d'un être sensible à la queue molle. Moi je veux qu'on me saute fermement.»

Le spectacle de l'hôpital québecquois en 2003, c'est quelque chose. Il faut passer la frontière américaine pour avoir un scanner. Les couloirs de l'hôpital ressemblent à ceux de la Russie ou de la Chine pendant le Covid. Il faut payer des pots-de-vin aux syndicats pour faire repeindre une pièce dans un couloir de chambres vides.
Je me demande ce qu'il en est aujourd'hui.

Le malade est entouré de ses amis. Ils reviennent sur leurs engagements politiques:
— On a tout été, c'est invraissemblable. Séparatistes, indépendantistes, souverainistes, souverainistes-associationistes…
— Au début on avait commencé par être existentialistes.
— On avait lu Sartre, Camus.
— Après ça on a lu Frantz Fanon et on est devenu anti-colonialistes.
— Après ça on a lu Marcuse et on est devenu marxistes…
— marxistes-léninistes...
— troskistes...
— maoïstes...
— Après ça ben on a lu Soljenitsyne et on a changé d'idée on est devenu structuralistes...
— situationistes...
— féministes...
— déconstructionistes.
Et pour terminer Godard et Sollers sont cités.

Notons sans surprise, mais ici c'est étalé avec tant d'évidence que l'on essaie de l'oublier, qu'avoir de l'argent permet de trouver des solutions à tout (sauf à la mort, mais bon).

Test

Le 8 octobre dernier, j'avais vu passer une invitation à faire partie des testeurs des vaccins.
Je m'étais inscrite.

A ma grande surprise j'ai été contactée cet après-midi. Une infirmière m'a posé dix minutes de questions.

Le test dure deux ans (ce qui m'a surprise: mais euh, c'est pour cette pandémie ou la suivante?), je ne saurai pas si j'ai reçu un vaccin ou un placebo, deux injections, des questionnaires à remplir deux fois par semaine, une dizaine de visites à l'hôpital Saint-Antoine.
On m'a donné le nom du vaccin (du labo?) mais je ne l'ai pas retenu. De toute façon je suppose que c'est confidentiel.

Des nouvelles du Covid

Nous avons fait quatre allers-retours à la déchetterie, trois pour jeter les cartons de déménagement, un pour donner les trois meubles minces destinés aux CD. C'était une erreur de les acheter, c'est un remords de les donner quasi neufs.

Le rez-de-chaussée paraît immense maintenant.

Pas d'aviron ce week-end : trop de courant. J'ai eu raison d'y aller jeudi.
Les culs gelés, Bruges, un an maintenant. Les dernières sorties libres.

Le variant anglais (sud africain, brésilien — mais l'anglais est le plus proche, évidemment) du virus suscite beaucoup d'inquiétude car il est très contagieux. On évoque un reconfinement en février, c'est une question de jours (nous somme déjà en couvre-feu à 18 heures depuis une semaine, ce qui complique singulièrement la vie quotidienne) — d'où les voyages immédiats à la déchetterie, pendant que c'est possible, d'où notre réponse à des amis qui voulaient voir le loft: «venez dimanche, pendant que c'est possible». Plus d'écart entre la décision et le passage à l'acte, car qui sait ce qui demain sera possible.

Une amie rapporte les paroles de son député rencontré lors d'une réunion de parti : pas de réouverture des cafés et restaurants avant juin — avant une vaccination à 60%, en fait. Je ne sais pas si c'est vrai, mais ça m'a fichu un coup au moral. Les restaurants me manquent, les cafés, la liberté de s'assoir pour perdre quarante minutes à ne rien faire d'utile, la liberté de ne rien planifier, de ne pas prévoir ses déplacements au chronomètre.
Et la peur, aussi, la peur pour tous les lieux qu'on aimait qu'on n'est pas bien sûr de revoir.



Humour du Gamm vert d'Ecuelles: le panier Covid



Soulagement

Initiée ma collaboratrice à Sendinblue. Je suis contente de cet outil d'envoi de mails en masse, il est assez intuitif. (Difficile d'envoyer de nombreux mails sans passer par un outil de ce genre: les serveurs vous blacklistent comme spammeur).

