Pâques

Le monde fantastique d'Oz. Assez lent à démarrer, une trame narrative parfois trop lâche (incohérences ou manques de détails pour lier deux événements), mais de très jolies images, des couleurs très vives, un héros aux multiples défauts, prétentieux et séducteur, trois sorcières, rouge, verte, blanche, la rouge incontestablement la plus jolie.

En mineur (mais nous pourrions aussi dire que c'est le "message" du film si nous voulions à toute force qu'un film ait un message), c'est une ode à la science, plus précisément au cinéma: le magicien, c'est Edison.
(Et je songe à Lewis Mumford, qui lie Moby Dick à la science, qui le définit comme l'alliance de la science et de l'imagination rendue possible par le XIXe siècle.)

La fin m'a laissé une étrange impression, j'ai pensé "C'est ainsi que naissent les religions", mais aussi "il ne faut pas désespérer Billancourt", en voyant Oz, la sorcière, la poupée de porcelaine, le majordome et le projectionnisme se mettre d'accord pour ne pas dévoiler la vérité afin que le peuple conserve sa confiance et sa force quand les méchantes sorcières reviendront «car elles reviendront», dit Oz, ce qui nous prépare déjà à une suite. (Ozimandias, ça commence aussi par Oz (pour ceux qui connaissent The Watchmen)).


Le soir, encore un disque de The Big Bang Theory. J'avance dans la saison 2. Penny évolue, elle résiste, elle est le regard extérieur sur ce groupe endogamique de chercheurs. Je crois que ce qui me tient dans cette série, c'est l'amitié entre les quatre garçons qui survit à toutes leurs brutalités de langage, à leur franchise asociale.%%% Les réalisateurs sont tout de même très allumés.

Trois tiers

Matinée sur Römer (il ressemble un peu à Luchini (je suis contente de constater que la lecture de Dieu obscur m'avait suffi à déduire qu'il était protestant)).

Après-midi à Bois-le-Roi. Je dépose encore quelques livres dans la boîte destinés aux livres qu'on souhaite donner.
Le seul problème de la bibliothèque de Bois-le-Roi, c'est que je retombe dans ma vieille addiction pour les livres de L'école des loisirs, ça se lit vite et me repose. Simple, de Marie-Aude Murail.

The Big Bang Theory saison 2, épisodes 6 à 12.

Vendredi Saint

Pas de messe le Vendredi Saint (je ne le savais pas).

Ce qu'aura vraiment changé mon cours d'allemand du vendredi matin, ce sont les deux heures de bibliothèque avant. Deux heures, ce n'est rien, mais ça change tout, deux heures tranquilles entre les livres à réfléchir, à songer, à me perdre. Il fait très beau aujourd'hui.

Je circule entre les rayons, enregistre du regard des usuels (s'ils sont "usuels", c'est que nous devrions tous les avoir tous lus, non?), constate une fois de plus que les livres de la bibliographie ne sont pas empruntés (tant mieux pour moi (c'est tout de même très mystérieux, suis-je la seule à utiliser la bibliothèque?)), cette fois-ci une grande partie de la bibliographie n'est pas accessible aux étudiants de mon niveau (les livres sont dans une autre bibliothèque qui ne nous est pas ouverte à moins d'une dérogation par notre professeur — je ne vais pas me faire remarquer à ce point-là), je photocopie quelques pages de la Septante (notes sur la traduction de l'hébreu au grec), chapitre 8 de L'Ecclésiaste.

Travail avec la concordance. "Devenir" n'apparaît jamais dans Qohélet.
Je pense à C. qui m'a dit hier soir, à sa classique façon étourdie (ce garçon ne pense-t-il jamais à ce qu'il dit? C'est étonnant, de ne pas apprendre la prudence à ce point-là): «jouer à un jeu flash c'est inutile, mais pas plus que de faire de la théologie»; j'y pense en me disant que j'ai échangé le mépris de mes parents contre l'indifférence de mes enfants et que cela m'est désormais, à moi aussi, très largement indifférent.

Tout aussi inutile? Oui, certes, mais je doute que le néant dans lequel on fond et se fond en jouant à un jeu flash apporte autant de bonheur apaisé que la sensation de rejoindre une pensée millénaire, à la fois à sa source et dans l'étendue de temps qui a séparé cette source du moment présent, cette conversation ininterrompue de penseurs commentant l'indicible: «Qui est comme le sage? Qui sait expliquer quelque chose?»

