Samedi

Après-midi sur un extrait de Lumen Gentium en latin — c'est un peu de ma faute, ayant argumenté auprès de la prof que nous avions davantage besoin de comprendre les milliers de pages (les actes? S'agit-il des actes?) de Vatican II non traduites à ce jour que la Vulgate.
(Lumen Gentium est traduit, mais il faut bien commencer par quelque chose.)

Le soir messe (depuis les remarques de sejan et Guillaume, j'hésite de nouveau à écrire cela ici, craignant de ressembler par analogie aux femmes qui ne savent plus parler que de couches et allaitement après la naissance de leur enfant, mais tant pis, forçons-nous) un peu étrange, qui correspond bien à ce que je suis en train de lire en ce moment: j'arrive en retard (enfin, juste à l'heure) pour entendre une paroissienne déclarer: «nous avons un problème, il n'y a ni prêtre, ni animateur. Que faisons-nous?» Les personnes présentes (qui avaient l'air de bien se connaître) ont décidé de commencer. Les lectures, le credo, l'évangile, la distribution de la communion (le pain était consacré), tout a été fait "entre nous".
J'ai calculé que les personnes présentes devaient avoir trente ans au moment de Vatican II. Elles ont fait face, et finalement nous avons eu une célébration à la manière des premiers Chrétiens dans une petite ville déserte d'Assyrie. Chaleureux.
Tout le monde s'est quitté en espérant qu'il n'était rien arrivé au prêtre (mais il est un peu tête en l'air, si j'ai bien compris.)

En rentrant, j'entends sur France Inter les derniers paragraphes mélancoliques des Trois Mousquetaires.

Enquête

Les questions sont ici.


1/ Oui, plutôt. C'est l'avantage de vieillir, je n'ai plus peur de sourire aux inconnus.

2/ Pas vraiment, seulement les plus courants: chêne, platane, tilleul, maronnier, châtaignier, saule pleureur, saule.

3/ Huit ans, à vélo.

4/ Non, pas de dents de sagesse — arrachées avant d'avoir poussé, le jour de la chute du mur de Berlin. A l'époque il y avait une campagne en faveur des femmes battues, je prenais l'avion Bordeaux-Strasbourg pour des raisons professionnelles, tout le monde m'a regardée: j'avais deux yeux pochés (mais personne n'a rien dit).

5/ Oui, toujours. Je ne connais pas l'autre option.

6/ Ça dépend des moments, ça dépend pourquoi, et je suis mal placée pour en juger. Je suis très motivée pour ne pas m'embarrasser d'objets et de démarches inutiles. Parfois il me faut beaucoup de temps pour arriver à une conclusion simplissime. C'est rageant mais c'est comme ça. («Mais pourquoi ne pas y avoir pas pensé plus tôt?»)

7/ Non. Il y a eu une censure à l'inverse: mes parents ont rejeté certains prénoms au prétexte qu'ils étaient portés par des vaches de la ferme (Barbara, etc.)

8/ Je ne danse pas. Un rock quelconque au mariage de Matoo.

9/ Magasin je ne crois pas. A la poste, oui. (Une fois j'avais emmené les enfants entre deux et huit ans, j'ai dit que j'allais attendre en ne leur interdisant rien. (Je voulais des timbres de collection, grave exigence)).

10/ Je pense que oui. Avec ou sans animaux? Une vraie ferme, une vraie vie de paysan (animaux + cultures), est une contrainte très lourde. Je serais frustrée de tout ce que je ne pourrais plus faire. Je crois que je ne pourrais plus, que je le peux moins que quand j'avais vingt ans.

Le retour des comptes

Ma collègue était absente toute la semaine et les salariés m'ont achevée : j'ai à peine eu le temps de commencer l'arrêté des comptes.
Voici donc revenu le temps où je vais parler fiscalité et comptabilité. Cette année je franchis une nouvelle étape: je décris le processus de clôture des comptes en même temps que je l'effectue, le genre de tâche qui me fait toujours penser à cette carte aussi grande que le territoire chère à Lewis Carroll (décrire le monde, décrire parfaitement, intensément, le monde: ou comment la littérature permet de résister aux heures de bureau en ayant l'impression de continuer un projet commencé sous un escalier d'Adrogué).