Ramé sur une Seine très haute. Nous étions cinq. Péniches, remous et pluie ont eu raison de notre détermination. Je suis rentrée trempée.

Puisque mon supérieur hiérarchique se lave les mains de la suite, j'ai sollicité une entrevue avec le président de la mutuelle. N. est toujours aussi élégant et accessible, moralement et professionnellement. Il m'a appris ce qui était prévu pour me remplacer (incrédule en apprenant que je ne savais rien «Z. ne t'a rien dit?»), je lui ai fait part des gros dossiers et lui ai donné des pistes pour assurer la transition s'ils ne trouvaient pas de remplaçant à temps (quinze jours que l'offre de poste devrait être parue, il lui a échappé un «dès que X. se décidera à se remuer…» Mais quelle bande de feignasses.) L'une des difficultés est que mon adresse mail sert d'accès à beaucoup de sites officiels (comme les impôts, par exemple) et qu'il faut décider de laquelle je mets en remplacement.
Ce soir je me sens plus tranquille: il va être possible d'organiser une transition propre.

A Nanterre

A Nanterre pour l'avant, ou l'avant-avant, ou l'avant-avant-avant dernière fois.
J'y vais pour poster des lettres : impression, timbres, c'est plus simple ainsi.
J'ai posté mon futur contrat de travail.

Partis ensemble, H. et moi. Il testait pour la première fois le trajet jusqu'à Bois-Colombes, où il a un client en passe de devenir son employeur. On pouvait difficilement rêver plus compliqué d'accès à partir de Moret (je pense à cet ami toujours surpris par nos choix insensés. Il n'y a pas d'explication rationnelle à ce phénomène).

H. est revenu en passant par Yerres récupérer sa voiture (laissée à O. quelques temps). J'en ai profité pour ramener de mon côté les livres en attente au bureau.

Et donc, en grande partie pour Dominique qui un jour a voulu savoir ce que je transportais:
- Julien Green, Dixie, réservé par Patrick,
- Wole Soyinka, Cet homme est mort, car je garde à jamais le souvenir de ma honte quand un client de la librairie Mollat m'a dit incrédule «Vous ne connaissez pas Soyinka?» (celui-ci venait d'avoir le prix Nobel de littérature)
- Peter Handke, Le Chinois de la douleur
- Thomas Wolfe, L'ange banni
- Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse, en Classiques Garnier (les "jaunes") relié. Va remplacer mon poche
- Jorge Luis Borges, Le livre de sable, là aussi pour remplacer un poche
- Donald Westlake, 361
- Donald Westlake, Les sentiers du désastre
- Donald Westlake, Le paquet (j'ai un faible pour Westlake: enfin un polar américain qui ne se prend pas au sérieux)
- Charles Bukowski, Nouveaux contes de la folie ordinaire (pour savoir enfin ce qu'il raconte, au delà de ses contempteurs)
- Charles Bukowski, Contes de la folie ordinaire (les deux aux éditions Sagitaire: pas sûre qu'elles existent encore)
- Dino Buzatti, Le rêve de l'escalier
- Dino Buzatti, Les nuits difficiles
- Dino Buzatti, Le régiment part à l'aube (Buzatti, c'est l'hommage au père d'une amie italienne quand j'étais en seconde)
- Dino Buzatti, Le désert des Tartares (je vais donner mon poche)
- Toni Morrison, La chanson de Salomon (parce que Morrison, sa puissance)
- Göran Tunström, Le buveur de lune (parce que j'aime Le voleur de Bible)
- M Malinski, mon ami Karol Wojtyla (un livre rescapé: je voulais le donner, au dernier moment j'ai décidé de le lire d'abord, pour juger)
- Benoît XVI, La charité dans la vérité (idem. Un livre est toujours plus facile à lire que sa version en ligne)

Tout cela était lourd. Je continue Le grand incendie de Londres. Emotion du voyage à Londres. Dans le train, deux jeunes gens discutent. L'un raconte notre situation: «j'en ai marre de faire le tampon entre X [son frère] et mes parents.»

