Hairspray

Walt Disney au pays de Happy days, un pastiche à regarder au premier degré, pour la danse, le plaisir, le message (intégrons-nous! vivent les différences! arrêtons le racisme, tous les racismes, anti-noirs, anti-gros!), pour voir Travolta minauder avec ses petits yeux bleus enfoncés dans la graisse, pour voir Travolta repasser sur une table bien trop basse (il va se niquer le dos), pour voir Michelle Pfeiffer vamper Christopher Walken nul en géométrie, pour écouter des dialogues trop géniaux («une vie sans amour, c'est comme ma mère au régime»), pour attendre tout un film que Travolta se mette à danser...

C'est kitsch, c'est chaleureux, c'est gai, c'est n'importe quoi, ça dégouline de bons sentiments, ça fait plaisir.

Michelle Pfeiffer est une magnifique méchante, mais il faut dire que c'est sans doute le seul vrai rôle du film.

La première fois qu'un de ses enfants vous apprend quelque chose

Ce soir à table, j'ai pensé avec amusement à ce post de gvgvsse devant le franc succès remporté par le plus jeune avec cette phrase: «Adam part pour Anvers avec deux cent six sous», phrase qui condense la plupart des prépositions françaises (à, dans, par, pour, en, vers, avec, de, sans, si, sous ("si" est une anomalie dans cette liste, mais bon, ne compliquons pas)).
Par quel miracle est-il le seul de nous cinq à avoir appris cette phrase?

En vélo dans Paris

Chaque fois que je prends un vélo dans Paris, je pense à Philippe qui m'avait confié: «Le vélo à Paris, ça ne marchera jamais. Et tu sais pourquoi? Parce que Paris est une ville construite sur des collines.»

Et je pédale en me demandant si Pékin est plat, et je pédale en me demandant s'il y a beaucoup de vélos à Rome. (Le reste du temps je regarde le nom des rues: tiens, une rue des Gobelins qui donne dans l'avenue des Gobelins, tiens, un garage rue Toussaint (Toussaint quoi? entre l'avenue de Choisy et l'avenue d'Italie)).
Rome et Paris, sept collines, douze collines, mais laquelle est laquelle?
Voyons, les monts, Montparnasse, Montmartre, la montagne Sainte-Geneviève;
Les parcs, les Buttes Chaumont, le parc Montsouris, le père Lachaise.
Je compte mentalement sur mes doigts, ça fait six.
L'Arc-de-triomphe, sept...
Si j'en trouve sept, sachant qu'on oublie toujours un élément dans une énumération, faut-il déduire que Paris est construit sur douze collines? Et je pédale, me demandant si Belleville est sur la même colline que les Buttes-Chaumont, il me semble que vers Stalingrad ça monte, et la Butte-aux-cailles... Pas de doute, c'est douze.

Les salles d'attente sont toujours aussi instructives

Vu dans Elle du 5 décembre 2005 (citation approximative):

Dans Bambi, la maman de Panpan, toujours de bon conseil, disait: «Mon fils, si tu n'as rien à dire de gentil, tais-toi.»

Un classique du genre

Je possédais le dessin depuis longtemps, je viens de recevoir le commentaire, n-ième variation du genre, mais qui me permet de mieux comprendre qui est Nelson Montfort. Vu les personnes représentées, cela doit dater de 2004.
(La réponse de Vandamme me fait penser par sa syntaxe aux chansons de Yannick Noah.)



La scène: Un poulet au bord d'une route. Il la traverse.
La question: Pourquoi le poulet a-t-il traversé la route ?

RENÉ DESCARTES : Pour aller de l'autre côté.

PLATON : Pour son bien. De l'autre côté est le Vrai.

ARISTOTE : C'est la nature du poulet de traverser les routes.

KARL MARX : C'était historiquement inévitable.

CAPITAINE JAMES T. KIRK : Pour aller là où aucun autre poulet n'était allé auparavant.

HIPPOCRATE : En raison d'un excès de sécrétion de son pancréas.

MARTIN LUTHER KING JR. : J'ai la vision d'un monde où tous les poulets seraient libres de traverser la route sans avoir à justifier leur acte.

MOISE : Et Dieu descendit du paradis et Il dit au poulet : "Tu dois traverser La route". Et le poulet traversa la route et Dieu vit que cela était bon.

RICHARD M. NIXON : Le poulet n'a pas traversé la route, je répète, le poulet n'a JAMAIS traversé la route.

NICOLAS MACHIAVEL : L'événement important c'est que le poulet ait traversé la route. Qui se fiche de savoir pourquoi ? La fin en soi de traverser la route justifie tout motif quel qu'il soit.

SIGMUND FREUD : Le fait que vous vous préoccupiez du fait que le poulet ait traversé la route révèle votre fort sentiment d'insécurité sexuelle latente.

BILL GATES : Nous venons justement de mettre au point le nouveau Poulet Office 2003", qui ne se contentera pas seulement de traverser les routes, mais couvera aussi des oeufs, classera vos dossiers importants, etc.

BOUDDHA : Poser cette question renie votre propre nature de poulet.

GALILEE : Et pourtant, il traverse.

ERIC CANTONA : Le poulet, il est libre le poulet. Les routes, quand il veut il les traverse.

CHARLES DE GAULLE : Le poulet a peut-être traversé la route, mais il n'a pas encore traversé l'autoroute !

JACQUES CHIRAC : Parce que je n'ai pas encore dissous la route.

L'EGLISE DE SCIENTOLOGIE : La raison est en vous, mais vous ne le savez pas encore. Moyennant La modique somme de 10 000 € par séance, plus la location d'un détecteur de mensonges, une analyse psychologique nous permettra de la découvrir.

BILL CLINTON : Je jure sur la constitution qu'il ne s'est rien passé entre ce poulet et moi.

EINSTEIN : Le fait que ce soit le poulet qui traverse la route ou que ce soit la route qui se meuve sous le poulet dépend uniquement de votre référentiel.

ZEN : Le poulet peut vainement traverser la route, seul le Maître connaît le bruit de son ombre derrière le mur.


JEAN-PIERRE RAFFARIN : Le poulet n'a pas encore traversé la route, mais le gouvernement y travaille.

JEAN ALESI : Je ne comprends pas, théoriquement, le poulet il avait le temps de passer.

NELSON MONTFORT : J'ai à côté de moi l'extraordinaire poulet qui a réussi le formidable exploit de traverser cette superbe route: «Why did you cross the road? —Cot cot! —eh bien il dit qu'il est extrêmement fier d'avoir réussi ce challenge, ce défi, cet exploit. C'était une traversée très dure, mais il s'est accroché», etc.

RICHARD VIRENQUE : C'était pas un lapin ?

ORANGINA ROUGE : PASKEEEEEEUUUUUHHHH

KEN LE SURVIVANT : Peu importe, il ne le sait pas mais il est déjà mort.

JEAN-CLAUDE VANDAMME : Le poulet la road il la traverse parce qu'il sait qu'il la traverse, tu vois la route c'est sa vie et sa mort, la route c'est Dieu c'est tout le potentiel de sa vie, et moi Jean Claude Super Star quand je me couche dans Timecop quand le truck arrive je pense à la poule et a Dieu et je fusionne avec tout le potentiel de la life de la road Et ça c'est beau !

FOREST GUMP : COURS POULET COURS !

STALINE : Le poulet devra être fusillé sur le champ, ainsi que tous les témoins de la scène et 10 autres personnes prises au hasard, pour n'avoir pas empêché cet acte subversif.