La fabrique des machos — où comment élever des assistés

Séjour de quatre jours (enfin, deux plus deux moitiés) de camping dans la neige pour le plus jeune.

Lever six heures pour rendez-vous à sept heures. Arrivés au local scout, personne. Coup de fil: le rendez-vous a été décalé d'une heure et O. n'a pas vérifié ses mails.

Une heure plus tard, je dépose O. en hésitant un peu à descendre de voiture, je me demande si j'enlève mon chapeau: et puis non, assumons, allons-y. Comme prévu, les autres mères me regardent un peu, mais tant pis.
Nous attendons un bon moment que les enfants aient fini de charger les deux camionnettes et la remorque. Nous discutons. Une fois de plus je suis intérieurement abasourdie de la façon dont les mères élèvent leurs garçons, la façon dont elles les surprotègent et font tout pour eux (il s'agit d'enfants de seize ans).

L'une d'entre elles m'assure que «les filles, c'est plus facile.» — Euh non, différent, mais pas plus facile, réponds-je. Mais je vois bien qu'elle ne me croit pas. La même trouve que l'autonomie du scoutisme ne se transmet pas beaucoup à la maison, «qu'elle a presque davantage confiance dans sa fille de huit ans». Je n'ose répondre que cela dépend aussi de ce qu'on demande aux garçons, je n'ose expliquer que les miens font quatre-vingt pour cent des repas quand leur père n'est pas là (oui, bon, je ne fais pas la cuisine, mais on s'amuse bien. Ça compense, non?).

Situation tendue

Hier dans la matinée, trois appels de ma tante sur mon portable. Elle s'occupe de la maison de mes parents pendant leur absence (ils sont partis trois semaines au Costa-Rica chasser —photographiquement— oiseaux et papillons et sont a priori injoignables).
Je me prépare mentalement à l'aider à retrouver le numéro de leur contrat d'assurance pour un problème de fuite d'eau ou autre et la rappelle.

Pas du tout. La chienne de neuf ans confiée à sa garde est en train de mourir. Elle refusait de manger, elle tombait, ma tante l'a emmenée chez le véto. Verdict: cancer du foie, trop avancé pour qu'on puisse tenter quoi que ce soit.
Je console comme je peux ma tante en larmes en m'appuyant sur l'un des derniers billets de Boule de fourrure (heureusement que je l'ai lu, je n'aurais pas réagi de la même façon sans cela); j'essaie de lui dire qu'il ne faut rien précipiter, qu'il existe des médicaments anti-douleur, que si la chienne est soulagée elle pourra peut-être tenir jusqu'au retour de mes parents…

Aujourd'hui ma tante est plus calme, elle a pu ramener la chienne à la maison qui, soulagée par une piqûre quotidienne, reprend goût à la vie mais reste très faible.
A suivre.

Mon histoire juive

C'est un billet que j'avais l'intention d'écrire depuis longtemps, en général l'idée et le désir m'en viennent l'été quand je me dis que j'ai le temps. Puis je me dis que c'est ridicule et sentimental et j'abandonne.

C'est un billet que j'avais l'intention d'écrire depuis longtemps parce que je ne comprends pas la notion d'antisémitisme. Par "je ne la comprends pas", je veux dire que je ne la ressens pas.
Par conséquence je ne comprends pas non plus ce que je peux faire pour "lutter contre l'antisémitisme". Un noir, un jaune, un arabe, je les identifie visuellement. Mais un juif? A moins qu'il ne l'affiche, je ne vois pas comment je pourrais le savoir. Et je trouve étrange de faire "particulièrement" attention à quelqu'un à cause de ce genre de critères (sauf que je le fais — quand celui qui fait la manche dans le métro a de la barbe et un sarouel et que je lui donne un peu plus parce que je me dis que personne ne va lui donner. Discrimination positive. Je n'aime pas beaucoup la discrimination positive. Mon fond républicain s'y oppose spontanément. Ce n'est ni justice ni égalité de droit. C'est une compensation de "perte de chance", une notion qui me semble relever davantage du droit anglo-saxon que du droit romain.)