Soulagement: investiture de Joe Biden sans incident.

Chez le coiffeur

— Vos cheveux tombent en ce moment ?
— Oui, mais pas en ce moment: depuis treize ans.
— Treize ans? Ça va, il en reste.
— Oui, ils poussent vite. Huit milimètres en trois semaines, ça se voit bien avec les cheveux blancs.

C'est à ce moment-là que je me suis dit que mes cheveux aimaient vivre vite.


*****


Panoramique du dernier étage assise à mon bureau dans l'après-midi finissant.

Mauricette

Cela faisait plusieurs fois que je croisais ce prénom sur la toile et j'avais cru à une appellation générique désignant du vintage ou de l'obsolète (les deux faces d'une même réalité), comme Simone, la voix de la SNCF, qui aurait pu aussi s'appeler Jessica ou Cessyle, au gré des marketteux (mais qui s'appelle peut-être réellement Simone, c'est le plus beau).

Eh bien non, Mauricette existe, et plus important, elle est vivante, je l'ai appris ce matin en écoutant la radio: Mauricette, c'est la première Française vaccinée, le 27 décembre dernier. Des rumeurs ont couru sur sa mort dès le lendemain. Tout les matins vers 8h20 RTL consacre quelques minutes à démonter une fake news ou des chiffres bidonnés.
Ce qui m'a intéressée ce matin, c'est que le journaliste a précisé que de nombreuses personalités sont intervenues, dont le maire de Sevran, pour démentir cette rumeur.

Trump aura au moins servi à cela: après les événements du Capitole, plus personne ne croit que les fake news sont inoffensives (ce qui était vaguement mon cas: laissons dire, quelle importance, les stupides seront toujours stupides, etc.).
Elles ont des conséquences, et si la vérité finit toujours par triompher (phrase qui n'est qu'un acte de foi, car comment savoir qu'elle n'a pas triomphé si l'on ne connaît que la version mensongère sans savoir qu'elle est mensongère?), il vaut mieux la faire triompher tout de suite plutôt que laisser se développer tout un ensemble de catastrophes qui auraient été évitables (cf. le film des frères Coen Burn after reading et son dernier dialogue: «— Qu'avons-nous appris? — Rien»; un film désopilant ou désolant par sa bêtise constante (une spécialité des frères Coen)).

Rangement

Aviron le matin après avoir hésité (la forêt sera-t-elle praticable?)
Mais tout a fondu et il fait doux, bien moins froid que la semaine dernière.
Très contente de moi car j'ai fait trois tours (neuf kilomètres). Sans doute le fait de découvrir la semaine dernière en étudiant le plan du plan d'eau dans le hall que deux tours ne faisaient que six kilomètres a-t-il joué. A titre de comparaison, le week-end à Melun j'en faisais quinze et le midi à Neuilly huit (pas le même temps disponible).
Après le premier confinement j'étais lourde et m'essouflais, après le deuxième, je suis légère et démusclée. Il faut que je suive sérieusement le programme Tabata, que cela devienne une habitude avant de prendre mon nouveau poste en mars.

Seine vue du ponton du club d'aviron ANFA


Cartons l'après-midi. J'en ai moins fait que je n'espérais, butant au huitième (sur les neuf que je visais) sur un carton plein de photos, de l'époque argentique, photos souvent sans date qu'il faut remettre dans l'ordre et identifier — et en jeter un bon nombre, les laides, les doublons, les inutiles, les inconnues.
Je ne vais pas me lancer là-dedans maintenant, cela attendra mes soixante-dix ans. Il faut que je leur trouve une place. Ce sera pour le week-end prochain.

Je fais la vaisselle les écouteurs sur les oreilles en écoutant Jakobson sur les anagrammes de Saussure (l'un des charmes du loft étant que tout ce qu'écoute l'un est entendu par l'autre. C'est vraiment une vie en commun).
La scansion du vers saturnien. Je n'avais pas le souvenir que c'était l'enjeu des Anagrammes dans le livre de Starobinski. La poétique du langage. Ceci lié à la lecture de Roubaud (tarantatara ou taratantara) me fait découvrir ce que jamais un prof de littérature française n'a évoqué en cours devant moi.