GEORGE W. BUSH : Le fait que le poulet ait pu traverser cette route en toute impunité malgré les résolutions de l'ONU représente un affront à la démocratie, à la liberté, à la justice. Ceci prouve indubitablement que nous aurions dû déjà bombarder cette route depuis longtemps. Dans le but d'assurer la paix dans cette région, et pour éviter que les valeurs que nous défendons ne soient une fois de plus bafouées par ce genre de terrorisme, le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique a décidé d'envoyer 17 porte-avions, 46 destroyers 154 croiseurs, appuyés au sol par 243000 G.I. et dans les airs par 846 bombardiers, qui auront pour mission au nom de la liberté et de la démocratie, d'éliminer toute trace de vie dans les poulaillers à 5000 Km à la ronde, puis de s'assurer par des tirs de missiles biens ciblés, que tout ce qui ressemble de près ou de loin à un poulailler soit réduit à un tas de cendres et ne puisse plus défier notre nation par son arrogance. Nous avons décidé qu'ensuite, ce pays sera généreusement pris en charge par notre gouvernement, qui rebâtira des poulaillers suivant les normes de sécurité en vigueur, avec à leur tête, un coq démocratiquement élu par l'ambassadeur des Etats Unis. En financement de ces reconstructions, nous nous contenterons du contrôle total de la production céréalière de la région pendant 30 ans, sachant que les habitants locaux bénéficieront d'un tarif préférentiel sur une partie de cette production, en échange de leur totale coopération. Dans ce nouveau pays de justice, de paix et de liberté, nous pouvons vous assurer que plus jamais un poulet ne tentera de traverser une route, pour la simple bonne raison, qu'il n'y aura plus de routes, et que les poulets n'aurons plus de pattes. Que Dieu bénisse l'Amérique

Des bruits

J'écrirai plus tard si j'ai le temps, en attendant, je suis heureuse de vous présenter ça, que je viens de retrouver.

Parmi mes préférés, des pims au pamplemousse (14 mai) et des grenouilles (3 mai). Je n'ai pas encore retrouvé une conversation dans un magasin de farces et attrapes (poulet cru/poulet cuit, de mémoire, mais quatre ans après, c'est un peu flou).

La Grande Illusion

Le cinéma Racine présente cet été un festival des "films maudits". C'est ainsi que nous nous retrouvâmes hier soir devant La Grande Illusion, sans trop savoir ce que c'était, faisant confiance au nom de Renoir.

C'est un film terriblement émouvant, moins à cause de lui-même qu'à cause de tout ce que nous savons qui attendait la France et l'Allemagne deux ans plus tard. C'est le témoin d'une époque à jamais révolue, celle où l'on pouvait encore concevoir une guerre en gants blancs, celle où l'on pouvait imaginer des prisonniers danser le french-cancan et manger du foie gras.
En 1937 ce film devait permettre de croire à la paix, de se convaincre que toute paix valait mieux que la guerre, que les hommes comme la nature se ressemblaient partout et se moquaient bien des frontières (cf. l'une des répliques de la fin); en 2007 il permet de constater qu'on n'y croit plus, que la guerre semble une malédiction permanente, toujours à l'œuvre dans quelques points du globe, et qu'elle est animée par une haine viscérale qui empêche le respect de l'adversaire tel celui mis en scène par Jean Renoir: la grande illusion, c'est finalement celle-ci, avoir cru à une dignité de la guerre.
Si le film ne tombe pas dans le cliché sentimental, c'est que sous l'apparente simplicité du propos le dilemme représenté est tragique, au sens classique du terme: confrontation de deux absolus, "les hommes sont frères" et "le devoir est le devoir", avec l'éternelle hiérarchie selon les sexes: la femme peut choisir la fraternité contre le devoir, l'homme doit choisir le devoir contre la fraternité.

«Des enfants qui jouent aux soldats, des soldats qui jouent comme des enfants»: si le film est si drôle, si l'on rit si souvent, c'est que l'enfance, l'esprit de l'enfance, affleure chez les soldats. Si la guerre est un sujet sérieux, si l'on risque la mort, alors il est important de ne pas la prendre au sérieux, et je pensais au Caporal épinglé, à Exobiographie, à L'épopée du Normandie-Niémen, tous livres évoquant la deuxième guerre mondiale eux aussi dans cet esprit léger, ce refus d'être sérieux.

J'aime particulièrement dans ce film son art de l'ellipse, son exigence de ne jamais rien montrer qu'on ait deviné: dès que le spectateur a compris ce que devraient être les images suivantes, la séquence est terminée, l'image fond, on passe à la suite. Il n'y a pas d'image inutile.


Dans les petits plaisirs, Carette chantant «Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite...».
(Une recherche m'a amenée sur cet étonnant blog.)

Le château de Grosbois

Dimanche, ciel de pluie.



Se casser le nez

L'une des raisons pour lesquelles j'ai abandonné les visites de châteaux, expositions, musées, outre la réticence de mon entourage, c'est la difficulté à dompter horaires et calendrier. C'est un monde où l'exception est la règle et où le théorème de Murphy s'applique systématiquement: fermé le week-end alors que vous n'êtes libre que le week-end, ouvert le week-end alors que vous serez reparti, fermé à partir de 16 heures, ouvert à partir de 16 heures, fermeture exceptionnelle... Grrrrr. Cela m'exaspère.
Il faudrait téléphoner systématiquement, ce qui m'exaspère également.


Lundi, j'avais l'intention de visiter le musée d'Art moderne de la ville de Paris. Le bâtiment est désert, sinistre, les tables sur la terrasse prennent l'eau dans l'attente que celle-ci se transforme en mouss, les fenêtres sont sales, tout respire l'abandon. J'aurais pourtant juré que ce musée avait rouvert au printemps. Je feuillette fébrilement L'officiel des spectacles: le musée est ouvert tous les jours sauf le lundi.
Je maudis les petits malins qui ont voulu se démarquer des jours de visite des musées nationaux, sur lesquels je m'étais intuitivement appuyée (jour de fermeture le mardi). Je suppose que cela permet d'avoir un musée à visiter le mardi...

Qu'à cela ne tienne, un coup de fil à C. pour qu'il nous rejoigne à l'hôtel de Soubise, que nous tenons à visiter depuis les concerts "des jeunes talents" auxquels nous avons assisté. Nous arrivons essouflés, une heure avant la fermeture des guichets (en espérant que la fermeture des guichets ne coïncide pas avec la fermeture du musée): il était inutile de tant se dépêcher, le musée est exceptionnellement fermé pour réfection jusqu'au 21 août.

Vendredi, j'emmène C. visiter le château de Champs, résidence de la duchesse de Pompadour avant qu'elle n'achète Ménard. A la suite de divers malentendus, nous n'avons pas déjeuné et nous nous arrêtons au café manger un sandwich (rillettes pour l'un, saucisson sec pour l'autre) et boire un coca. À côté de nous une femme sans âge dans un anorack léger gris/kaki parle toute seule en scrutant l'écran de télé par dessus son épaule: «douze, dix-sept, dix-huit, zut il m'en manque un, si j'avais coché le dix c'était bon». Elle a l'air désespérée, elle fouille dans son sac, se lève, va faire enregistrer une autre grille, je regarde l'écran, en bas à droite s'affiche «prochain tirage dans:» et les secondes défilent dans un compte à rebours. Il y a un tirage toutes les trois minutes, je suis éberluée, je m'empare d'une grille sur la table d'à côté pour lire les instructions.
La femme revient, se rassoit, le manège se répète. Le patron qui jouait aux dés au comptoir avec un client vient s'assoir en face d'elle, visiblement il a perdu, il crie à la serveuse d'un air mi-furieux, mi-dégoûté: «donne-lui ce qu'il veut, trois sandwiches s'il veut.» Il ajoute à la cantonnade: «On croit qu'ils jouent aux dominos, mais ils en veulent à votre chemise.» Le client, un jeune homme, rit, penaud.