Allemand (cours). Libanais (restaurant). Bureau. Je continue à résorber du retard en attendant mardi de me mettre sérieusement à calculer le montant de l'IS et rédiger la liasse fiscale (je dois contacter l'huissier pour organiser les votes à l'AG. Je ne sais pas ce que je dois lui demander. Réserver les salles, commander le café (ce que j'aime le moins dans mon boulot: commander le café. Tout ce qui est intendance me submerge)).

Je sors tôt et vais voir Queen of Montreuil. (Je devrais peut-être reprendre une carte UGC, finalement.) La fin est un peu bâclée (trop rapide), mais il y a de beaux moments. Jeu sur les langues. Désarroi du veuvage. (Ça m'agace, cette obligation que nous aurions de nous consoler vite. Quand sera-t-il officiellement reconnu que la dernière chose que souhaite une personne en deuil, c'est se consoler vite? Nous avons le droit d'avoir du chagrin longtemps, zut à la fin!)

Qohélet 7, 23

Travail en bibliothèque avant le cours sur l'islam (cours qui nous exhortera à sortir de notre vision arabo-centré de l'islam: les Arabes ne représentent aujourd'hui qu'un quart environ des musulmans).

Travail sur Qohélet 8 dans la concordance de la Bible de Jérusalem (BJ) (concordance: relevé dans la BJ des occurrences de chaque adjectif, substantif, verbe, classés par ordre alphabétique. Citation des versets).

C'est ainsi que je trouve ce verset qui me plaît beaucoup: «j'ai dit: "je serai sage", mais c'est hors de ma portée!»

Anomalies domestiques

Après les journées rangement, j'avais pris une journée pour faire le ménage.

Tant mieux, puisqu'à quatorze heures H. me téléphone de Tours pour me dire qu'il sera là ce soir avec un collègue et que le collègue dormira à la maison parce qu'il n'y a plus une chambre d'hôtel de libre dans la région parisienne.
Dans un monde normal, le collègue (subordonné) aurait pris le train tôt demain matin.
Nous ne sommes pas dans un monde normal.

Bon, je vais de ce pas cuisiner une pintade au chou.

Guère encourageant

Evidemment, nous encourager à lire Pierre Claverie («Lisez-le, il a des pages formidables sur le dialogue») pour découvrir en quatrième de couverture «La rencontre et le dialogue ont profondément marqué la personnalité et l'existence de Pierre Claverie, évêque d'Oran, assassiné en 1996»1
m'a donné envie de rire, parce que j'ai très mauvais esprit2.

Cela va dans le sens de cette sensation intérieure de vivre une période du genre des années trente: malgré les hommes de bonne volonté, le pire pourrait bien se produire; mais après le pire, il faudra reconstruire, comme toujours. Et c'est alors que le travail des hommes de bonne volonté prendra son sens.

Mais peut-être ai-je l'esprit trop porté au noir.





Notes
1 : Petit traité de la rencontre et du dialogue
2 : "Rire jaune?" me propose un ami. Non, rire sardonique, diabolique, parce qu'il me semble voir là, très précisément, l'œuvre du diable (dia-bolus, celui qui divise), parce que je sais que de ce genre d'événement, cet assassinat, certains concluront que le dialogue est inutile, que c'est la guerre (éventuellement civile) qu'il nous faut, et vaincre, et écraser; tandis que j'en tire la conclusion inverse, l'urgence de dialoguer avec ceux qui le souhaitent, dans la conviction que ceux qui souhaitent simplement vivre en paix avec leurs voisins, élever leurs enfants, rire et croire en leur Dieu, sont plus nombreux que les fauteurs de guerre — mais hélas discrets, silencieux, polis, bien élevés, et donc invisibles. Notre tâche, ensemble, est de devenir visibles, de ne pas céder la place à un petit nombre qui parle à notre place, bien plus fort que nous, les paisibles. Nous ne devons pas laisser une minorité mener sa logique de violence — mais l'histoire montre que généralement cette conclusion n'est atteinte que dans un deuxième temps; dans un premier temps la violence l'emporte. Peut-on, pourrait-on, apprendre à faire l'économie de cette première étape? Est-il possible de sauter par-dessus une marche de l'escalier? Je n'en sais rien, à vrai dire je n'y crois pas beaucoup. Mais il me semble de notre devoir d'essayer, de ne pas baisser les bras. Il est trop facile de baisser les bras, de ne pas combattre (combattre la violence: l'image même montre combien l'idée est difficile à concevoir et à mettre en œuvre).