Parce qu'il devait neiger

Parce qu'il devait neiger, j'ai abandonné l'idée d'aller ramer.

Je n'ai pas été difficile à convaince car j'avais une montagne de linge à repasser (rien repassé depuis le déménagement) et que l'objectif du week-end serait de terminer de déballer les cartons.
Combien en reste-t-il? Une trentaine sans doute. Ils me font peur. J'ai peur de ne pas avoir de place, je sais intimement que beaucoup de bricoles, en toute objectivité et en toute logique, devraient être jetées. Qu'est-ce que c'est que l'affectif, lié à la mémoire, quand chaque objet a une histoire qu'on est seul à connaître — objet donc condamné à ma disparition, lorsqu'il n'y aura plus personne qui connaîtra cette histoire.

Repassé en regardant Vivement dimanche. Je fais partie des admirateurs de Fanny Ardant, j'aime beaucoup sa voix. Influence d'Hitchcock, histoire à la Léo Malet, film un peu lent (est-ce le fait de ne pas être concentrée puisque je repasse, ou que soixante ans plus tard j'ai pris l'habitude de rythme beaucoup plus enlevé?) Quelques secondes amusantes sur les blondes: démarquage d'Hitchcock, justement?

Vidé les cartons de livres de théologie. Je suis soulagée, tout tient dans une seule étagère (les étagères en pin qui nous suivent depuis Talence, il y a trente ans. Il nous en reste deux, les autres sont réparties entre les enfants). Ce n'était pas évident, ce n'est pas le même meuble qui les contenait à Yerres (celui-ci est près d'H., rempli de policiers et de SF) et je disposais en plus d'une petite étagère, peu large (maintenant remplie de pâtes et de miel dans l'arrière-cuisine), qui contenait les poches et la Bible de Jérusalem en fascicule — et toutes mes versions de la Bible, écrits apocryphes de la Pléiade, traduction liturgique, volume en hébreu donné par Jean (apprendrai-je des rudiments d'hébreu un jour? C'est désormais très peu probable).
J'ai trié et donné l'équivalent d'une étagère (une planche d'étagère), j'ai déporté dans la table de nuit qui vient de ma grand-mère les livres sur la prière (il n'y en a pas beaucoup, mais vingt centmètres de rayonnage gagnés sont précieux) et ça tient.
Je suis très contente et soulagée.

J'ai retrouvé le livre dédicacé par Barthes et donné par Bladsurb. Je comprends mieux pourquoi je passe mon temps à en oublier le titre, c'est tellement inattendu: il s'agit de Prières de Charles Péguy.
Etait-ce ce qu'il convenait d'offrir à une jeune fille?

Et donc il a neigé.
Ça m'agace, cette façon de signaler très gravement qu'il va neiger ou qu'il fait moins treize à Metz: mais réjouissez-vous, nom d'un p'tit bonhomme, que croyez-vous qu'entraîne le réchauffement climatique? Si vous ne voulez pas 14°C de moyenne sur l'année, il faut qu'il fasse froid.
Et c'est indispensable dans la lutte des plantes contre les parasites.

Moret sur Hudson

L'affichette du Smictom nous avait loyalement prévenus: «La collecte ayant lieu tôt le matin, merci de sortir vos bacs la veille au soir».

Mais tout de même, en entendant le camion-poubelle vider la "poubelle à verre" («le bac» et non la poubelle, novlangue) à quatre et demie du matin, je me suis crue à New-York, qui est moins la ville qui ne dort jamais que la ville où l'on est sans arrêt réveillé.

J'ai décidé de lire ma bibliothèque

J'ai décidé de lire ma bibliothèque par étagère. Cette idée m'est venue en la rangeant. Par quelle étagère commencer? Pas une de romans en poche, je n'aurai pas la patience de lire tous ces romans d'affilé, pas celle consacrée à la grammaire et la traduction, il y a des livres de linguistique trop rebutants pour une reprise, pas des policiers, ce serait tricher.
J'ai choisi l'étagère la plus basse (spatialement) des livres d'auteurs français, auteurs classés sans ordre mais par affinité, et j'ai pris Roubaud, Le grand incendie de Londres.