Nous quittons le café. C'est le dernier bâtiment sur la route avant le château, et c'est surprenant, ce château ainsi dans la ville (une ville très basse, austère, sans grâce). Des douves, une grille, un aimable gardien qui nous invite à entrer: «Ce n'est pas payant? — Euh... Le château ne se visite pas, on a eu des problèmes d'infiltration l'année dernière».
Je suis furieuse et déçue, je regarde C.; maintenant qu'on est là, autant visiter les jardins.
Le jardin à la française est immense, quelques herbes folles profitent déjà des vacances des jardiniers. Une très belle fontaine représente Scylla, entourée de monstres qui ressemblent à des loups. Nous nous arrêtons lire quelques minutes sur un banc, mais le vent est trop froid pour rester immobiles longtemps. Au loin, entre les arbres, on aperçoit des immeubles et une tour de radiodiffusion, un autre monde.
En revenant, un coup d'œil à travers les carreaux nous permet de regretter encore davantage que les visites soient suspendues. Qu'il vous suffise d'imaginer que le château a servi de décor au film Les liaisons dangereuses.

La Vallée-aux-Loups

Jeudi matin.

A force de voir Guillaume et Philippe[s] visiter des lieux près desquels j'ai grandi sans jamais y avoir mis les pieds, j'ai fini par ouvrir le Guide vert de l'Ile-de-France.

A ma grande surprise, j'ai découvert que la Vallée-aux-Loups se trouvait à une demie-heure de la maison : à cause sans doute des magnifiques photos du parc, je l'imaginais en Normandie, malgré un récent journal camusien me prouvant le contraire — «Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances».

A 11 heures du matin, le parking était désert et j'étais la seule présente pour la visite guidée qui allait commencer.
Le guide ayant eu un empêchement, une femme me tendit une feuille A3 imprimée et m'annonça que j'allais devoir faire seule la visite — en sa présence. Un peu surprise, je demandai: «Vous avez peur que j'abîme quelque chose?»
Quelle stupide chose à dire, elle sourit sans répondre, mais je continuai, emportée par l'élan: «Vous allez vous ennuyer!»
Ainsi commença la visite, lecture du paragraphe concernant la salle, observation de la salle, je regarde les meubles, observation de la vue (Quels arbres magnifiques, plantés de façon à donner de la profondeur au paysage. La pelouse est tondue sur trois niveaux, une bande rase de trois mètres, puis une bande d'herbes plus hautes, puis à quinze mètres de la friche), retour à la salle, lecture des cartouches le corps penché au-dessus du cordon de velours, la tête tordue, je pense que dans quelques années je ne pourrai plus lire si facilement, profitons pendant qu'il est temps (il n'y a pas si longtemps que j'ai compris que Mignonne allons vois si la rose n'était pas mufle, mais tout simplement vrai).

Deuxième salle, le guide arrive transpirant, vouant le RER aux gémonies, racontant à sa collègue une sombre erreur d'annonce fausse et de mauvaise correspondance. Sans reprendre souffle, il enchaîne sur la description de la salle où nous nous trouvons. Récit de l'achat de la Vallée-aux-Loups, récitation de la longue phrase à propos du silence accompagnant la tyrannie qui a provoqué la colère de Napoléon, présentation d'un lourd volume et de ses gravures... Il dégage une étrange odeur, est-ce cela, le camphre? Tout le long de la visite, il fera preuve d'un véritable amour pour l'œuvre de Chateaubriand, me résumera Atala, rendra justice à Mme de Chateaubriand, s'attachera à se déclarer, à plusieurs reprises, profondément républicain, et se montrera par moment d'une étrange vulgarité, présentant le mur consacré aux maîtresses de Chateaubriand comme «Chateaubriand et ses copines» et utilisant le terme de sympa à propos de tout et de rien, une commode, les fleurs entourant le double escalier, un parquet bien restauré... Il fait une remarque amusante à propos de la «mode Atala» (vaisselle, gravures, etc), imaginant avec raison qu'aujourd'hui il y aurait sans doute des tee-shirts Atala.
L'histoire de Madame Récamier venant mettre au propre la première version des Mémoires à la Vallée-aux-Loups vendue, sans avoir le droit d'y inviter l'ancien propriétaire, me serre le cœur.

Une partie du bâtiment, sur deux niveaux, est une bibliothèque et un centre de recherche. Elle ne se visite pas, c'est un lieu d'études, mais comme nous seuls, il me fait entrer quelques minutes: c'est une bibliothèque qu'on a pris soin de meubler en plaquage d'érable, dans les tons du reste de la demeure.

Je vais me promener dans le parc. Il est finalement le seul vrai témoin de l'époque, les pièces de la maison n'étant que des reconstitutions. La tour Velléda est minuscule dans la pénombre des arbres qui l'enserrent.
Il fait beau, on entend au loin le grondement permanent des voitures, tout est si tranquille, la pelouse en friche est destinée aux oiseaux, il est interdit de quitter les sentiers, le milieu est fragile nous préviennent diverses pancartes.
On passerait sa vie ici.

Les Joyeuses Commères de Windsor

Mercredi 15 août, soirée.

Songe d'une nuit d'été nous ayant convaincu, nous retournons au théâtre du Nord-Ouest, cette fois dans la petite salle. Enfin, je suppose: en réalité il n'y a pas beaucoup de différence, les sièges sont plus mous, plus avachis, on dirait de vieux canapés, ils entourent la scène sur trois côtés.
La grande faiblesse de cette représentation sera la chaleur et une persistante odeur de sueur. En effet, il est sans doute très difficile d'aérer cette salle, et l'air stagnant restitue les remugles de la représentation de l'après-midi.

La pièce est plaisante, les acteurs convaincants, il s'agit d'une farce traditionnelle sur le thème du joueur joué. La troupe est plus âgée, ce qui convient bien aux personnages. Je suis inquiète les dix premières minutes, c'est très brouillon, je me dis que cette fois je ne vais rien comprendre (ma grande angoisse dès qu'il ne s'agit pas de livre, où l'on peut toujours remonter de quelques pages quand on n'a pas fait attention à un détail ou qu'on l'a oublié).
Et puis non, comme souvent il suffisait d'attendre que l'intrigue se mette en place.
Une fois encore le décor est minimal, une table, un banc, des verres, apportés et emportés par les acteurs. Entre les tableaux, un ou deux acteurs défilent avec une banderole pour indiquer le lieu de la scène à venir (en effet, les lieux changent continuellement), ils pourraient s'éviter cette peine, cela n'a pas grande importance, mais c'est amusant ces banderolles, "auberge de la jarretière" ou "maison de Gué" ou "jardin de Gué", etc. J'aime beaucoup cette abscence de décor, les décors qui veulent "signifier" m'effraient.

La pièce est amusante mais moins surprenante que Songe d'une nuit d'été.
Je note au passage que Shakespeare semble avoir une prédilection pour les pièces jouées dans les pièces, la mise en abyme de la représentation: je connais peu de pièces et je peux déjà citer trois cas, Hamlet, Songe d'une nuit d'été, et maintenant Les Joyeuses Commères de Windsor, sous une forme un peu différente. Ici, il ne s'agit pas d'une pièce de théâtre dans la pièce de théâtre, mais d'une représentation à huis clos, à l'usage d'un seul, Falstaff, caché derrière un pilier. C'est un moment intéressant car les actrices dédoublent alors leur jeu, de façon remarquable, pour jouer le fait qu'elles jouent.
Jouer en effaçant la marque du jeu (à notre usage) et chercher l'illusion de la réalité, jouer en accentuant les marques du jeu (à l'attention de Falstaff mais bien sûr à la nôtre, puisqu'il s'agit que nous comprenions le double jeu) et montrer l'illusion du théâtre, ce double registre paraît une préoccupation de Shakespeare (conclué-je imprudemment après avoir vu cinq ou six pièces shakespeariennes dans ma vie).

Flamme rose

Les cartes postales, ter

Il y a un an, pratiquement jour pour jour, je donnais quelques conseils personnels pour rédiger une carte postale.
A ma grande surprise, ce billet qui n'était pour moi qu'un billet de vacances, quelque chose qu'on écrit vite durant les heures de l'été (un billet carte postale, en quelque sorte) connaît un grand succès: "Ecrire une carte postale" et ses variations représentent 40% des questions pour arriver ici en juillet et en août.