Les conséquences de la manif pour tous

Mes beaux-parents sont arrivés trois quart d'heure en retard au restaurant pour fêter les 70 ans de ma belle-mère en famille.


(Tout cela me fait penser à une phrase de Michel Evdokimov lors d'un colloque sur "la réception de Vatican II, cinquante ans après". Parlant du schisme avec l'Eglise orthodoxe, il a dit la voix pleine de regrets: «le schisme a provoqué la rupture du lien de charité. Nous avons commencé par nous détester, puis nous avons justifié cette détestation par des arguments théologiques. Il faut retrouver l'amour.»
Mille ans environ pour arriver à ces paroles. En voyant la "manif pour tous", je ne peux que songer à cela: nous sommes en train de rompre (ou l'Eglise a d'ores et déjà rompu) le lien de charité.

Ryan Gosling est quelqu'un de très bien

«Pour me détendre, j'ai un passe-temps bien à moi: je tricote. J'ai découvert le tricot sur le tournage d'un film en 2007. Des grands-mères qui jouaient des figurantes m'ont enseigné cet art, et j'ai trouvé ça très relaxant. Aujourd'hui, dès que je suis un peu stressé, pour me calmer, je sors mes aiguilles et ma pelote de laine. Ça m'apaise.»

Ryan Gosling cité dans la revue One n°80, mars-avril 2013


Les bienfaits du tricot sont confirmés par Proust: «il [Cottard] lui répondit que j'étais trop émotif et que j'aurais eu besoin de calmants et de faire du tricot.»

Les canapés

Vous traversez l'espace des salons et tu penses à tout ce qu'il t'a raconté: le canapé, c'est la mort de l'homme, etc. Et combien tu as été prise au dépourvu lorsqu'il t'a démontré comment tu passerais de ton petit convertible utilitaire et étudiant à un vaste salon de cuir, parce que afficher sa réussite est inévitable.

Thierry Beinstingel, Ils désertent, p.113
J'ai ri, parce que nous avons un canapé en cuir. Mais il n'est pas le signe de notre réussite, plutôt de celle de mes parents: nous l'avons récupéré quand ils voulaient en changer au bout de dix ans (il en a vingt aujourd'hui).

Cette évocation de convertible m'a rappelé une autre histoire: la réaction de ma grand-mère devant le choix de notre premier canapé. Elle nous avait donné de l'argent pour cet achat lors de notre emménagement à Paris, et pensant lui faire plaisir, je lui avais conscienceusement envoyé une photo du canapé que nous avions choisi: un Togo vert vif.
Lors de notre visite suivante, elle me demanda:
— Alors ton canapé, il est comment?
— Mais tu le sais, je t'ai envoyé une photo!
Elle a marmonné à sa façon: —Ah bon…
Et j'ai compris qu'elle avait espéré avoir rêvé, que je lui répondrais que je m'étais trompée de photo ou que nous avions changé d'avis, qu'elle ne pouvait admettre qu'il soit vert, et qu'il ne soit pas convertible "parce que c'est pratique".

Peut-être que nous "afficherons notre réussite" avec notre prochain canapé. Le cuir de l'actuel commence à partir en miettes sur les accoudoirs (quand je regarde notre intérieur de bric et de broc, je me dis qu'il ne fait pas du tout "adulte (qui affiche sa réussite)", tout est posé là en fonction de ce qui compte (les livres et l'ordinateur, le bois pour la cheminée), et le reste part à l'abandon, les murs gris comme si nous fumions trois paquets par jour et la peinture qui craquelle et les fils d'araignées (que j'aime bien, en fait: tout fil me rappelle "les fils de la Vierge" de la première page des Lettres de mon moulin (mais je les enlève quand même)).
Je ne suis pas pressée d'en changer, de toute façon je ne m'assois jamais dedans.

Est-ce l'effet d'une phrase de mon autre grand-mère?
Mes grands-parents avaient changé leur canapé et ses fauteuils inusés par un autre canapé de velours à grosses fleurs avec une paire de fauteuils. Une fois les meubles livrés, j'ai demandé à ma grand-mère du fond d'un fauteuil:
— Tu ne les essaies pas? Ils sont très confortables.
— Oh non, je ne m'assois jamais.