J'y ai trouvé cette description qui correspond à ce que je vis en ce moment au fur à mesure que je fais émerger ma bibliothèque des cartons dans lesquels elle avait sombré en novembre, faisant de nouveau connaissance avec chaque volume au fur à mesure que je lui attribue une place et le range.
[cet ensemble de livres] Il m'arrivait autrefois d'en vérifier mentalement le contenu (un réflexe d'avare) et l'ordre, la disposition des volumes sur les rayons, les relations entre eux établies par la contiguïté, la familiarité des voisinages jouant un grand rôle dans la signification intime de leur présence, dans leur accessibilité […]

Jacques Roubaud, Le grand incendie de Londres, p.28, Seuil
Et surtout cette notation: «Les troubadours (du moins ceux que je possède dans des livres) sont placés à ma gauche, contre les radiateurs toujours fermés, le plus près possible de la tête du lit.» (Ibid)
Qui dira l'importance des livres autour du lit? J'ai ainsi déplacé il y a deux jours les livres de philo vers les pieds du lit d'ami («Mais tu crois vraiment que quelqu'un va y faire attention? — On ne peut pas dormir avec autant de philo près de la tête») pour rapprocher la poésie de la tête du lit. Poésie, livres grecs (Meillet, Ramnoux), Corto Maltese et Calvin et Hobes, voilà ce qui convient à un sommeil paisible.

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Agenda

Matinée à Nanterre pour relever le courrier et faire partir les lettres mensuelles indispensable. Depuis que mon départ a été annoncé par le président de la Mutuelle il y a une semaine, aucun signe de vie de ma hiérarchie ou des administrateurs. Remarquez, cela ne me change guère, aucun signe de vie depuis le second confinement.

J'ai commencé à vider mon bureau: trié les livres, abandonné dans l'église la plus proche ceux que je destinais à l'origine à l'ICP (avant le second confinement), abandonné dans le métro deux poches que j'ai en grand format (dont Vie et Destin), passé remettre dans l'armoire de désherbage du G** des livres que j'avais en double… et inévitablement j'en ai repris quelques-uns, des Westlake et des Buzzati mais aussi un Thomas Wolfe, L'ange banni, à cause de Didier Goux (je dis bien «à cause», car tout ajout de livre est devenu difficile, je les importe en cachette — même si la cote des livres remonte dans notre nouvel intérieur).
J'ai laissé ces livres au bureau, je les ramènerai une autre fois.

Passage rue Francœur chez "ma" relieur (trois Langelot, deux Dumas, une bouteille de vin blanc), puis chez mon futur employeur pour récupérer mon contrat de travail. Ma future boss était inquiète de découvrir que j'habitais désormais si loin. Comment lui faire croire, lui faire comprendre et admettre, que pendant neuf ans, je suis rentrée chez moi trois à quatre fois par semaine après onze heures ou minuit, au rythme de mes cours, des travaux sur les voies, des grèves et des caprices des trains? Et qu'entre 2006 et 2016, pendant l'année scolaire, je prenais tous les jours le RER à sept heures pour accompagner les enfants au lycée? Moi-même j'ai dû mal à me le représenter. Il faut le vivre sans trop réfléchir.

Maintenant cela me fera deux heures de lecture par jour, deux heures climatisées et stables à priori puisque je serai dans un TER et non un RER. J'espère ne pas déchanter trop vite.
Et donc j'ai décidé de lire ma bibliothèque.

Des chiffres

Peu de choses. Je retourne nos finances dans tous les sens, il faudrait vendre la maison assez rapidement, le prêt-relais nous coûte cher. Pourvu qu'un troisième confinement ne vienne pas encore interdire les visites.

