Samedi

TG le matin, l'Antre deux, puis Le dernier des injustes.

Quand H. arrive au restaurant, il me dit que O., quinze ans, est si malade (fièvre) qu'il a hésité à le laisser seul.

Enquête

Les questions sont ici.
Réponses apportées le 1er mars 2015.

1. Oui. Plus exactement j'y suis attachée, ils font partie de cette catégorie dont il ne faut pas se demander si on aime ou pas, il faut y aller, parce que cela nous dépasse. Aller aux mariages, aux enterrements. Si possible aller aux remises de diplômes, aux célébrations. Tout ce qui est rite est important, la perte du sens du rite (fondre sa personne, sa personnalité, dans quelque chose qui tient à la communauté, à l'assemblée) me paraît grave; je crois que les rites manquent aux gens, que les gens manquent de rites, qu'ils en sont inconscients. Bien pire, ils sont persuadés d'être "au dessus ça". Peut-être qu'il faudrait leur dire que c'est les rites qui ont besoin d'eux.

2. Oui, quand il y en a. Leur disparition est un grand regret, leur existence un grand réconfort. (Je pesne à elles, je visualise les images d'Hubble un peu n'importe où, n'importe quand.)

3. Non. Je chante très peu.

4. Très tard, vers quinze ou seize ans, en allant dormir chez une amie dont les parents étaient pharmaciens: mes parents étaient profs et n'avaient que des amis profs (l'horreur).

5. Non. Ou à deux heures près! (Enfin, ça dépend des moments).

6. Je ne suis pas habile, je suis pas patiente. Je prends le temps qu'il faut. Mais je ne le prends pas souvent! (Tricot, travaux d'aiguille).

7. Les deux. Recevoir, peut-être, par paresse: c'est compliqué, d'offrir!

8. Oui. Mais là tout de suite, aucun nom ne me vient. Mais définitivement oui. Je suis très sensible à la voix.

9. Spontanément je dirais oui, mais en fait ce n'est pas si vrai. J'aime être couchée, mais je n'aime pas y aller.

10. Lors du dernier Conseil d'Administration, un administrateur syndicaliste m'a dit que le procès-verbal du CA précédent était très bien. Cela m'a fait très plaisir et surprise car les rapports étaient tendus. Mais je crois que ma chute a changé quelque chose dans leur façon de me considérer (à quoi tiennent les choses!)

Coup de chaud

Le fils pas rentré, le téléphone à trois heures du matin, la tête qui réfléchit pendant que les jambes dévalent l'escalier: non, il n'a pas pris la voiture.

C'était un fax.

Chronique d'une mort annoncée

Réunion ce matin avec mes "Dalton" (dit aussi (intérieurement) "la bande des quatre": ils sont quatre administrateurs qui préparent les conseils d'administration devant moi (avec les chiffres que je leur fournis: moi je suis salariée de la mutuelle, pas élue)).

La mise à mort lente de cette structure vieillotte a été décidée de fait, même si tout le monde se regardait un peu gêné: une vieille dame de 1928, ce n'est pas si facile… Mais vraiment trop de contraintes et trop de frais pour un intérêt minime (les salariés se moquent d'avoir un contrat de santé ou une mutuelle, tout ce qu'ils veulent, c'est une complémentaire qui ne coûte rien et rembourse tout).

Alors dans deux semaines nous ne proposerons pas d'augmenter les cotisations, le résultat de décembre 2014 sera très vraisemblablement négatif, nous puiserons dans les réserves, et quand il n'y aura plus de réserves (dans cinq ans? dix ans?), nous liquiderons la structure.

A moins qu'il se passe quelque chose. Il se passe souvent quelque chose, il est rare qu'un plan se déroule comme prévu sur cinq ou dix ans.

Onomastique

Avoir un nom italien et avoir appelé ses jumeaux César et Alexandre.

(Je regrette qu'il ne soit pas allé au bout de sa logique et qu'il n'ait pas appelé ses enfants Rémus et Romulus.)

Trêve

Lu La Trêve. Je le lis comme un manuel de management (les stratégies de pouvoir en entreprise, oui, ce sont bien les mêmes types humains que l'on retrouve) et de survie (des chaussures avant de la nourriture: je m'en souviendrai (de la même façon que j'ai un bout de terrain pour pouvoir planter des patates, conseil de ma grand-mère, renforcé par le soulagement de Jiri Weil (Vivre avec une étoile) quand il peut planter quelques carottes entre les tombes au cimetière où il est réquisitionné pour travailler)).
Parfois je me demande s'il est tout à fait normal d'ainsi toujours me préparer au pire, mais en réalité, la réponse à cette question m'est indifférente.