Avec un choc, j'ai réalisé alors (j'avais moins de vingt ans) que je n'avais jamais vu ma grand-mère assise ailleurs que sur une chaise dans la cuisine pour le tilleul vespéral. Sinon, elle était debout.
J'y ai souvent pensé au moment de la mort de notre chatte. Je ne m'asseyais jamais parce que je ne voulais pas qu'elle s'installât sur mes genoux parce que je savais que dans quelques minutes je me relèverais (les enfants) et que cela me ferait de la peine de la déloger, ou que je n'en aurais pas le courage et que je resterais assise entraînant un retard dans toutes les tâches à accomplir.
Mais ces tâches étaient-elles si importantes? (Ce n'est pas rhétorique, je n'en sais vraiment plus rien.) Ma chatte est morte et cela faisait des mois que je ne l'avais pas prise sur les genoux.

Histoire atroce

Ma tante me donne des nouvelles de mon professeur d'histoire-géo de terminale, du nouveau drame (le troisième) qui le frappe (la phrase cliché convient hélas trop bien).

Elle enchaîne sur une famille de voisins ou de collègues (je suis d'une oreille distraite) qui se suicidaient en masse à chaque génération (je songe à Wittgenstein, mais ne dis rien: elle ne le connaît sans doute pas, et puis mes souvenirs sont imprécis).

— Tu sais comment le beau-père s'est suicidé? Il s'est coupé la main.
Je ne réagi pas parce que je ne comprends pas. Elle précise:
— Il s'est coupé la main à la hache et s'est vidé de son sang.

Clôture du bilan

Hier, raté le cours de grec (le passif) et la moitié du cours sur les "douze petits prophètes" à cause de la commissaire aux comptes (mais on s'est bien amusé, si je puis dire). Les mutuelles sont soumises à l'IS pour la première fois en 2012 (eh oui, avant elles ne l'étaient pas), il faut donc faire un "bilan d'entrée en fiscalité", c'est encore le genre d'opérations qu'on ne rencontre pas bien souvent dans une vie, je suis contente de connaître ça.

Quatrième le jour de présence du certificateur, un jeune homme ma foi plutôt charmant. Nous sympathisons au dessus des PSAP (provisions pour sinistres à payer) et des cadences de règlement.

J'apprends que si la prescription en santé est de deux ans (et trois mois), celle qui concerne les frais hospitaliers est de dix.

Et à part ça… c'est à peu près tout. Demain soir, début de sept cours sur l'Islam (jusqu'au 15 mai).

Encore de l'amour

Elle est venue dimanche dernier. Elle s'approchait derrière le carreau de la cuisine et nous regardait. Je ne lui ai rien donné, nous avons des chats, il ne fallait pas qu'elle devînt familière.
Elle était très jolie, crème, avec des ailes noires, marron et blanches.

J'ai pensé à elle quand il a neigé, avec inquiétude: avait-elle survécu? Mercredi, elle est apparue pendant mon petit déjeuner. J'étais si soulagée que j'ai craqué: j'ai enlevé la neige sur le barbecue et placé un gros morceau de beurre sur la grille.

Elle était de nouveau à la fenêtre ce matin. Elle ne mange pas le beurre, elle vient nous voir. Elle a tapé deux fois au carreau, j'ai fini par ouvrir, pour voir, en me disant que c'était de la folie, que si elle entrait, je ne saurais pas la faire sortir. Elle n'est pas entrée, elle est restée sur la grille à me regarder.
La photo a été prise avec mon mauvais téléphone. Je devais être à trente centimètres de la fenêtre, elle a gardé la pose tout le temps où je me suis approchée.

Dans la série t'es folle

H. vient de me le rappeler (en secouant la tête: «tu es complètement folle»): la semaine dernière, à la banquière qui nous demandait: «Que voulez-vous?», j'ai répondu «Qu'on nous aime». (Mais ce n'était pas si fou, et ça n'a pas si mal marché (je veux dire qu'elle a compris ce que je voulais dire (ça intervenait après une bonne demi-heure de conversation): ne pas être ennuyés pour des détails, être contactés pour les pépins importants).

(Et ce même jour, j'ai découvert (je veux dire: j'ai réellement compris) — vous allez rire — que les banquiers aimaient l'argent (la pauvre, elle était toute déconfite que nous n'ayons aucune velléité d'économie ni de placements).)

Retour sur une vie (psychanalyse)

Cette planche de BD, dans le contexte d'un week-end orageux (orage dont j'espère que l'explication se trouve dans des médicaments mal dosés), m'entraîne dans des souvenirs que je ne mettrai pas tout de suite en ligne, pour ne pas qu'ils soient lus par trop de lecteurs.