C'est donc avec plaisir que j'ai découvert tout un dossier consacré à la carte postale dans Alternatives économiques n°260 de juillet-août 2007. Je vous livre des extraits du chapitre "La fonction sociale de la carte postale", qui cite Jacques Derrida qui en 1980 analysa le rôle de la carte postale dans La carte postale de Socrate à Freud et au-delà.

Car peu importe la banalité du propos, les sujets abordés presque toujours les mêmes (le temps qu'il fait, les activités des enfants, la beauté du site). L'envoi d'une carte est d'abord un rappel — certes ritualisé – de son attachement affectif, le témoignage d'une pensée pour l'autre dans un contexte hors du quotidien. L'expression de cette pensée, alors que les repères habituels sont faussés, renforce le lien social. Et la carte postale devient un outil plus important qu'il n'y paraît de gestion de son réseau relationnel: familial, amical et, éventuellement, professionnel.
La volonté d'établir ou de rétablir un échange fonde d'ailleurs le caractère du message écrit sur la carte: vivant, spontané. Les phrases courtes, souvent elliptiques, créent une illusion de conversation: l'expéditeur formule des questions, anticipe des réponses du destinataire par des «j'espère que», «je suis sûr que», etc. Autre caractéristique empruntée à l'oralité, l'emploi du présent: la carte postale l'utilise pour accentuer la dynamique de l'échange («je me baigne tous les jours..., demain je suis à Madrid et je rentre te retrouver à Paris»).
[...]
La carte postale une fois reçue, pourquoi hésite-t-on à s'en débarrasser? Elle passe du fond du sac à la bibliothèque du salon ou sur la porte du réfrigérateur. Et, finalement, on l'oublie au fond d'un tiroir ou on la range dans une boîte à chaussures. Rarement, on déchire ce petit bout de carton sitôt reçu et regardé. Car ce signe d'attention que les autres nous portent nous valorise. Le sentiment d'être digne de reconnaissance ou d'affection se renforce. Mais la carte postale valorise aussi l'expéditeur. D'ailleurs, il n'y relate que des événements heureux, ne tient que des propos optimistes. La carte postale est la preuve de sa capacité à s'extraire de ses repères quotidiens, à pratiquer des sports inhabituels (on marque d'une croix le sommet escaladé), à voyager loin et dans d'autres cultures. Ce «voilà ce que je fais d'extraordinaire» doit susciter l'envie du destinataire.
Ainsi, la carte postale, mode de correspondance minimaliste, serait donc moins anodine qu'il n'y paraît. Concluons avec la phrase du philosophe Jacques Derrida: ''«Ce que je préfère dans la carte postale, c'est qu'on ne sait pas ce qui est devant et ce qui est derrière, ici ou là, près ou loin, Platon ou Socrate, recto ou verso. Ni ce qui importe le plus, l'image ou le texte, et dans le texte, le message ou la légende, ou l'adresse...»
Alternatives économiques n°260, juillet-août 2007, p.68-69


Cette vision de la carte postale comme esbrouffe n'est pas très encourageante, c'est à avoir honte d'en envoyer... heureusement que je ne fais pas grand chose d'extraordinaire de mes vacances.
La carte postale remplace pour moi un coup de téléphone, un SMS, un mail (mais évidemment, en 1980, Derrida n'aurait pu écrire cela). Elle arrive vite, vingt-quatre heures le plus souvent, et même douze heures de Paris à Paris, si l'on a repréré les bonnes postes et les horaires. Elle me sert de textos post-it, de pense-bête, de marque-pages. Elle oblige à l'étranger à apprendre le mot "timbre". Et tandis que je ne connais aucun numéro de téléphone (qui a fait l'expérience suivante: ne pas pouvoir appeler d'un fixe parce que son portable étant hors batterie, il n'avait plus accès à son répertoire?), je connais pratiquement toutes les adresses par cœur (Truc et astuce : par expérience, je sais qu'il vaut mieux une adresse incomplète qu'une indication fausse sur l'enveloppe). Je pourrais en envoyer des quantités, à la façon des "spammeurs" sous Twitter, je me retiens: c'est louche tout de même, quelqu'un qui envoie trop de cartes postales. Alors je trie sur le volet les personnes à qui cela ne devrait pas paraître trop bizarre, cette manie de l'écrit, ou qui n'en sont plus à une excentricité près de ma part.
(Ah, et j'allais oublier l'embarras d'écrire à un blogueur marié: inquiétude, puis-je vraiment écrire, ne vais-je pas embarrasser un ami? Et n'est-ce pas impoli de ne s'adresser qu'à la moitié d'un couple? (et je songe au froid «C'est qui?» de H. devant tout expéditeur inconnu, à sa tête qui signifie «Tu fais ce que tu veux mais j'ai le droit d'en penser ce que je veux» (ce qui est tout à fait exact, d'ailleurs)).

Songe d'une nuit d'été

Lundi soir.

Cette pièce m'intriguait à cause du réseau d'allusions dont elle paraît le centre : Les Celtiques (Corto Maltese), Sourires d'une nuit d'été d'Ingmar Bergman, Comédie érotique d'une nuit d'été de Woody Allen, Le cercle des poètes disparus, etc.

Je connaissais Obéron, Puck, j'avais vu la tête d'âne.
Je ne m'attendais pas à rire autant et à sortir la tête aussi légère.

Comment écrire sans rien dévoiler?

Commençons par des renseignements généraux : le théâtre du Nord-Ouest présente l'intégrale de Shakespeare (34 pièces) jusqu'en mars 2008. Il a inventé la carte UGC du théâtre: pour 90 euros, on peut assister à autant de représentations qu'on le souhaite. Le programme est ici.
Il propose également d'acheter une pierre du théâtre, pour garantir l'indépendance de la troupe. Malheureusement la part est chère, mille euros. L'initiative de la souscription est soutenue par l'association Miroir du Monde, qui semble tout à fait sérieuse.

Nous entrons dans la salle par la scène. La salle est entièrement noire, le sol semble d'ardoise (je l'ai touché en partant, c'est une sorte de linoléum ressemblant aux sols des activités pour enfants), la scène descend lentement en marches basses d'environ un mètre cinquante de large. Il est sans doute possible d'y mettre quelques accessoires, mais visiblement elle n'est pas prévue pour cela. Les acteurs joueront sans décor, et je m'amuserai à composer un décor mental, celui des théâtres itinérants du Capitaine Fracasse.
Bonne nouvelle, contrairement à la plupart des salles parisiennes, il y a de la place pour les jambes.

La pièce commence. Les acteurs sont inégaux, jeunes, leur voix mettra un peu de temps à se chauffer. Ensuite, ce sera du pur plaisir, entre le texte, le jeu des acteurs, la mise en scène, vive, loufoque, qui représente avec un rare bonheur la lubricité, la folie, le désespoir, l'amour, et se moque gentiment des simplets et sans aucun doute des spectateurs: comment comprendre autrement que Shakespeare prévoit d'expliquer que le lion sur scène n'est pas un vrai lion (et autres fadaises, je ne veux pas en dire trop pour ceux qui ne connaîtraient pas), et qu'il aille jusqu'à expliquer trois fois la même chose, une fois en prévoyant un prologue (prologue au prologue), ensuite en faisant jouer le prologue (sorte de résumé de l'intrigue remplacé aujourd'hui par la feuille A4 fournie à l'entrée de la salle), puis la pièce racontée par le prologue...

Les enchâssements et les jeux de miroir sont multiples, la traduction est vive et enjouée (bien meilleure pour la scène que celle donnée par mon édition Bouquins), les acteurs totalement imprégnés de leur texte et des mouvements de scène.
Puck/Robin surtout est magnifique, à la fois comme homme et comme acteur, il a sans nul doute une formation de danseur, et son jeu comme son corps sont remarquables. Il vaut le déplacement à lui seul. Mais des rôles plus effacés sont également très bien tenus, et je vous recommande Thisbée, sans compter le mur...