Lu La Trêve. Journée à lire, en grande partie au lit : très inhabituel.

Vers le soir je sors pour aller chercher O. à Orsay; le matin marché. Cependant, c'est tout de même une journée essentiellement vide.

Enquête

Les questions sont ici.

Réponses apportées le 1er mars 2015.

1/ Soit par la salle à manger de ma tante en train de me raconter les circonstances de ma naissance, soit par la cescription d'une photo noir et blanc où ma tante Marion et ma grand-mère sont à la Source (je suppose) et me tiennent dans leurs bras.

2/ Dans l'ordre des dégoûts: olfactif, sonore, lumineux (sentir mauvais, être bruyant, être sombre); dans l'ordre du goût lumineux, olfactif, sonore.

3/ Souvent quand j'étais jeune, rarement aujourd'hui (je me représente mieux les contraintes).

4/ Non, très rarement. Quelques minutes à contempler autour de moi avant de me plonger dans un livre ou une lettre à écrire.

5/ Aussi longtemps que j'ai à manger (et je peux manger n'importe quoi). (Mais si l'on m'approvisionne, je crois que cela n'a pas de limite.)

6/ Oui, régulièrement voire souvent. Au total j'en suis étonnée et plutôt fière. On me choisit pour demander son chemin, mais aussi pour me demander si ça va. Une clocharde m'a offert une rose, un jour, sur un trottoir.

7/ L'anticipation. Je considère l'urgence comme un échec.

8/ Fenêtre (avec la désagréable surprise de se retrouver à côté du montant qui sépare deux fenêtres: remboursez!)

9/ Pas vraiment, mais si quand même: Bachelard (parce qu'il a poursuivi des études veuf avec une petite fille et un métier de facteur), Ricœur, Thérèse d'Avila.

10/ Non tant que je les comprends (parfois dans le bus des jeunes que je ne comprends absolument pas: ils parlent trop distordant).

Chapitres de la chute au Théâtre du Rond-Point (chronique des Lehman Brothers)

C'est tout simplement excellent.

L'auteur, Stefano Massini, est italien, et je ne sais qui a traduit, mais il y a un grand plaisir des mots, une structure en forme d'épopée et de contes (des refrains, des reprises), le support de la tradition yiddish voire biblique (Noé), une grande efficacité de la mise en scène qui permet de suivre sans difficulté toutes les transformations des six acteurs qui tiennent successivement tous les rôles.

L'histoire commence dans un minuscule magasin en Alabama dont la clenche de la porte coince un peu. Le magasin vend du tissu.
Incendie (je spoile: je ne crois que vous irez le voir, et si je me trompe, connaître l'histoire n'est pas handicapant). Le magasin va fournir tout ce qui a brûlé (graines, outils agricoles, etc) aux villageois — et acheter d'avance le coton brut, la prochaine récolte à venir, aux propriétaires ruinés.
Enrichissement sur fond d'esclavage. (C'est un constat, pas un jugement.)

Usines à filer le coton dans le Nord. Prospection auprès des exploitants d'Alabama. Mariage. Guerre de Sécession. Installation à New York. Chemins de fer. Canal de Panama. «Ce que nous vendons, ce n'est plus du coton, c'est de l'argent.» Emballement et cauchemars. Jeudi noir. Suicides. Les deux cousins Lehmann, le politicien et le banquier. Leçon de marketing: «Normalement, une vente est un échange équitable. Désormais, nous devons faire croire à celui qui achète qu'il y gagne, et que le vendeur est perdant.»

Le dernier Lehman meurt. Il y a longtemps que les rites de deuil juifs n'étaient plus suivis, mais maintenant il n'y a plus de Lehman pour s'en souvenir.
La pièce résume le combat entre la banque et la finance par un match de ping-pong entre un Grec (directeur de la banque) et un Hongrois (patron des tradeurs), match de ping-pong dominé par le Grec transformé alors par le Hongrois en match de squatch qu'il domine.
Dans la dernière scène, les directeurs attendent le verdict de l'Etat américain, la banque va-t-elle être renflouée? L'un d'entre eux murmure: «En 1929, nous n'avons aidé personne.»
Le verdict tombe: la banque est en faillite.