Je n'avais jamais pensé au prince charmant, ma mère m'ayant suffisamment répété que j'étais insupportable pour que je sois persuadée que je serais seule (et cela me convenait très bien. Il n'y a pas longtemps sur FB en lisant deux femmes se pâmant sur des histoires de pirates ("j'en étais amoureueueuse quand j'étais petite!!!"), je me suis rendue compte que j'avais toujours été le pirate ou le mousquetaire, jamais la femme du pirate. Le conjugal n'a jamais été instinctif chez moi.)
(Aujourd'hui, en faisant le compte des reproches de mon mari, je me dis que ma mère devait avoir raison.)

Le travail? J'en avais une définition négative: ne pas être prof (le métier de mes parents). Pas ingénieur parce que cela me faisait peur (comment ça construire des ponts? mais je ne sais pas faire ça, ça va s'écrouler), pas médecin puisque ma mère, toujours elle, avait décrété que j'étais trop égoïste, alors… Ma mère (éternellement: on se demandera après pourquoi je me méfie autant des femmes) avait repéré que dans les classements de L'Etudiant, Sciences Po apparaissait à la fois dans les fac et les grandes écoles.
Et c'est ainsi que je me suis retrouvée à Sciences Po.

J'imaginais surtout que je marcherais. Mon idée du futur, c'était un sac à dos, droit vers le soleil levant, vers Vladivostock. Jusqu'à la mer. Je rêvais sur un fleuve ou une région, le Iénisseï pierreux (j'ai toujours eu un faible pour les régions désertiques au nom magnifique: les îles Kerguélen, rêve d'enfant).

J'aime beaucoup la pub sur la formation continue qui passe en ce moment au cinéma: un petit garçon demande à son père «Et toi, tu veux faire quoi plus tard?»

Je n'ai pas abandonné l'espoir, mais je ne sais pas l'espoir de quoi.

Silence

Mon père était un homme silencieux, voire taciturne. Il ne se plaignait pas, expliquait peu, aurait aimé nous aider mais ne savait pas franchir le mur que nous dressions devant lui.
Une année, je devais avoir treize ans, désapprouvant ma conduite (je crois que le prof d'allemand avait eu des mots très durs sur mon bulletin à cause de mon comportement, insolence etc), il ne m'a pas parlé pendant plusieurs semaines.

Ce mutisme commence à me tenter. Entre les reproches de mon mari et le mépris de mes enfants (parce que je fais un boulot d'employée de bureau sans prestige), je n'ai plus rien à dire. Je n'ai plus envie de ne rien dire.

Je vois que je n'arriverai pas à me faire comprendre, personne n'adoptera (quelques minutes) mon point de vue pour essayer de comprendre ce que je dis; et je n'ai pas envie, plus envie, de faire l'effort inverse, il me semble l'avoir trop fait.
Nous en sommes donc arrivés à ce moment où nous n'avons plus envie de faire aucun effort.

Et cela me laisse parfaitement insensible. Pas indifférente, non, fataliste. Advienne que pourra, je ferai avec. De toute façon, c'est le cas depuis toujours.

J'ai un petit peu peur

Ce n'est pas que j'ai fait une bêtise, c'est que j'ai fait quelque chose qui ne se fait pas (quelque chose de bien, hein, c'est pour cela que ça ne se fait pas).

En ce moment nous recevons les chèques des retraités (Non, nous ne proposons pas le prélèvement. Oui, nous y songeons (je songe surtout aux centaines de RIB qu'il va falloir saisir en machine. Sujet de réflexion pour juin ou juillet).)

Un homme a joint une carte de visite à son chèque (nous jugeons de l'éducation ou du milieu social aux lettres reçues: les étiquettes autocollantes des fondations pour la recherche sur le cancer, pour la nature, pour médecins du monde, les demi-feuilles blanches pliées en deux pour protéger le chèque et le coupon retour, les quelques lignes d'accompagnement de ceux qui jugent impossible d'envoyer un chèque sans un mot d'accompagnement, même s'il ne dit absolument rien ("Vous trouverez ci-joint deux chèques en règlement…" etc.)). A côté de la signature, en bas de carte, cet homme a ajouté "J'ai 90 ans!"
Et il a répété ces mots sur le coupon-réponse à nous retourner avec le chèque, avec le même point d'exclamation.

Il avait l'air si content d'avoir atteint 90 ans, comme une bonne farce ou un exploit. J'ai montré la carte autour de moi, cela me faisait rire, me changeait des râleurs ("Trop cher!" (nous devons être à la moitié du prix du marché)) ou des déprimés ("J'attends la fin, qu'est-ce que vous voulez faire à mon âge?"). Cela me faisait du bien à l'âme.