Il s'agit vraiment d'une pièce pour rien, au prétexte ténu, sans leçon ou moralité, absolument invraissemblable et s'en moquant, une vraie réjouissance. Incidemment, elle donne l'explication du déréglement des saisons en Europe et des inondations que connaît l'Angleterre: Obéron et Titania se disputent, seule leur réconciliation rendra sa régularité à la ronde des saisons:

Pures inventions que crée la jalousie.
Jamais depuis le temps du solstice d'été
Je ne t'ai rencontré par bois, vaux ou collines,
Par sources empierrées, ruisseaux bordés de joncs,
Ou rivages marins, qui déroulent leurs plages
Pour nos rondes rythmées par la chanson des vents,
Que tu n'aies dérangé nos jeux par tes querelles.
Alors les vents, lassés de leurs vains chants de flûte,
Comme pour se venger ont sucé dans la mer
Des brouillards contagieux qui, tombant sur le sol,
Ont réveillé l'orgueil des plus minces rivières
De sorte qu'elles ont débordé de leur lit.
Aussi le bœuf a-t-il en vain tiré son joug
Le laboureur sué our rien, et le blé vert
A pourri sans que son enfance ait eu de barbe.
Dans les prés inondés l'enclos demeure vide,
Les troupeaux décimés engraissent les corbeaux,
La boue vient envahir le terrain de marelle;
Les sentiers du dédale entre les herbes hautes
N'étant plus parcourus deviennent indistincts.
Les mortels sont privés des plaisirs de l'hiver.
Plus d'hymnes, de chansons qui sanctifient la nuit.
Aussi la Lune, qui préside à tous les flux,
Pâle de rage, rend humide l'atmosphère,
De sorte que partout le rhumatisme abonde
Et ce climat brouillé dérange les saisons.
Les frimas à tête blanche se répandent
Jusque dans le sein frais des roses cramoisies.
A son front dégarni et glacé, le vieux Hiems
Reçoit, pour se moquer, l'odorant chapelet
Des beaux boutons de l'été. Et l'été, le printemps,
Et l'automne fécond et le hargneux hiver
Echangent leur livrée, et le monde ébahi
A leurs effets dès lors ne peut les reconnaître;
Or tout l'engendrement de ces maux est produit
Par nos dissentiments à nous, par nos querelles.
Nous sommes leurs parents, c'est nous leur origine.

Titania dans la scène 1 de l'acte II. Traduction Jean Malapate dans les Œuvres complètes de la collection Bouquins, tome "Comédies I" p.683
voir le texte original


Parce que je ne la trouve pas sur le net, et pour remercier les acteurs de cette excellente soirée, je copie ici la distribution:
Traduction : Jean-Michel Déprats
Mise en scène : Nicolas Luquin
Assistantes : Maïlis Dupont et Chloé Bernadoux
Création lumière : Valentin Fraisse et Florent Enjalbert
Costumes : Tatiana Hasan
Scénographie : John Bercq
Musique : Andréa Parias et Julien Gauthier
Création maquillage et masque : Adeline Kœger

Thésée / Obéron : Alexandre Texier
Hyppolyta / Titania : Stéphanie Crame
Puck / Philostrate : Julien Alluguette
Egée : Marc Esterez
Lysandre : Aurélien Bédéneau
Démétrius : Nicolas Luquin
Hermia : Nastassia auf des Mauer
Héléna : Alice Dumont / N. Van Tongelen (je ne sais laquelle nous avons vue: une petite blonde au nez retroussé jouant très bien la colère et l'exaspération)
Fleur des pois : Tatiana Hassan / Annabelle Boussaud
Toile d'araignée : Florence Pasquier
Phalène : Sandie Bassard
Graine de moutarde : Béatrice Guiraud
Nick Bottom : Nicolas Siouffi
Francis Flute : Jean-Loïc François / Mickaël Viaud
Peter Quince : Vincent Bramoullé
Tom Snout : Alexandre Morand / Sébastien Coënt
Snug : Christopher Garcia-Alvarez
Robin Starveling : Claude Dos Santos
Le chien : Chanel

Les Misfits

Hier soir.
John Huston, Clark Gable, Marilyn Monroe, Montgomery Cliff

N'ayant vu que les comédies de Marilyn Monroe, je ne m'attendais pas à une telle claque. A travers la rencontre de trois hommes et une femme, nous assistons à la fin de l'époque de la conquête de l'Ouest, au douloureux passage, pour les hommes qui vivaient selon ses codes, aux codes d'une civilisation moins violente, plus policée, moins libre aussi. C'est la conversion du chasseur en agriculteur, de l'homme renonçant librement à une vie indépendante pour accepter les contraintes de la société, c'est-à-dire une famille, par amour d'une femme mais aussi d'un pays, de sa terre et de sa faune. Ce film m'a paru appartenir à la lignée des John Steinbeck (Les raisins de la colère) et c'est sans surprise que j'ai découvert ensuite qu'il était écrit par Arthur Miller: il est proche de Mort d'un commis voyageur. C'est la fin d'une époque résumée dans ces quelques paroles, lorsque les hommes s'apprêtent à aller chasser des mustangs sauvages: «Avant, on les offrait aux gosses à Noël, les gosses aimaient cela. Maintenant ils préfèrent les scooters».

Le visage de Marilyn Monroe diffuse toujours son extraordinaire douceur, cette qualité enfantine qui tout à la fois console et donne envie de la protéger. John Huston se moque d'ailleurs un peu des hommes dans les premières minutes du film qui montrent la voiture cabossée de Marilyn: les hommes provoquent des accrochages afin d'engager la conversation avec elle.
Lorsqu'on connaît un peu la biographie de Marilyn, les scènes et les dialogues qui mettent en place son personnage, Roslyn Taber, jeune divorcée, serrent le cœur, on a l'impression poignante qu'elle raconte sa propre vie. Comment être moins seule, où trouver un homme qui ne soit pas obnubilé par lui-même et le désir de la posséder, mais qui soit capable de s'ouvrir et de partager une vie, la vie? Et comment y croire quand cet homme semble se présenter?

Le film est extrêmement ramassé, concis, il donne tous les renseignements nécessaires à la suite de l'action sans jamais insister, par une suite de rimes visuelles ou dialoguées (par exemple, des photos de Roslyn danseuse de cabaret sont montrées une dizaine de secondes, de façon anecdotique mais inmanquable, ce qui permet à la fois d'attiser le désir du garagiste et de préparer l'un des dialogues cruciaux de la fin, quand Clark Gable fait remarquer à Roslyn qu'il ne l'a pas méprisée malgré cette profession, mais toujours admirée).
La construction est très précise, privilégiant les plans poitrine, insistant sur les visages, faisant monter insensiblement la tension qui devient insoutenable lors de la capture des mustangs, ces derniers êtres libres sur la terre américaine.

Les Simpson

Mardi, à Blois, 14 heures.
C'est très drôle, la caricature est violente, les clins d'œil incessants, mais ce n'est décidément pas mon genre d'humour, sans que je saisisse exactement pourquoi: trop sytstématique, sans doute, pas assez ambigu. J'aime les dialogues et les situations qui permettent les interprétations multiples.

Les femmes et l'homme bon et croyant sont les seuls à ne pas être tournés en ridicule : s'agit-il d'une profession de foi du réalisateur? Je vois là en tout cas une signature très américaine: en Europe, le bon sens féminin ne serait pas ainsi mis en valeur (le bon sens ET l'indulgence, une indulgence qui confine à la bêtise: le féminisme, ou plutôt la féminophilie, de ce film m'étonne vraiment beaucoup) et l'homme croyant serait obligatoirement étroit et borné, afin de démontrer l'hypocrisie de tout esprit religieux.