J'ai pensé à Blue Jasmine, à cette façon de pleurer sur soi-même après avoir concouru à sa propre perte.

Vocabulaire

Je suis debout dans le RER, au niveau de six places se faisant face trois à trois. Cinq jeunes filles révisent des noms en D, l'une donne le mot, les autres tentent d'en donner la définition, la première les aide. J'arrive au moment de "dépréciation" ou "déprécation", je ne suis pas sûre de bien comprendre, est-ce de l'anglais qu'elles révisent?

Non, c'est bien du français: démotique, désaffection, déshérence, desidérata (toujours au pluriel, prend un "s"), désolation (au sens de "destruction"),…
Je suis intriguée: sont-elles en première, et leur professeur de français a-t-il décidé de traiter le mal à la racine (avec un pincement au cœur, je me dis que cela aurait dû être fait il y a des années, au collège (mais leur sérieux me remplit d'espoir: quel professeur peut-il réussir à obtenir cela d'élèves de première? (car il n'y a aucun signe d'ennui ou d'exaspération parmi elles)); sont-elles en première année de fac littéraire?

Au moment de quitter le wagon, je me penche vers la jeune fille au bord de l'allée:
— Excusez-moi, mademoiselle, vous êtes en quelle classe?
— En prépa orthophoniste.

Lauréat

— Aujourd'hui on a fait un concours de blagues nulles et j'ai gagné: «C'est l'histoire d'un type qui entre dans un café, et plouf!»

Sortie

Presque un mois sans ramer. Je n'ai qu'un midi de libre par semaine pour ramer, le moindre imprévu — une réunion, un jour férié — invalide ce jour. Déjà un mois, je n'ai pas vu le temps passer. Les arbres ont encore leurs feuilles, ils sont encore un peu vert, chaque année je me souviens de nouveau (j'oublie chaque année) qu'il est finalement logique que l'automne dure jusqu'en décembre.

Un seul débutant par bateau, c'est déjà beaucoup trop! Le retour est pénible, il ne faut pas regarder les berges, le bateau progresse très lentement.

La marque




La feuille blanche présente des informations, le rectangle bleu des noms et le numéro du bureau.
L'étiquette grise indique que les personnes du bureau acceptent que leurs chaises soient remplacées.

Et chaque fois que je vois ce signe (répété sur de multiples chambranles), je pense à Ali Baba et aux juifs la nuit de leur fuite d'Egypte.

Lectures

Pas de boîte à livre à la bibliothèque Melville. Je me suis détournée pour rien. Ce faisant, j'ai commencé machinalement Sur la balance de Job que j'allais rendre sans l'avoir lu, j'ai donc deux jours pour lire trois cent cinquante pages (il a déjà été prolongé deux fois).

Je suis un peu gênée de lire la Bible dans le métro, je me sens évangéliste fanatique.

Journée catholique

TG le matin, qui complète (pour ne pas dire remplace) le cours du mardi (le cours du mardi sur les synoptiques est très lent et peu fouillé, même s'il est amusant).

L'après-midi, réunion des participants au séjour d'Inoï (sessions de juillet et d'août, anciens des années précédentes et potentiels participants futurs). C'est une idée un peu bizarre pour une semaine qui ne se veut ni une retraite ni un colloque, mais cela fait plaisir de revoir certaines têtes (j'ai oublié tous les noms sauf quatre. Heureusement que nous sommes étiquetés). Je regrette l'absence de Leonardo et Marc. J'en profite pour prendre précisément le nom et l'adresse des quelques personnes que je reverrais volontiers hors cadre. En effet, j'ai constaté que j'avais du mal à envoyer un mail sans raison particulière, sans but précis. C'est plus facile sur papier. Or nous avions les mails de tous (sans les noms en face, ce qui rend parfois l'identification douteuse), mais pas les adresses.

J'entreprends La Genèse. Cela me fait sourire d'ouvrir une Bible à la première page. Cela ressemble au début d'un long voyage dont on entrevoit la fin quand on contemple la tranche du livre fermé. La dernière fois que j'ai fait cela, c'était en première. J'en lisais quelques paragraphes chaque soir, ça m'a pris deux ans. Je comprends mieux aujourd'hui l'impression brouillonne que j'avais éprouvée (et ma question informulée: mais que trouve-t-on de si extraordinaire à un texte aussi mal ficelé, aussi incompréhensible, aussi violent?); je ne savais pas à l'époque que ce n'était pas un texte réellement linéaire, mais plutôt tournant en lui-même. Je me souviens de la traversée des Nombres et du Lévitique comme d'une lecture aussi aride et pénible que si j'avais été moi-même en train de tourner dans le désert avec les tribus. Je me demande parfois si c'est un effet volontaire.
Aujourd'hui j'espère la lire en feuilleté: un livre de la Bible, un livre quelconque. A priori, cela devrait demander trois ou quatre ans cette fois-ci.