Hier je lui ai envoyé des fleurs ("pour votre anniversaire"). J'ai signé de mon nom, en ajoutant "mutuelle ***".
Au dernier moment, j'ai modifié le jour de livraison, j'ai choisi mercredi, jour où ma collègue est absente: s'il téléphone pour remercier, il tombera sur moi.
Mais s'il écrit et que ce n'est pas moi (le plus probable) qui ouvre la lettre?
Je vais passer pour une folle. Evidemment vous, lecteurs, avez l'habitude. Mais je suppose que mes collègues de travail nourrissent encore quelques illusions à mon sujet.

Ce billet non pour que vous exclamiez que "c'est gentil de ma part", mais pour partager mon inquiétude. Je suis un peu stressée. Et pour partager mon regret que les pulsion de gentillesse soient bizarres, qu'il faille les cacher. J'espère qu'il va appeler mercredi et que personne ne saura rien et qu'il n'ira pas le dire à d'autres retraités. Sinon, j'ai bien peur de me faire enguirlander par le conseil d'administration ("Mais tu te rends compte, si cela se sait, ils vont tous attendre des fleurs!" ou "Et tu as payé sur tes deniers? Mais il ne fallait pas!" (version optimiste)). Et de penser à tout cela m'attriste. J'ai agi en sachant tout cela, en sachant que la raison voulait que je ne fasse rien, en envoyant la raison au diable. Mais l'expérience prouve que la raison a toujours raison, et je ne m'y fais pas. En fait ce n'est pas la générosité que je recherche, mais la fantaisie, la surprise, un peu de gaîté. En cela, le conseil d'administration aura(it) parfaitement raison: la fantaisie n'a pas sa place dans le monde professionnel.

(Pas de panique, le plus probable est qu'il ne se passe absolument rien.)

La grande question

RER D 18 heures, en face de moi un peu en biais, une jeune fille au téléphone vient de décrocher (ce terme ne convient plus du tout). Elle écoute un instant et demande calmement, mi-amusée mi-fataliste:

— Mais comment fait-il pour être aussi con ?

Anxiété

J'y suis confrontée quotidiennement. Evidemment, ce sont souvent les personnes à la retraite qui appellent, elles ont avant tout envie de parler à quelqu'un, et comme je suis bavarde, elles tombent bien.

Mais parfois les gens m'interloquent: est-il vraiment si important de prendre une mutuelle du 1er janvier au 1er septembre pour le fils de 22 ans afin de ne pas avoir de "trou dans la couverture" entre la fin du précédent contrat et la possibilité de revenir "chez nous"?
— Ecoutez, quelle est la différence entre payer cinq cents euros pour une mutuelle de façon certaine et payer cinq cents euros pour une hospitalisation qui n'aura sans doute pas lieu? Le reste, les six ou sept euros d'une consultation pour une grippe, vous coûtera beaucoup moins cher qu'une mutuelle.

On dirait que plus personne n'envisage de payer directement ses soins de santé (et que plus personne n'envisage de ne pas être malade).

Mais pourquoi les salariés sont-ils si inquiets? Pourquoi ne se réjouissent-ils pas de cette invention merveilleuse qui est la sécurité sociale, et de notre niveau de vie, notre alimentation, l'eau potable au robinet (quel luxe: laver la voiture à l'eau potable)?
Les dents, les lunettes, une chambre seule: une mutuelle sert à ça, essentiellement. Les dents, les lunettes : ça peut bien attendre quelques mois, ça peut bien attendre le 1er septembre.

Ou alors, ou alors… Peut-être que nous sommes dans la superstition: prendre une mutuelle pour ne pas être malade comme on prend un parapluie pour ne pas qu'il pleuve. Cela revient cher de la superstition.







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Ajout le 14 mars 2015 : l'anxiété comme mode de domination politique et sociale.

Si tu es mauvais à l'école, c'est que tu es malade

Cette époque est vraiment bizarre (espérons que l'existence de cette journée est la preuve que cette tendance à la médicalisation finit par être considérée comme abusive et ridicule).

Par ailleurs, et sans aucun rapport, allez contempler le mur d'Elisabeth (je signale en particulier cela à EF).


Pour mémoire : un nouveau pape ce soir: François. Jésuite et argentin et François, trois premières.
(Un moment j'avais espéré que ce soit Mgr Zen. Mais je ne sais même pas s'il faisait partie des éligibles — ou des électeurs.)