Ce décryptage du monde est, comment dire, du faux second degré: les dénonciations sont claires, le message profondément gentil.
Je suis peut-être trop cynique pour les Simpson.

Mais qu'a donc fait Tom Hanks? Il faudra que je fasse une recherche Google dès que j'aurai de nouveau une connexion internet (je poste d'un cybercafé).

Tout cela ne m'empêche pas d'avoir beaucoup ri et de chantonner désormais «Spider-cochon, spider-cochon, il peut marcher au plafond...»

Mirages

Je ne sais pas si beaucoup d'hommes regardant Sex and the City s'imaginent que le monde contient autant de jolies filles, mais en tout cas, je sais qu'il ne contient pas une telle proportion de beaux mecs.
C'est d'ailleurs amusant, le personnage masculin au physique le plus ordinaire est l'ami homosexuel, alors que dans la réalité, c'est généralement l'inverse.

Du rapport à la réalité : dans Six feet under, je me retrouve dans pratiquement tous les personnages, ils me sont extraordinairement proches, dans Sex and the City il me sont tous étrangers.

Crédulité zoophile

— Arrête de bâiller comme ça, on dirait un hippopotame!
— Je sais, c'est comme ça que j'ai séduit ton père. En frétilant des oreilles, aussi.
— C'est vrai ?

Un autre monde

Quatre jours chez mes parents.
Lundi, fin de matinée.
Hier, j'ai réussi (ce n'est pas difficile, le difficile serait plutôt l'inverse) à faire pleurer ma mère en faisant remarquer au petit déjeuner après qu'elle eut crié à travers la maison aux enfants captivés par la télévision «Allez-vous laver les dents!» «Tu aurais dû être colonel d'active, tu aurais été bien plus heureuse». C. a précisé «Maréchal des logis chef», papa a ri et ma mère s'est mise à pleurer.
Ce matin, considérant sans doute que j'avais assez dormi (à 9h30, certes, mais je suis rentrée hier très tard de chez ma grand-mère, et puis après tout c'est mon premier jour officiel de vacances), elle a fait entrer le chat dans ma chambre (j'ai entendu la porte qui s'ouvrait et se refermait), chat qui s'est mis à miauler dix minutes plus tard pour sortir.
Je me suis levée.

Après une journée passée hier avec mes tantes soixantenaires et leurs souvenirs de bureau («Ce qui a tué la vie de bureau, ce sont les horaires variables» (Je résume: Les horaires fixes obligeant à être présents de 8 heures à midi et de 14 heures à 18, il se développait une intense vie communautaire entre midi et deux heures, sorties sous les cerisiers, visites aux collègues en congé de maternité, atelier tricot ou crochet. En raccoursissant la pause déjeuner à quarante-cinq minutes, les horaires variables ont entraîné chacune à ne plus songer qu'à rentrer chez elles le plus vite possible.[1] (Et je voyais naître chez elles la nostalgie de cette vie policée et amicale, nostalgie que je comprends si bien en constatant que mes enfants ne connaîtront jamais le plaisir des interminables parties de tarot entre midi et deux en attendant la reprise des cours: il n'ont qu'une demi-heure pour déjeuner)), leurs regrets d'une organisation fixe, plus militaire, je songeais que toute une génération avait sans doute été marquée par sa vie en internat à partir de onze ans, seule manière d'aller au collège quand on habitait dans des communes reculées.
Il y aurait sans doute une étude à mener sur les impacts de la vie en internat sur les comportements sociaux des enfants nés dans les années quarante.

En attendant, n'ayant moi-même aucun goût pour la vie de caserne, je tape ici ma rage d'avoir été réveillée pour rien, au nom d'un principe.

Notes

[1] Un jour, je parlerais de Petit abécédaire des entreprises malheureuses, qui entre autres décrit concrètement les conséquences de 1968 sur la vie de bureau

Les causes économiques de la progression de l'obésité

Le post de Chondre m'a rappelé l'un de mes documents préférés sur l'obésité.
Il s'agit d'un article qui explique l'obésité par la théorie économique, ce qui m'amuse. Cependant, c'est un article très sérieux, qui constitue à lui seul une véritable introduction à la théorie économique classique. D'autre part, il indique mathématiquement la façon de ne conserver le poids moyen que nous aurions eu en 1965 (cela aussi me fait rire: qui utilise cela comme critère de tour de taille?)

En résumé, l'alimentation a connu la même évolution que le reste des produits : industriatisation, production de masse, baisse des prix, consommation de masse. En d'autres termes, il n'y a pas de différence entre l'évolution de notre rapport à la nourriture et celui de notre rapport aux objets. Prenons l'exemple de la montre: c'était un objet symbolique qu'on se transmettait d'une génération à l'autre, qu'on offrait pour les quinze ans ou la communion solennelle, elle est devenue dans les années 80 un objet de consommation jetable.
La nourriture a connu la même banalisation. La différence, c'est qu'on ne mange pas sa montre, alors qu'avoir un comportement de consommation de masse avec la nourriture fait grossir. (C'est cela qui me fait rire: la démonstration scientifique d'une évidence).
Finalement, le problème de l'obésité ne serait pas différent du problème de l'achat compulsif d'objets: la même incapacité à ne pas consommer ce qui est si facilement disponible, même au-delà de ses moyens ou besoins.


L'article s'intitule "Les causes économiques de la progression de l'obésité". Il est paru dans Problèmes économiques n°2.860 d'octobre 2004. Il s'agit de la traduction résumée d'un article originellement publié par David M. Cutler, Edward L. Glaeser et Jesse M.Shapiro dans the American American association (vol.17, n°3, été 2003) sous le titre "Why have American Become more Obese?"
Je vous en livre de larges extraits :