Enquête

Les questions sont ici.
Réponses apportées le 1er mars 2015.

1/ Très rarement (en fait non). Il m'arrive de regretter de perdre mon temps parce que je préfèrerais être en train de faire autre chose.

2/ Non. Mais je n'imaginais pas grand chose (que je resterais seule et que je marcherais sur la planète).

3/ D'électricité.

4/ Oui, quoique j'aime tant mon pays que je lui pardonne difficilement ses défauts. Je le voudrais meilleur.

5/ Non, hélas. Il est arrivé que je me réveille moi-même.

6/ Hier samedi. Oui, au déjeuner, nous avons raconté des bêtises, et pourtant nous n'étions que trois (la cuisine, lieu de toutes les hilarités). Aujourd'hui. Oui, voyons… En écoutant quelque chose à la radio, en lisant quelque chose sur FB (mais quoi ?)

7/ Oui, depuis les tempêtes de 2000 et depuis que je me suis trouvée dans un pré avec un troupeau de chevaux pendant un orage. Ils se sont tous mis à galoper vers moi.

8/ Je ne sais pas. Je pense que non, mais peut-être que oui. Le plus important n'est pas dit. Ce blog sert aussi à cela. C'est plus facile.

9/ Il m'en reste une : deux lettres par an. Je ne l'ai pas revue depuis des années, je n'ai jamais vu ses enfants dont l'aîné a vingt-trois ans.

10/ Parfois. J'ai des périodes. (La dernière est passée).

Le groupe, passé et avenir

Je suis allée écouter une intervention du patron du groupe à la maison des polytechniciens. Je voulais savoir ce qu'il racontait hors de l'entreprise: je suis rassurée, les discours interne et externe sont identiques. Ma seule surprise a été son insitance sur la communication: son coût pour relancer les marques (coût qui a pesé sur le bilan au moment de la crise financière (mais succès de "Cerise")) et sur l'importance d'une erreur de communication comme il s'en est produit cet été. La comm, nerf de la guerre (ou plutôt, déesse à ne pas monter contre soi: peut-être n'est-ce pas pour rien que dans Ulysse, Bloom travaille dans la publicité).

Lors des questions, il a insisté sur l'importance des hommes, tout en faisant remarquer que choisir des individus n'était pas une science exacte. A ce propos il a rapporté l'anecdote suivante: «Vous savez, quand Franck Cammas a remporté la Volvo Ocean Race alors que personne ne s'y attendait, on l'a interviewé à deux étapes de la fin, on lui a demandé s'il était heureux. Il a répondu oui, mais que si c'était à refaire, il y avait cinq coéquipiers (sur onze) qu'il ne prendrait pas (ce qui mettait de l'ambiance pour les deux étapes restantes).»

Ce qui m'est sympathique, c'est son attachement au mutualisme. Il a terminé son intervention par «Jamais les risques n'ont été aussi grands pour une rentabilité aussi faible», à quoi le présentateur a répondu en riant «C'est à cela que l'on reconnaît que vous n'êtes pas dans un groupe capitaliste, car avec de grands risques et pas de rentabilité, vous mettriez la clé sous la porte!»

Ce fut le mot de la fin.

Témoignage d'un bidasse

— Les statistiques veulent qu'un livre rangé dans une bibliothèque a cinq pour cent de chance d'être lu.
— Ça veut dire que les gens stockent sans lire.
— Moi, je stocke pour ma retraite ou le jour où je me casserai la jambe. C'est Sophie qui m'a soufflée: elle stocke pour le jour où elle sera en prison!
— Moi j'ai fait de la prison.
— Moi aussi. Pendant mon service, j'ai fait de la prison pour avoir cabossé une voiture. J'y suis resté une semaine. Les autres demandaient à être deux par cellule pour ne pas s'ennuyer, moi j'ai demandé à être seul. J'ai lu Kawabata, Pays de neige, j'ai commencé Sur la route de Kerouac. Au service, je lisais Genet, Notre Dame-des-Fleurs. Je n'aurais pas eu le droit de lire L'Humanité, mais Genet, oui, personne ne connaissait.