Neige

La femme en face de moi est dans le RER depuis six heures et demie du matin (il est huit heures et demie). J'ai de la chance, je n'y reste qu'une heure, le temps de prendre des notes dans La Bible et sa culture (c'est étrange d'apprendre par imprégnation la chronologie des dynasties assyrienne et babylonienne. Une chose est certaine: je travaille beaucoup plus que l'année dernière. Le soir, après une journée de comptabilité (clôture des comptes) et de lecture (biblique), j'ai l'impression d'avoir la cervelle en fromage blanc).

Le soir, ce sont les bus qui manquent. Il a neigé toute la journée.

Pagaille. Mais dans l'ensemble, les vacances font que tout cela n'est pas très grave: moins de monde qu'en temps normal, et les enfants au chaud à la maison.

Le bon, la brute et le truand une fois de plus, parce qu'O. est devant quand je rentre. Je me couche bien trop tard.

Cendrillon

La Cerentola à Garnier : une délicieuse soirée, une jolie et émouvante Cendrillon (j'ai la faiblesse d'aimer que les chanteurs ressemblent à leur rôle), des sœurs ridicules, un père méprisable. Tout est parfait.

Retour à la normale (?)

Pour la première fois depuis des semaines, je me retrouve à mon bureau — rangé et épousseté — pour taper quelques lignes. Depuis que j'ai ce portable, je m'installe le plus souvent dans mon lit ou devant un film — évidemment je n'écris pas les mêmes choses.

Réveillée ce matin sur un mauvais rêve: devoir de grec, tout le monde a fini, je suis seule dans la salle, la feuille du sujet est coupée en deux, il me manque le bas, je ne sais pas ce qu'il faut faire, quelles sont les questions.
(Je ne fais que des mauvais rêves en ce moment, qui font peser une inquiétude sourde sur les journée. Lundi dernier, René.)

J'ouvre Taubes au hasard parce qu'il traîne dans la cuisine (la voix de cet homme, même à travers la traduction, est extraordinairement proche (il faut dire qu'en l'occurence il s'agit de transcription de conférences, ce qui ajoute à la proximité). J'ai hâte de réussir à le déchiffer en allemand: est-ce qu'il en sera de même (ou sera-ce mieux?), ou la langue constituera-t-elle un obstacle? — Je le redoute mais je n'y crois pas):
Je dirais qu'il existe deux modes du philosopher (pardonnez-moi d'être dogmatique, mais la discussion va bientôt se terminer et je m'en sortirai indemne). Il y a tout d'abord le mode antique, qui dit au fond ceci: la vérité peut difficilement être atteinte, elle n'est accessible qu'à quelques-uns, mais elle existe toujours. C'est, en gros, le problème de Platon et d'Aristote. Il existe un autre mode du philosopher, que j'appellerait celui qui est passé par le Christ. Hegel dit que la vérité ne peut être atteint que difficilement et qu'elle doit parcourir toute l'histoire, mais qu'ensuite la vérité est là pour tout le monde.1

O. revient du ski et est proche de la brûlure au second degré sur le menton (ça croûte).
Clément revient de son stage de BAFA, enchanté.
Repas animé ce soir après cette semaine si silencieuse, une histoire de banane dans l'oreille et de pompe à essence (— Oui, ça me rappelle la blague du type qui va tout nu à un bal masqué. "T'es déguisé en quoi?" lui demande un copain. "En pompe à essence").






1 : Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, p.119 (Seuil, coll. Traces écrites)

Deux films

Hansel et Gretel : un conte délicieusement steampunk, de beaux héros, une histoire linéaire à la façon des contes, quelques secondes de Belle et la bête, le tout en une heure et demie, sans longueur ou délayage: parfait (seul défaut: la 3D, enfin, les lunettes).

Zero Dark Thirty: ce film me met mal à l'aise comme tous les docufictions dont on ne sait plus très bien ce qui est vrai et ce qui est faux (la femme obstinée du film était-elle une jeune femme rousse, un vieux noir bossu, ou une équipe, comme je tendrais à le croire?). Il rend très bien le temps qui passe et le vide du temps qui passe, sa longueur, les indices minuscules auxquels il faut se raccrocher, la tentation de l'abandon, l'abandon insidieux, de fait, et il rappelle les attentats survenus en dix ans (combien d'arrestations silencieuses depuis la récupération des archives dans la maison de Ben Laden? Pas d'attentat majeur depuis cette date, il me semble).