[...]
Notre théorie trouve une bonne illustration dans l'exemple de la pomme de terre. Les Américains en étaient grands amateurs avant la Seconde Guerre mondiale. Ils la consommaient surtout cuite au four, bouillie, ou en purée, et généralement à la maison. Les frites étaient rares dans les foyers et dans les restaurants, du fait du travail d'épluchage, de coupe et de cuisson qu'elles nécessitent. Ces activités sont très consommatrices de temps en l'absence d'équipement coûteux. Un certain nombre d'innovations ont permis après la guerre la centralisation de la production de frites. Quelques sites fonctionnant avec de nouvelles technologies sophistiquées concentrent maintenant l'épluchage, la coupe, et la cuisson des pommes de terre. Les frites sont ensuite congelées à -40° et envoyées sur leur lieu de consomamtion où on les réchauffe rapidement dans une friteuse pour la restauration rapide, et dans un four, voire un four à micro-ondes. Les frites sont devenues actuellement la façon la plus courante de consommer la pomme de terre et le légume préféré des Américains. Cette évolution se traduit dans les chiffres de consommation. La consommation totale de pommes de terre a progressé d'environ 30% de 1977 à 1995, un chiffre dû presque exclusivement à l'augmentation de celle des chips et des frites.
La théorie du progrès technique a plusieurs implications que nous allons tester de façon empirique. En premier l'augmentation de la quantité de calories consommées repose surtout sur celle du nombre des repas plutôt que sur celle du nombre de calories par repas. Ce phénomène concorde avec la baisse des coûts fixes de la préparation des aliments. Ensuite, la consommation de la nourriture produite en masse a connu sa plus forte augmentation durant les vingt dernières années. En troisième lieu, les groupes présentant la prise de poids la plus marquée sont ceux qui se sont trouvés le plus à même de profiter du progrès technique. Les femmes mariés passaient beaucoup de temps à préparer les repas dans les années soixante-dix, ce qui n'était pas le cas des célibataires masculins. L'obésité a progressé bien davantage chez les femmes mariées. Enfin, nous montrerons que l'obésité au sein des différents pays est liée à la diffusion des nouvelles technologies alimentaires et des aliments industriellement transformés. L'alimentation et son système de distribution font partie des domaines les plus réglementés de l'économie. Certaines de ces réglementations sont explicites, comme la position ferme de l'Union européenne contre les aliments génétiquement modifiés ou la loi sur la pureté de la bière appliquée depuis longtemps en Allemagne. D'autres «régulations» sont d'ordre culturel, comme la croisade de José Bové contre McDonald's en France. Les pays dotés d'un degré élevé de réglementation destiné à soutenir une agriculture et un système de distribution traditionnels présentent des taux d'obésité moins importants.
La profession médicale déplore, certes, l'augmentation de l'obésité mais on sait en économie classique que la baisse du prix de tout bien — en termes de coût financier et de temps — augmente l'ensemble du budget et favorise le bien-être général. Le problème de l'autodiscipline des consommateurs vient toutefois compliquer cette interprétation. La baisse du coût en termes de temps de la consommation alimentaire peut exacerber chez certains l'absence de contrôle de leur consommation. Et les 40 à 100 milliards de dollars dépensés annuellement en régimes alimentaires attestent de la présence généralisée de ce problème. [...]
[...]
Technologie, division du travail et obésité
Plusieurs théories pourraient expliquer l'augmentation de la consommation de calories au cours des vingt-cinq dernières années. On pense à l'évolution des prix et des revenus dans la mesure où l'enrichissement de la population permet une alimentation plus abondante. Mais l'évolution des revenus semble impuissante à expliquer nos résultats. Le revenu et l'obésité ont actuellement une corrélation négative, au moins chez les femmes. Par ailleurs, le revenu réel des personnes faisant partie de la tranche de revenus la plus basse a enregistré une faible progression sur la plus grande partie de la période, alors que l'obésité de ce même groupe était en augmentation. L'accroissement de la consommation alimentaire pourrait également s'expliquer par la baisse relative du prix de l'alimentation, mais, de 1970 à 1999, l'indice des prix à la consommation n'a augmenté que de 3% de moins que celui des prix hors alimentation.
Nous rejetons également la théorie expliquant l'obésité par l'augmentation du travail féminin, censée doper la demande de restauration en dehors du domicile — et la demande d'une alimentation moins saine [...]. Il n'est en outre pas établi que la prise de repas en dehors du domicile augmente la consommation de calories. Les restaurants peuvent proposer des repas à faible teneur calorique aussi facilement que l'inverse. Et il semble de fait que la substitution des repas préparés à la maison par des repas pris à l'extérieur n'ait pas augmenté le nombre de calories consommées par repas.
La nouvelle théorie de la croissance de l'obésité que nous proposons ici se fonde sur la diminution du coût en termes de temps de l'alimention. Celle-ci a eu pour effet d'augmenter la fréquence et la diversification alimentaire et, par là même, le poids de la population.

L'avènement de la préparation de masse
La préparation d'aliment consommables s'est traditionnellement effectuée à partir de produits agricoles crus. Cette opération exigeait un laps de temps substantiel. le temps de préparation et de nettoyage a représenté jusqu'aux années soixante la majorité du coût total de l'alimentation. Les familles dépensaient en moyenne 15 dollars (en valeur de 1990) par jour, en 1965, en achats alimentaires, et consacraient quotidiennement 130 minutes environ aux tâches de préparation des repas et de nettoyage (Robinson et Godbey, 1997). Converti en salaire moyen féminin, ce temps représentait peut-être 20 dollars, soit 57% des dépenses alimentaires totales. Or, le temps passé à la préparation des repas a chuté de moitié pendant les trente dernières années.
Il a toujourq été possible de préparer la quasi-totalité des aliments actuellement proposés, à condition de vouloir y mettre le temps. Des cuisinières ambitieuses pouvaient par exemple confectionner des petits gâteaux fourrés à la crème, mais cela représentait une opération très longue. Les innovations techniques intervenues depuis les années soixante-dix permettent maintenant aux restaurants et aux usines de faire ces préparations, en exploitant la technologie et le taux de marge. Les petits gâteaux à la crème sont maintenant vendus moins d'un dollar. [...]
La majorité des innovations importantes a d'abord été le fait des Etats-Unis du fait de l'avance technologique de ce pays et de la taille de son marché. Les autres pays ont souvent limité l'accès de leur territoire aux produits alimentaires ou à leurs distributeurs (comme les établissements de restauration rapide) américains. L'alimentation constitue de surcroît un des domaines les plus réglementés de l'économie et de nombreux pays ont fait obstacle à l'introduction des nouvelles technologies alimentaires.
La diminution du temps passé à la préparation des repas et aux tâches de nettoyage subséquentes constitue peut-être la manifestation la plus parlante de la révolution du coût en termes de temps de la production alimentaire. Le temps de préparation des repas a diminué de près de la moitié à la fois pour les femmes actives et celles au foyer. Cette évolution se fait à statut professionnel constant. Elle reflète la technologie et non l'appartenance à la population active.
Les données sur la répartition des dépenses entrant dans le coût des aliments font également apparaître l'importance croissante de leur préparation commerciale. En 1972, les agriculteurs étaient responsables de 44% du coût de la nourriture. En 1997, seuls 23% du coût de la nourriture proviennent de l'agriculture. Le reste est le fait de la distribution. Cette constatation ne s'applique pas seulement à la restauration. Les dépenses non liées à l'agriculture représentent à l'heure actuelle 80% du coût de la nourriture consommée à la maison. Le travail accompli dans les supermarchés et les usines a remplacé celui effectué à la maison, une évolution ayant pour conséquence des économies de temps considérables pour les foyers.

Les implications du progrès techniques
La préparation des aliments implique des coûts fixes et variables. L'épluchage et la coupe des frites représentent par exemple des coûts marginaux en terme de temps, alors que la friture constitue généralement un coût fixe (dans la mesure où la friteuse est pleine). La préparation de masse implique la répartition de la composante de temps fixe sur un grand nombre de consommateurs. Elle fait en outre baisser le coût marginal de la préparation des aliments en substituant le capital au travail. Enfin, elle exploite la division du travail. La préparation des aliments est maintenant assurée par des professionnels et non plus par les particuliers, ce qui en diminue à la fois les coûts fixes et les coûts marginaux.
La réduction du coût en termes de temps de la préparation des aliments devraient entraîner un accroissement des quantités consommées, en vertu du principe selon lequel la baisse de prix de tout bien en augmente la consommation.[1] D'après un modèle «quantité-qualité» standard de consommation alimentaire, à l'image de celui de Becker et Lewis (1973), cette augmentation peut se produire par différents biais : 1) la diversification de la nourriture consommée; 2) l'accroissement de la fréquence de la consommation; 3) l'adoption d'aliments industriels très caloriques et à forte saveur n'existant pas auparavant; ou 4) l'augmentation de la consommation générale de chaque aliment. Du fait de la baisse des coûts fixes, nous devrions voir attribuer la plus grande partie de l'augmentation des calories à la diversification de l'alimentation et à l'augmentation de la fréquence des consommations plutôt qu'à l'accroissement des quantités consommées par repas. Et, de fait, la réduction des coûts en termes de temps a un effet ambigu sur le nombre de calories par aliment. Si la quantité des repas et de la nourriture absorbée à chaque repas sont des substituts (du fait du rassasiement des consommateurs, par exemple), le nombre de calories absorbées à chaque repas devra diminuer.
[...]

La conclusion : Le temps gagné sur la cuisine doit être passé à marcher ou à courir. Au total, l'industrialisation alimentaire ne nous aura fait gagner que cinq minutes de loisir :

Il y a eu en moyenne aux Etats-Unis une baisse du coût en termes de temps de la préparation des repas d'une vingtaine de minutes par personne et par jour de 1965 à 1995. A cette diminution de temps correspond un gain de 4,5 kg au cours de la période représentant une centaine de calories par jour, ou environ 1,6 km d'exercice quotidien. S'il faut 15 minutes pour marcher ou courir 1,6 km, le coût en termes de temps représenté par les 4,5 kg acquis est d'environ 15 minutes par jour[2] L'individu normal doit bénéficier de la réduction du coût en termes de temps de l'alimentation. Des 20 minutes gagnées sur la préparation des repas, on pourrait en passer 15 à faire de l'exercice et à perdre le poids acquis, et disposer encore de 5 minutes de liberté.
[...]