Retour sur un ancien chemin

Retour sur au club littéraires des anciens Sciences-Po, ce club qui réunit des anciens au restaurant une fois par mois pour présenter un livre sur un thème imposé et repartir avec le livre d'un des participants (bookcrossing).

C'est ici que j'avais rencontré Paul Rivière, il y a bien longtemps (septembre 2000. J'avais présenté Le Voleur de Bible. Par coïncidence, la dernière soirée à laquelle j'avais participé de façon régulière avait eu lieu le 11 septembre 2001 — marche dans Paris silencieux, sous le choc, pour rejoindre le restaurant. (Ce soir-là, Madame Bleu de Chine (comprendre l'éditrice de Bleu de Chine) intervenait).

Ensuite, je n'y étais plus allée que sporadiquement, prise d'abord par mon Deug de philo, puis par la découverte de RC et le forum de la société des lecteurs.
Cependant ce club est resté au long des années le prétexte des rencontres hebdomadaire avec Paul: il venait avec le thème de la prochaine rencontre, je proposais des auteurs, nous discutions. Les livres s'entassaient sur la table de restaurant en pile aussi haute que la bouteille.

Je n'arrive pas à me souvenir exactement de ma dernière participation; avant la mort de Paul en avril 2010. Sans doute en mai ou juin 2009. Je sais que les derniers livres que j'ai présentés étaient Vies politiques d'Arendt (quel thème? l'actualité, la culture? je ne sais plus) et Les gommes (thème: la ville).

Je reçois régulièrement les annonces des prochaines rencontres, et cette fois-ci, un peu par curiosité, un peu par ce que je me sens moins fatiguée que l'année dernière, je me suis inscrite. (Thème: "vos lectures non littéraires". J'ai présenté Souvenirs de Hans Jonas, m'apercevant en le feuilletant que beaucoup de noms inconnus en 2005 lors de ma première lecture (Bultmann, Löwith, von Harnack,…) me sont devenus familiers.)

Le hasard fidèle à lui-même m'a placée en face d'une dame revenant de plusieurs années au Etats-Unis qui enseigne quelques heures à la catho. La conversation a glissé sur le cycle C et a amené la fameuse question: pourquoi la théologie?
— La foi, sans doute. La montée de l'islam et la nécessité de "se connaître soi-même" pour répondre de soi et répondre aux autres. Et fondamentalement, c'est sans doute ce que j'aurais dû faire depuis toujours.

Pourquoi la théologie? Avouons que je ne sais toujours pas ce que c'est: de quoi parle-t-on? C'était un moyen d'échapper à la littérature, qui me paraît artificielle et affectée dès que je m'y penche, et à la philosophie, qui d'une part me dépasse souvent et d'autre part me met en colère, tant il me semble qu'elle joue à l'apprenti-sorcier, diffusant des idées (que l'on pense des conclusions mais qui sont des hypothèses) mises ensuite en pratique dans les cent ou deux cents ans suivants, causant des milliers de morts. (Evidemment, on peut répondre que la religion ne fait guère mieux. La théologie est-elle la religion? Il y a une phrase de Schmitt comme quoi un théologien souhaite la mort de ses ennemis. Bref, à suivre dans les prochaines années).

Un chose est sûre, c'est que cela me dirige où je voulais aller. C'est le chemin qui s'enfonce au cœur de mon obsession, s'il faut appeler ainsi une idée jamais absente, toujours présente: la destruction des juifs d'Europe. La question de Taubes demeure, «Que s'est-il passé?»

Je quitte la soirée avec deux livres, un policier et une sorte de catalogue d'exposition (Le Coup de filet de Camilleri et Moi, Eugénie Grandet de Louise Bourgeois). Le problème avec ces soirées, c'est que vous vous retrouvez avec des livres qui n'entrent absolument pas dans votre programme de lecture (par politesse, vous les prenez: c'est atroce de présenter un livre que personne ne choisit ensuite).

Zen

Si méditer, c'est vivre au présent en ayant la tête vide, je suis en train de devenir un maître en méditation.

Jamais deux sans trois.

A. voulait prendre le train de neuf heures et demie et donc le RER à huit heures vingt. Un peu agacée, je lui ai fait remarquer que nous souhaitions dormir et que je ne voyais pas l'utilité de partir si tôt. Nous avons transigé et c'est son frère qui s'est levé pour l'emmener. Elle est partie avec sa chatte et ses bagages.