J'apprends que je suis censée mener l'entretien annuel de ma collaboratrice comme si de rien n'était, comme si je ne serai pas partie fin février et qu'elle ne risquait pas de se retrouver seule pour faire le travail (à moins qu'ils ne trouvent quelqu'un en cinq semaines); mon supérieur hiérarchique (donc son N+2) ne le fera pas à ma place:
— Mais qu'est-ce que je lui fixe comme objectifs? Cela dépend de votre décision de lui proposer le poste ou pas.
— Justement, ce n'est pas décidé.

C'est cruel, pour elle, pour moi; vaguement lâche et peu professionnel (j'en viens à penser que «vaguement lâche» et «peu professionnel» sont souvent synonymes. Etre professionnel consiste souvent à faire preuve de courage — devant ce qui est désagréable ou ce qui effraie).


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Pour suivre la vaccination.

La méthode Parmentier

Le gouvernement est en train de vacciner les gens si lentement, avec tant de contraintes (prendre un rendez-vous chez son médecin, se faire expliquer, signer un consentement, respecter un délai de rétractation) que tous ceux qui veulent se faire vacciner (il y en a encore quelques-uns en France, malgré tout) commencent à piétiner d'impatience.

Je songe à Parmentier qui entoura de soldats son champ de patates pour en attiser le désir.

Sur FB toujours, Jean-Louis Bailly a partagé cette fable qui résume bien la situation:

poème de Jean-Louis Bailly sur le vaccin à la manière de La Fontaine



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Tabata mardi et mercredi. J'ai des courbatures au point de gémir en descendant les escaliers. Je n'ai plus aucune condition physique, il faut que j'en récupère avant les Culs gelés prévus le 14 mars.

Je n'aurais jamais imaginé

Ayant fini une réunion zoom avec mes anciens co-listiers, je fais un tour sur FB et je découvre ces statuts d'Elisabeth:



Stupéfaction. Rivés à nos écrans jusqu'à minuit passé, jusqu'à ce que la situation paraisse sous contrôle.

Je n'aurais jamais imaginé voir cela. La chute du mur, c'était la confrontation est/ouest, les tours du World Trade Center c'était la guerre Orient/Occident, mais là… Les Etats-Unis pris à partie de l'intérieur… je pensais que seuls les Etats du sud étaient concernés, que l'extrême-droite survivant à la ségrégation et au KuKluxKlan ne concernait que le sud.

Je songe à Ruth qui m'avait choquée et vexée en insinuant en août 2019 que les gilets jaunes étaient les dignes héritiers de la Révolution française et qu'il fallait ce type d'agitateurs pour faire naître un ordre nouveau (et moi aux mots trop maladroits pour lui expliquer que la Révolution française était une révolte des marchands qui voulaient un poids politique, comme la Révolution américaine c'était les riches négociants qui ne voulaient plus payer de tribu à la lointaine Angleterre: on est loin d'une révolte de va-nus-pieds).
Je me demande ce que pense Ruth maintenant. Je ne vais pas avoir la cruauté de le lui demander. Les Américains sont si fiers de leur constitution, à leurs yeux modèle et mère de toutes les démocraties.

D'ailleurs l'émotion américaine est considérable. On parle de démettre Trump qui n'a toujours pas reconnu sa défaite mais a demandé aux émeutiers de rentrer chez eux — reconnaissant implicitement qu'il les avait d'abord encouragés dans leur action.


J'avance dans Il n'y aura pas de paradis. Fantastique description des Afrikanders et de l'apartheid ou de l'Algérie au moment de l'indépendance.

J'attends que le chat

J'attends que le chat se réveille pour faire le lit.

chat en boule sur un lit


J'attends que le chat se réveille pour ranger les différents types de draps et housses (parures) sous le lit (ou dans le lit, puisque c'est un lit-coffre).