Finalement, les grands gagnants sont ceux qui considèrent que le sport (et l'endomorphine qu'il libère) est une forme de liberté.


Notes

[1] C'est moi qui souligne.

[2] Le raisonnement économique classique (en mettant de côté l'actualisation hyperbolique) suggère que les individus qui ne font pas de sport estiment probablement que le fait de perdre du poids vaut moins que ces 15 minutes quotidiennes.

Deux blogs, quelques dessins, à bas la poste.

Grâce à Caféine (je n'aime pas que "les blogs de pd sympas" (je cite Zvezdo (pendant qu'il n'est pas là)), j'aime aussi les blogs de geeks sympas), je découvre Maliki (descendre avec l'ascenseur pour voir les archives (j'ai mis cinq minutes à trouver, mais je suis fatiguée)).

Strip de ce jour sur La Poste (il faut éventuellement cliquer pour agrandir).
Et en liens plein d'autres blogs... heureusement que c'est les vacances (Malheureusement s'annoncent quatre ou cinq jours sans connexion. Malédiction!)

J'ajoute celui-là.

Eve

Mercredi soir.
Retour au Parc de la Villette, pour la première soirée chaude de l'été. Je me suis tant dépêchée pour tâcher d'être à l'heure (mission accomplie) que je suis en nage. Je me déchausse, l'herbe est incroyablement douce, ils ont bien raison de recommander qu'on n'écrase pas ses mégots dedans. (Mais alors, où les écraser?)
Comme d'habitude j'ai mon kit de survie, chaussettes, écharpe, ponchon. La première fois, il y a bien longtemps, que je suis venue à La Villette, j'avais refusé présomptueusement la couverture proposée avec la chaise longue: il faisait beau, au diable la couverture! Trois heures plus tard, transie, je comprenais pourquoi on proposait une couverture avec la chaise longue (l'un de mes regrets est de ne pas être allée à La Villette l'été de la canicule, en 2003 : on devait être bien).

Le problème d'un film comme Ève, c'est que même sans l'avoir jamais vu, on en a tant entendu parler qu'on sait déjà certaines choses, et cela empêche de douter autant qu'on devrait douter: Ève est-elle vampirique, ou est-ce Margo qui est paranoïaque? Karen, la meilleure amie de Margo, semble bel et bien penser que celle-ci mérite une leçon, ce qui innocente Ève un moment aux yeux des spectateurs.

J'ai trouvé au visage d'Anne Baxter quelque chose du visage de Joan Fontaine dans Lettre d'une inconnue. J'ai été amusée de constater que Marylin Monroe jouait pratiquement son propre rôle, celui d'une starlette prête à tout pour réussir (ce qui est d'ailleurs la condition du succès, est-ce Margo ou DeWitt qui l'affirme dès le début du film? les acteurs sont des êtres anormaux car ils sont prêts à tout pour leur carrière, leur carrière est la seule chose qui compte réellement pour eux, et c'est cette phrase qui est illustrée tout au long du film.)

Est-ce une évolution courante ou cela m'est-il propre? Swann reconnaissait des personnages de tableaux dans les visages autour de lui; je reconnais mon entourage dans les personnages de romans ou les films: le héros d'Un jour sans fin c'est Frédéric, la photo de Grossman dans Carnets de guerre me rappelle Patrick, l'homme du souterrain, c'est X., Ève, c'est Anne, la collègue que je suis bien heureuse d'avoir quittée...

Le jardin des Finzi-Contini

Ce soir (hier soir) un coup de Vélib pour aller voir Le jardin des Finzi-Contini à Saint-Germain-des-Prés.

Evidemment, mon attente était particulière, j'allais à la rencontre d'une référence. Je n'ai pas été déçue, les images fournies par le film correspondaient au décor que j'avais mis en place.

La lumière de ce film est poudrée, elle auréole les choses et les visages. L'adaptation est très fidèle, on retrouve les moments importants, les détails, aussi (Yor, le nom des arbres, la fille de la fête foraine, le scandale dans la salle de cinéma...).
Le film est plus explicite que le roman sur bien des points, à la fois concernant la vie des héros et les événements historiques.

Des paysages, des rues, les arbres l'été et les arbres dans la neige, des visages, les chandails blancs qui ouvrent le film, Giorgio et Micol portant seuls des tenues assorties, blanc rehaussé de rouge, le regard de la petite fille dans les flash-back, les relations de chacun avec tous qui se distendent, le château qui s'éloigne dans le rétroviseur,...

Un film lent, sans impatience et sans concession. Je me demande ce qu'on en pense quand on ne connaît pas le livre.

Souvenir de pyjama

L'année suivant mon bac, j'avais un magnifique pyjama, pantalon rose et panthère rose sur haut blanc.
A l'internat, il m'arrivait de passer le dimanche en pyjama et d'enfiler vers quatre heures de l'après-midi un imperméable par dessus pour aller acheter un ou deux pains au chocolat, quand ma faim dépassait ma flemme.

En repassant le pyjama que H. m'a rapporté l'autre jour, je me dis que je vais pouvoir recommencer à aller chez le boulanger en pyjama. A condition que personne ne s'en aperçoive, déjà que j'horrifie la maisonnée à prendre la voiture en peignoir pour déposer quelqu'un à l'école ou à la gare.

Affreux, sales et méchants

Parc de la Villette, mardi 24 juillet.

A la fin de la projection, j'ai réalisé que cela faisait longtemps que je n'avais pas vu un vrai film, un film qui ne soit ni gentil, ni joli, ni d'action, ni..., un film qui ne soit pas là pour faire plaisir, au réalisateur ou au spectateur, un film qui appartienne à tout ce qu'on veut sauf à la catégorie divertissement.

J'ai trouvé une critique avec laquelle je suis globalement d'accord, je la mets donc en lien ce qui m'évite de la paraphraser en la dénaturant: ici.

Le titre dit toute la vérité: les personnages sont affreux, sales et méchants. Que fait un spectateur confronté à des personnages affreux, sales et méchants? Il ne peut pas s'apitoyer (ils sont méchants), il ne peut pas condamner (la société ne leur a pas fait de cadeau, ils ne sont pas totalement responsables), il ne peut pas s'identifier (nous ne vivons pas dans des bidonvilles, nous qui allons au cinéma).
Alors le spectateur regarde, il écoute, il comprend parfois et partage quelques réactions, il rit, il est pétrifié d'horreur, il n'entrevoit pas vraiment d'avenir, le temps est immobile, dans la crasse et la lubricité.

Ce film tient magiquement en équilibre, il ne cherche pas à démontrer, il se contente de montrer. La misère, la crasse, la méchanceté, provoquent un sentiment de malaise et ce malaise se double d'un autre, celui de se rendre compte qu'on a envie de rire, qu'on rit, devant tant de bêtise, de roublardise, de ruse, d'obscénité comique dans son insistance. On voudrait croire qu'il s'agit d'une farce, d'une caricature, mais l'accumulation de détails, "de petits faits vrais", éloigne cette explication rassurante: il s'agit bien d'une vie possible. La mise en fiction est d'ailleurs minimale, tout le début du film n'est qu'une succession d'actes quotidiens qui ne constituent pas un récit, simplement la vie qui passe, puis prennent forme quelques anecdotes, quelques scènes, car il faut bien raconter quelque chose: la rencontre de Sybelle, le baptême, la vieille qui touche sa pension, la tentative d'assassinat, autant de scènes qui ne mènent nulle part.
La dernière scène se clôt sur la première, il n'y a pas d'issue, et la fillette du début, maintenant enceinte, vient prendre sa place dans le cirque infernal.

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