A onze heures et demie, alors que je suis en train de terminer les divers rangements et vaisselles, A. téléphone : elle est à la porte, elle a oublié ses clés à la maison.
Je suis impressionnée : électricité le 3 novembre, eau le 7 (oui, le jour de son anniversaire, eau coupée: nous pensions que celle-ci était comprise dans les charges mais l'agence s'était trompée), clés le 11. Une sorte de série parfaite.


Elle laisse le chat et ses paquets chez la voisine, revient à Saint Lazare où nous lui apportons ses clés (arrivée du train à Paris à 15h15. Départ pour Lisieux à 17h35. Vers vingt heures, elle est enfin chez elle, avec sa chatte et de l'eau, rétablie pendant son absence).

Blanquette de veau

Fête familiale pour les dix-huit ans, plus une amie allemande venue de Hambourg (c'est toujours un peu étrange, ces gens qui traversent la moitié de l'Allemagne pour répondre à une invitation tandis que d'autres ne peuvent prendre le RER vingt minutes) et une amie de terminale.

Quelques mille de belote, entre les jeunes (huit ans, deux fois quinze ans et dix-sept) et les moins jeunes (mon père, mon beau-père, mon benjamin et moi). La relève est assurée.

Un peu surprise par le père de l'amie de terminale : il travaille dans les assurances, a fait de l'aviron en compétition et connaît la vie de Nabilla (et de Kim Kardashian: heureusement que j'ai Twitter et FB pour avoir une idée de qui sont ces braves dames). Mais comment a-t-il réussi à nous apprendre tout cela naturellement en dix minutes sur le pas de la porte (sachant que je n'ai rien dit sur l'aviron, même quand il en a parlé (trop de coïncidences me rend muette))?

Branle-bas de combat

Grasse matinée (c'est suffisamment rare pour que je le note) et après-midi à compter les assiettes, à vérifier le nombre de chaises que l'on peut mettre autour de la table, à préparer les lits de fortune et à faire le ménage.

Comme d'hab, je me retrouve avec une allergie aux produits ménagers (le masque acheté au rayon bricolage ne sert à rien: j'aurai essayé (et puis c'était drôle)).

Enquête

Les questions sont ici.
Réponses apportées le 1er mars 2015.

1/ Oui, deux chattes, mais une seule vit avec nous, l'autre a été emmenée par ma fille.

2/ Pas ma signature de femme mariée. L'autre n'est pas franchement une signature.

3/ Mes devoirs, du blog, du ménage, la sieste.

4/ Oui.

5/ Pas vraiment, sauf ma chambre de Cité U, à ma taille, complète.

6/ Oui, sans doute. Hyper active, finalement.

7/ Plutôt.

8/ Une fois.

9/ Non.

Souvenirs

En quatrième, H., mécontent du retard systématique de A. le mercredi pour aller au conservatoire, lui avait fait des reproches. Défense de A.: des troisièmes l'empêchaient d'emprunter l'escalier (très long et abrupt, genre Montmartre) permettant de rejoindre rapidement la ville à partir du collège, ou au contraire la poussaient dans les marches.
H. s'était posté en voiture pour observer le manège et vérifier les éventuelles exagérations; il avait quasi littéralement attrapé par le col le meneur («Eh M'sieur, vous m'faites mal!») et l'avait traîné chez le proviseur adjoint.

Il n'y avait plus eu de problèmes malgré mes craintes de représailles; mais un soir, en avril sans doute (il faisait jour), en rentrant du travail, j'avais trouvé dans le jardin la voiture le pare-brise arrière volé en éclats comme fracassé par une batte de base-ball. Nous avions porté plainte.
Il n'y a jamais eu d'explication, mais le policier de garde nous avait dit que le plus probable, c'était «une vengeance de gamins». Toujours est-il qu'il n'était pas simple de trouver la bonne attitude: ne pas paniquer les enfants tout en prenant quelques mesures pour les protéger. Depuis cette époque, nous n'avons jamais laissé la maison vide lorsque nous partons en vacances.

Et donc lorsque A. s'est fait voler ses clés au début de la troisième, cela pouvait être tout aussi bien une blague ayant pris des proportions involontaires qu'un acte de malveillance laissant présager une suite désagréable.

Grâce à Dieu, il n'est rien arrivé et tout cela est loin, si loin qu'il a fallu que je fasse quelques recherches pour reconstituer la chronologie.