Chez Aline

J'ai fini sa bouteille de whisky, j'ai bu la canette de Guinness qu'elle avait prévue pour moi, j'ai caressé le chat et j'ai emporté ses livres.

Merci Aline!

Platon : Le Phédon




Ligne A vers la Défense, autour de 8 heures. Notez que le livre est déjà bien avancé. Poche, collection Garnier Flammarion.

Je suis ton père

Non, ce n'est pas une citation tirée de Star Wars, mais du dernier Die Hard. (Comment dire: moins nul que ne le dise ceux qui l'ont détesté, mais pas bien bon, faut l'avouer (ma justification: accompagner ma fille au cinéma après sa journée d'appel civique. Parce qu'après Die Hard 4, je n'avais pas l'intention de voir jamais les suivants). Manque de soin dans les détails, l'histoire ne tient pas la route, mais ce n'est pas vraiment cela qu'on vient voir.)
La citation en entier: «Je suis ton père, ne l'oublie pas.»

C'est avec Le Roi Lion que cette obsession américaine du père m'était soudain apparue comme une évidence, de Top Gun à The tree of Life (sans compter le prochain Ryan Gosling).

A venir, une histoire de zombie amoureux (il faut croire que Twilight a donné l'envie d'explorer le filon). Ça a l'air fun (Warm bodies!!)

Modernité

Bénédiction du pain. L'élévation (ce mot mystérieux prononcé par la tante Léonie: «Mme xx a dû arriver très en retard à la messe. Est-ce qu'elle est arrivée après l'élévation?»). J'ai les yeux fermés, je tente de me concentrer, je veux dire de ne pas laisser vagabonder mon esprit comme il le fait dès que j'arrête de le surveiller.
Un téléphone sonne. Le prêtre interrompt le rite. Les sonneries continuent. Je suppose que le prêtre attend que le fauteur de trouble éteigne son appareil pour reprendre la bénédiction du vin. Ça dure. J'ouvre les yeux.
C'était le téléphone du prêtre.




A la fin, après l'envoi, il présentera ses excuses.

J'ai peut-être parlé un peu trop vite

Une jeune femme m'appelle à la demande du président de la mutuelle. Elle a travaillé sur la mise en conformité de sa filiale avec les recommandations de l'ACP concernant les réclamations clients. Elle doit me transmettre des documents, dans la mesure où la structure que je dirige ne nécessite qu'une mise en place allégée de ce dispositif et que je peux copier ce qu'elle a fait en taillant dans la masse.

Nous prenons rendez-vous téléphonique pour la semaine suivante. Je lui demande alors:
— Pouvez-vous me rappeler votre nom? Il ne s'affiche pas sur mon téléphone.
— H* König.
— Comme le dessinateur de BD?
— Je ne connais pas, on me dit plutôt comme le maréchal. Mais merci, je regarderai ce soir.

En raccrochant, je me dis que j'ai peut-être fait une erreur.

(Elle ne m'en a pas parlé la semaine suivante. Entre nous, mon homonyme proposé est exact, alors que Kœnig n'est qu'approximatif).

Des nouvelles de mon supermarché

Trois ou quatre jeunes gens dans l'allée centrale, au niveau du rayon animalerie. L'un en revient et annonce aux autres, éberlué:
— Dis donc, il existe de la nourriture bio pour chat.

(Je ne l'ai pas trouvée.) Les rayons ont été déplacés, les rayons chats et chiens ne sont plus dans la même allée. En revanche, le rayon chat est en face de celui "nourriture pour oiseaux".

Des nouvelles de Notre-Dame

Les cloches ont disparu de la nef ce matin. Dommage, j'aimais leur présence chaleureuse, leur lumière douce.

Nous sommes désormais une soixantaine à suivre la messe de huit heures. Est-ce le départ de Benoît XVI, le Carême? Il y a trois fois plus de monde qu'en octobre, les habitués et les autres (j'ai une question du type "lumière dans le frigo": les habitués sont-ils là les autres jours aussi ou seulement le vendredi?)

Une grande bannière représentant Benoît XVI et proclamant "Deo Gracias" a remplacé celle qui annonçait l'entrée en carême au niveau de la Vierge du pilier.

J'ai ébouillanté mon livre avec l'eau du thé. J'ai honte, il était neuf quand je l'avais emprunté à la bibliothèque.

Ce soir, c'est les vacances. Pas pour moi, pour les enfants, mais je les vois arriver avec soulagement (les vacances, pas les enfants), la contrainte des horaires imposés disparaît.
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