Première partie - J'ai grandi au Maroc jusqu'au CE2 (juin 1975 - j'en parle de temps en temps: l'autre raison de ne pas écrire ce billet est que j'ai l'impression de radoter). Pour des raisons de voisinage, je crois (plus je grandis moins c'est clair, chaque fois que je pose une question j'obtiens une réponse qui apporte un éclairage différent), je suis entrée en maternelle à l'école juive d'Ag*dir, j'y ai appris à lire, dans la classe de CP en balcon au dessus de la salle de prière (je ne sais pas quel mot convient. Ce serait sans doute l'équivalent d'une chapelle dans une école catholique. Etait-ce davantage, cela servait-il de synagogue?) J'avais quatre ans (deux ans d'avance), je ne comprenais pas ce qu'était cette salle dans laquelle nous n'avions pas le droit d'entrer (parfois les portes immenses étaient ouvertes et je glissais furtivement un œil en ayant l'impression de commettre un sacrilège — j'en rêve parfois), si haute de plafond que la classe en mezzanine était sans doute destinée à ne pas perdre d'espace.

Ma meilleure amie, Carole, était juive (nous discutions en classe, je me souviens qu'un jour, suite à une de mes phrases, elle m'avait expliqué gravement que "pieds" était une partie du corps qu'il ne fallait pas désigner chez eux, que c'était aussi sale que "fesse" pour nous — je n'ai jamais vérifié cette assertion depuis, mais j'y pense lors du lavage de pieds par Jésus dans l'évangile de Jean), il me semble que Natacha ne l'était pas (n'ai-je pas le vague souvenir qu'elle a fait sa première communion avant moi, car plus âgée?) Plus tard j'eus une autre amie dans une autre école, Arielle, que j'aimais beaucoup; secrètement je m'étais dit que j'appellerais ainsi ma fille si un jour j'en avais une (puis à vingt ans un ami me dit que cela faisait lessive (et Timothée shampoing) et c'est ainsi que mes enfants ne s'appellent ni Timothée ni Arielle.).

Carole venait chez nous, j'allais chez Carole. Son père devait travailler dans l'import-export1, il y avait dans la cour un immense entrepôt de caroubes que j'aimais escalader (oui, grimper sur ou dans le tas de caroubes qui atteignait presque le toit). Je croquais parfois dans une gousse, c'était sec, dur, avec un goût de caoutchouc brûlé dont je ne pouvais décider si je l'aimais ou pas. J'ai vu aussi une fois, sans doute quand le père de Carole faisait visiter l'usine à mes parents, un tapis roulant sur lequel défilaient des amandes décortiquées: il s'agissait pour les ouvrières de trier les amandes amères (je n'ai toujours pas compris à quoi elles étaient reconnaissables, mais j'y pense quand je tombe sur une amande amère — mais aujourd'hui cela n'arrive quasiment jamais: pourquoi?)

C'est chez elle que j'ai vu et mangé ma première grenade (entièrement égrénée par les soins de la Fatim, c'était si beau, ce rouge mouillé) et un Astérix en latin (stupéfaction). Un soir où j'étais restée dîner, j'assistai à une cérémonie solennelle où une coupe passait de main en main et à laquelle je fus invitée à boire moi aussi. Je m'étais sentie très fière et très honorée. Ce n'est que des années plus tard que je compris qu'il s'agissait sans doute d'un rite du sabbat.

Parfois c'était l'inverse, Carole restait chez nous. Je me souviens qu'un jour Carole s'était fait gronder par sa mère quand celle-ci avait appris que sa fille avait refusé du lapin: leur règle d'éducation était de manger ce qui était présenté s'ils n'étaient pas chez eux ou entre eux. (Je me souviens qu'à cette occasion mes parents avaient appris que les juifs ne mangeaient pas de lapin: "sabot fendu", dit le Lévitique (c'est sans doute dans le le Lévitique), que je lus douze ans plus tard). Je me souviens de conversations entre parents, notamment que les X. possédaient deux passeports, un pour les pays arabes et un pour Israël (ce que je ne compris que beaucoup, beaucoup, plus tard, en apprenant que les pays arabes refusaient les passeports tamponnés par Israël (je ne sais pas si c'est toujours le cas)).