J'ai sorti du sac-poubelle où elle dormait depuis vingt ans la nacelle du landau que j'avais conservée au grenier toutes ces années. Je l'ai remontée, elle est en parfait état, les élastiques toujours élastiques (c'est le point faible des habits d'enfant que je retrouve).
Qu'en faire? Je m'étais dit que cela pourrait servir de lit d'appoint pour d'éventuels bébés visiteurs, mais l'expérience prouve que personne — plus personne — ne se déplace avec son bébé et quatre couches: tous les nouveaux parents arrivent avec un breack rempli de lit, vaisselle, nourriture, habits, jouets; personne ne semble envisager de coincer un enfant qui ne marche pas entre deux coussins en guise de lit et de lui écraser une pomme passée au micro-onde en guise de goûter.
Etions-nous les derniers d'une génération vaguement baba cool, ou déjà à l'époque totalement has been, inconscients des nouveaux mode de parenting?

Je me suis décidée à donner cette nacelle, peut-être qu'elle servirait à une mère dans le besoin (je m'en suis servie comme lit jusqu'aux trois ou quatre mois des enfants; la sage-femme nous l'avait conseillée comme plus rassurante pour un bébé qui vient de sortir du milieu serré d'un ventre) quand à ma grande surprise H. a déclaré que puisqu'on avait de la place, il souhaitait la garder.

Je vais la laisser montée quelques temps pour bien retendre la toile puis je la rangerai dans le lit.

nacelle de landau


Le plus difficile

Le plus difficile est d'annoncer à J., ma collaboratrice, que je vais partir. Je l'appelle en fin de matinée: «je suis contente pour toi. C'est une bonne nouvelle pour toi, une mauvaise pour moi mais une bonne pour toi.»

J'espère que nous pourrons nous faire un resto avant mon départ. Serons-nous déconfinés d'ici le premier mars? Rien n'est moins sûr.

A sa façon de présenter ses vœux, je comprends que le trésorier est au courant. Il se passe ce phénomène que j'ai déjà constaté pour d'autres: l'espèce d'aura de prestige que prend une personne qui démissionne. Alors que j'aurais attendu une réaction du type «tu nous trahis», c'est une réaction «tu oses et tu prends le risque, whaouh».
C'est à la fois généreux et triste.

Je plie

Je plie les trois grenouillères premier âge que les trois enfants ont portées à la naissance. J'ai donné au fur à mesure tous les vêtements des enfants mais conservé une dizaine d'habits: ces trois grenouillères, une salopette emblématique de l'aîné (et je pense à la salopette du prince George qui a fait le bonheur de Petit Bateau: il me semble que la mienne est une Bonpoint, ce qui est plus élitiste), deux ou trois tricots portés par le dernier car les moins abîmés. J'ai aussi le manteau de laine de mes deux ans.

Je plie avec remords; voici ce qui reste de l'enfance des enfants; moi qui étais si heureuse d'emménager ici, je culpabilise désormais de vendre la maison où ils ont grandi, même si seul le dernier en paraît affecté — et encore pas beaucoup, sans que je sache s'il cache ses regrets devant notre joie ou s'il s'habitue à l'idée avec son fatalisme et son pragmatisme habituels.

Je plie ce qui reste et je songe à Viktor Klemperer, je songe à Klemperer retrouvant un album de timbres dans une malle après la guerre et s'exclamant, lui qui a tout perdu: «comme nous étions riches».

Comme nous sommes riches.

Départ

Appelé Agnès qui habite près de Melun. Elle m'a recommandé le château de Rosa Bonheur («acheté avec des indemnités de divorce»), m'a expliqué que la région était connue pour son raisin de Muscat qui était conservé dans des ballons en verre remplis de charbon dans lequel on plantait les tiges pour conserver le raisin… je n'ai pas bien compris.

O. est arrivé vers trois heures. Nous avons fait une machine et étendu son linge puis nous sommes partis en laissant la chatte avec des croquettes (la laisser seule vingt-quatre heures dans un lieu qu'elle connaît mal ou lui faire faire cinq heures de voiture en deux jours: nous avons choisi). L'a-t-elle compris? Elle s'est endormie le nez contre le canapé, le dos tourné au monde.

Chat le nez contre le canapé

Voyage sur les routes du Gâtinais dans la nuit tombante. Arrivée chez mes parents où seule ma sœur était présente. Cadeaux, repas. Beaucoup bu de champagne. Mes parents sont des cordons bleus.
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