Satisfaction et soulagement

J'appelle H. :
— Tu n'as pas oublié l'anniversaire de A. ?
— Non, mais je n'ai pas réussi à la joindre.
Silence retenu au bout du fil. Je reprends :
— On a réussi, on a réussi !
— C'est exactement ce que je pensais : ça y est, on a réussi !

A. a dix-huit ans aujourd'hui. Difficile d'expliquer notre soulagement, cette impression d'avoir traversé l'Atlantique à la nage.

Naissance
Tout va bien, bébé très calme, qui arrêtera de pleurer quand je lui ajouterai une couverture (évidemment, elle est née en novembre).

Première année de maternelle
C'est une petite école, une classe par niveau, donc trois classes de maternelle. C. y a fait ses premières années, il est maintenant au CP.
A. est entrée à l'école en septembre, un peu avant la naissance de son petit frère. La maîtresse des petits, qui est aussi la directrice, n'a pas le dessus avec elle et me demande de la reprendre l'après-midi.
A Noël, elle me prend à part pour me confier d'un air grave et plein de componction: «Vous savez, A. me dit que son frère la bat».
C., son frère, a six ans. La directrice l'a eu trois ans dans son école. Elle vit au quotidien avec la petite sœur. Et elle est capable de me raconter cela sérieusement?

Deuxième année de maternelle
Changement d'école. Premier jour en deuxième année de maternelle.
A. ne veut pas faire la sieste. Elle s'échappe et sort dans la cour. Quelqu'un la croise, petite fille de quatre ans en culotte seule dans la cour déserte.
— Qu'est-ce que tu fais là?
— Tu n'as rien à me dire, ce n'est pas toi qui t'occupes de moi.

Une seule année, celle de CM2, nous ne serons pas convoqués par l'instituteur ou le professeur principal. Elle se fera détester à l'école, en colonie. D'année en année au collège je craindrai davantage que cela finisse par de la vraie violence de la part de ses camarades et c'est avec soulagement que je la verrai prendre le chemin du lycée. Elle organisera la circulation et l'appel des secours dans son bus scolaire le jour où une élève fera une crise d'épilepsie (tandis que les adultes paniqueront. Elle avait treize ou quatorze ans). Elle provoquera le désarroi de la prof principale en première en refusant de signer son inscription au bac, prof qui la traînera chez la psy qui refusera de la voir après trois visites devant son manque de coopération (cela était déjà arrivé en troisième année de maternelle).
Nous devons une très fière chandelle aux professeurs et aux élèves de son lycée, qui l'ont réconciliée avec ses contemporains, lui ont démontré que la terre entière n'était pas son ennemi.
Et je garderai toujours de la rancune et de la tristesse envers tous les "adultes" (nos parents, la famille) qui nous jugeaient "trop durs" mais refusaient de s'occuper d'elle quelques heures. Parce qu'ils avaient essayé une fois et ne voulaient pas recommencer. Tous ceux qui baissaient les bras mais "savaient" que nous avions tort et qu'il fallait s'y prendre autrement.

Et voilà. Elle a dix-huit ans. Yippeee, nous sommes libres!!!
Et elle est radieuse, heureuse à Lisieux (mais si, c'est possible (la preuve)) et dans sa formation d'ostéopathie chevaline.
Et moi, je n'en reviens pas que nous ayons tenu le coup.



Bon d'accord, j'ai conscience que c'est ridicule, qu'elle était intelligente et en bonne santé, non fumeuse, non buveuse, non fugueuse, et que j'exagère. Mais nous en avons bavé quand même.

Pour mémoire

Achat d'un tapis pour cacher le trou du plancher. (Retour dans le RER avec mon tapis sous le bras. Assez lourd, c'est un tapis kazakh, rouge à points noués)
La copine de C. dîne à la maison.

Ontologie fonctionnelle

«Il y a coïncidence entre la christologie ontologique et la christologie fonctionnelle : ce qu'il dit coïncide avec ce qu'il fait.»

In petto je m'étrangle de rire : c'est la définition de la démarche qualité. Dommage que j'ai quitté le domaine, je pense que j'aurais eu du succès en annonçant que la qualité permettait à l'ontologique de coïncider avec le fonctionnel.

Mayday

Je passe rendre deux livres à la Catho — en en oubliant un au bureau.