Un jour, je posai la question à mes parents: «Qu'est-ce que c'est, un juif?» (Je n'ai posé que trois questions à mes parents, celle-ci est l'une des trois.) Réponse: «ce sont des gens qui ne croient pas que Jésus est le Fils de Dieu, ils attendent encore un Sauveur».
Ah. C'était clair (j'allais au catéchisme et ma foi avait été immédiate), c'était curieux mais parfaitement compréhensible: après tout, l'Evangile était plein de gens qui refusaient de suivre Jésus parce qu'ils ne le croyaient pas. Ils attendaient encore: c'était énigmatique et très intéressant, j'essayais d'imaginer l'attente.

Nous rentrâmes du Maroc, j'écrivis à Carole jusqu'en cinquième. Elle me dit qu'elle aimait beaucoup La brute de Guy des Cars; j'empruntai le livre, le trouvai mauvais et j'arrêtai d'écrire à Carole. (Mais quelle snobe j'étais!) (Plus tard, par ma mère qui revit la sienne en retournant à Ag*dir, j'appris qu'elle avait épousé à Paris le fils d'un rabin de stricte obédience qui passait son temps à servir de chauffeur à son père qui ne voulait pas conduire. Elle a divorcé quand son fils avait deux ans (fils du même âge que mon aîné).)

Fin de la première partie. Intermède.
Je lis Un sac de billes avec obéissance sans comprendre le nœud de l'affaire, sans comprendre qu'être juif vous valait d'être pourchassé, je lis le Journal d'Anne Franck sans comprendre pourquoi les profs s'esbaudissaient, s'il suffisait d'écrire "Cher journal" dans un cahier, je pouvais en faire autant (il faudrait que je le relise aujourd'hui.)
En quatrième, je découvre les camps de déportation en lisant Christian Bernadac, prêtée par une fille de la classe qui devait sa douloureuse popularité au fait d'avoir un an de retard et d'avoir perdu son père en cinquième dans un accident de mobylette sur le pont de Blois alors qu'elle était déjà orpheline de mère. Elle faisait partie de ces cancres prestigieux paraissant plus mûrs que les autres — et surtout que moi, la grosse tête avec un an d'avance qui aurait tant aimé voir autre chose que de l'indifférence dans ses yeux — donc je lisais Bernadac, Les mannequins nus, les camps de femmes et les expériences médicales. Mais ce sont des livres qui parlent surtout des résistants et des prisonniers politiques.
Conséquence secondaire: j'arrête de travailler l'allemand alors que j'étais excellente dans cette matière. (En terminale, je prendrai l'anglais en première langue alors que je ne l'ai jamais maîtrisé.)

Cette même année, 1979, Holocauste est diffusé. Le mardi, mes parents nous laissent seules, ils vont jouer (apprendre à jouer) au bridge. Nous restions seules pour regarder la télé, avec autorisation de nous coucher tard puisqu'il n'y avait pas école le lendemain. La seule interdicition que j'eus concerna Holocauste: il ne fallait pas regarder cela. Il y avait des choses qu'il était inutile de remuer fut à peu près l'explication que j'obtins quand je demandai la raison de cette interdiction.
Bizarrement je la respectai. Enfin, ce n'était peut-être pas si bizarre: j'en entendais parler à la radio et je me souviens d'une scène de viol dans un appartement: je suppose que j'ai dû essayer de regarder une fois et décider de respecter l'interdiction.

En terminale, un jour que le prof de philo était absent, j'allai seule voir mon premier film en salle qui n'était pas un Disney (je n'avais pas dû aller au cinéma depuis mes dix ans): Au nom de tous les miens. Je ne sais plus expliquer pourquoi. En avait-on parlé à la radio? Etait-ce parce qu'une autre amie de collège, perdue de vue depuis, ne jurait que par ce livre? Toujours est-il que je fus frappée par le ghetto de Varsovie, par les gâteaux donnés aux enfants mourant de faim, par l'arrivée au camp, les suicides de la première nuit et l'évasion, mais je n'en tirais toujours pas l'idée générale de l'antisémitisme, je ne voyais que la confirmation que les nazis étaient monstrueux.