Je repars avec Médée de Corneille que O. aurait dû lire pendant les vacances et que j'ai complètement oublié de lui emprunter (enfin, il aurait pu se débrouiller à Yerres, on ne peut pas dire que cela l'ait tracassé) et avec un petit livre d'aphorismes de Jacqueline Rastoin réunis par ses enfants. Je n'aurais pas le temps de lire Boyarin d'ici le 16, mais ce livre, si.

Je lis Médée en rentrant dans le RER, avec pour objectif de le résumer à O. car je suis sûre qu'il n'aura pas pris la peine de l'emprunter à la bibliothèque de l'école pour le lire dans la journée (c'est pour demain).
(Gagné).

Retour

Fin des vacances. A. rentre à Lisieux.

Elle téléphone au milieu du dîner. Elle a branché son téléphone déchargé dans le couloir. Il n'y a plus d'électricité dans son appartement. H. se frappe le front:
— J'ai oublié! J'ai oublié de contacter EDF! Je les ai appelés, ça ne répondait pas, et j'ai oublié de rappeler.

L'électricité a donc été coupée pendant les vacances. Plus de chauffage, plus de lumière.

Elle va dormir chez une copine en attendant.

Enquête

Les questions sont ici.
Réponses apportées le 1er mars 2015.

1/ Plutôt, à condition qu'elles ne soient pas isolées mais prises dans un réseau, les unes renvoyant aux autres.

2/ Plutôt aussi.

3/ Trente-cinq ans, trente-huit ans? Quarante-et-un?

4/ Je prépare autre chose, mets la table, vide le lave-vaisselle.

5/ Le froid. C'est fini, je n'ai plus jamais réellement trop chaud longtemps.

6/ Le mariage de Matoo s'il s'agit de beaucoup de soin. Sinon je fais attention tous les matins où je travaille.

7/ Non. Odeur, impossible; bruit il faut que j'arrive à penser à autre chose. Il me faut une boule quiès.

8/ L'obstination.

9/ Peut-être.

10/ Je n'aime pas être réveillée. Je souhaite me réveiller de moi-même, parce que je n'ai plus sommeil.

Toussaint

Comme A bout de souffle m'a beaucoup plu, je vais voir La Chinoise dont j'ai appris hier qu'il passait au Forum des Images.
Très impressionnée par le montage, le miroir tendu aux spectateurs, le potentiel dévastateur de la moquerie qui a pourtant pu passer invisible (je suppose, je ne sais pas).
Evidemment, Yvonne me fait penser à ma mère. La France dont elle parle, c'est celle dans laquelle j'ai grandi, années 60 et 70 gommées, inexistantes (comme le bol du café et les tartines du jeune homme "exclu" du mouvement à l'unanimité (tiens, ça me rappelle quelque chose (non rien)), ce bol jaune, ou la toile cirée jaune… (Je ne sais déjà plus.)
Je regarde les travaux à Nanterre en me disant qu'il est dommage que personne ne filme les actuels travaux pour faire un parallèle.
Ce qui me frappe, c'est l'autisme affectif de ces jeunes gens, leur totale insensibilité (ou: la façon dont Godard met en scène une totale insensibilité, poussée jusqu'à l'absurde dans la scène de l'assassinat). Cet autisme m'en rappelle un autre, vu récemment, mais je n'arrive pas à cerner cette sensation, à retrouver le lieu de l'association d'idée.

J'achète un jean, car outre ma carte bleue, ma carte d'identité, un chapeau, j'ai perdu mon jean. (Comment est-ce possible? l'ai-je laissé dans les vestiaires de Melun? (J'y ai retrouvé mon tee-shirt «Savoir orthographier Kirkegaard san se tromper» la dernière fois. Commentaire de H.: «c'est pratique d'avoir des affaires dont personne ne veut»).
Enfin, il (le jean) avait été acheté en 2001 ou 2002, à Blois. Il peut être considéré comme amorti.
J'essaie donc le jean que me tend la vendeuse. Ça ne va pas. Je ressors, me dirige non vers les piles mais les cintres:
— Et ça, qu'est-ce que c'est?
— Ça? c'est un 501 coupé pour fille. (??!)
J'essaie. Adopté aussitôt. Cela fait longtemps que je n'ai pas eu un jean à boutons, depuis la terminale, je pense. Pour la peine je prends un gros ceinturon, en réalité importable tant il fait une bosse énorme au niveau du nombril (je le porterai quand même).

Seul défaut, le jean est vendu élimé.
Qu'importe, je le reprise le soir-même en regardant Sherlock 2.
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