Deuxième partie. Il fallut attendre la claque de Shoah, les deux séances de quatre et cinq heures dans une salle du 15e et la marche dans Paris jusqu'à mon internat du 5e, dans l'incapacité de prendre le métro, marche destinée à absorber le choc (et les visages polonais me rappelant mon grand-père faisaient partie de ce choc) pour que la haine du juif prenne corps pour moi.
La démonstration centrale du film était simple: il n'y avait pas de rapport entre un camp de concentration et un camp d'extermination. De l'un il pouvait arriver qu'on sortît vivant, dans l'autre on était mort trois heures plus tard.
Hilberg expliquait l'évolution de deux mile ans d'histoire: «Vous ne pouvez pas vivre parmi nous en tant que Juifs; vous ne pouvez pas vivre parmi nous; vous ne pouvez pas vivre.»
Je me mis à lire, beaucoup, mêlant témoignages et ouvrages plus théoriques. Le Hilberg quand il sortit en français (été 1988) (puis une deuxième fois, plus tard), Poliakov, Rudnicki, Primo Levi, Buber-Neumann, Aranka Siegal, Todorov, Pressac, Rudolf Hoess, Gitta Sereny, le livre noir de Grossman et Ehrenbourg,… jusqu'à ce qu'Hervé me demande un jour si ce n'était pas une obsession morbide et malsaine.
Je ne savais pas répondre à cette question, mais elle m'inquiéta: et s'il avait raison, si toutes ces lectures relevaient d'une jouissance maladive et sadique? Je n'en savais rien mais je ne voulus pas, par respect, prendre le risque. J'arrêtai mes lectures.

En 1995, je reprends mes études, plus exactement j'en termine la dernière année (après les avoir interrompues en 1989 pour travailler, me marier et mettre mes parents devant le fait accompli). Il se produit alors un incident bizarre. L'un de ceux avec qui je m'entends le mieux (ce n'est pas si facile, je détonne par mon alliance, même si je cache que j'ai un enfant) s'appelle Vincent T*nenb*um. Et un jour la conversation donne cela:
— Mais évidemment que je suis juif !
— Comment ça, évidemment ?
— Mais tu as vu mon nom ?
— Oui. Qu'est-ce qu'il a ton nom ?
A sa façon de me regarder pour vérifier que je n'étais pas en train de me moquer de lui, je compris que je devais être passée à côté de quelque chose d'énorme. Et c'est ainsi que j'appris, à vingt-cinq ans passés, qu'il existait des noms juifs, des noms à consonnance juive. Je n'y avais jamais fait attention, je ne savais pas que c'était significatif. Ce jour-là, je compris pourquoi ma mère riait parfois en parlant du frère de Carole, qui portait un nom du genre David Bensimon.
Tout cela pour dire que l'identification du "juif" est quelque chose qui ne m'effleure jamais, qui ne me vient à l'esprit que si l'on m'oblige à y penser.

J'en viens à ma question (car j'ai une question. Je raconte tout cela à cause de l'ambiance actuelle, de l'idée tout de même étrange à mon avis qu'Israël est un lieu plus sûr que la France, mais j'ai une question personnelle.) En avril 2012, après que RC eut annoncé qu'il voterait Le Pen, je découvris que Rémi en ferait autant. La raison qu'il donna fut l'affaire Merah, provoquant mon désarroi: impossible pour moi de comprendre qu'un universitaire et juriste puisse cautionner l'extrême-droite, surtout lui si sensible au fait que l'antisémitisme allemand était passé par la définition juridique du juif.
— Mais enfin, tu te rends compte qu'il a tué des enfants juifs?!
— Mais quel est le rapport avec le fait qu'ils soient juifs? Est-ce qu'ils ont plus de valeur que les miens parce qu'ils sont juifs?

Rémi2 m'a regardée d'un air profondément scandalisé.
Il était sincère, j'ai vu que ma question lui faisait horreur. Mais je n'ai toujours pas compris pourquoi. Est-il vraiment logique de rallier l'extrême-droite pour défendre les juifs? (Non, je suis sûre que non.) Ai-je vraiment dit quelque chose de scandaleux? Suis-je antisémite en pensant que mes enfants valent des enfants juifs, que des enfants juifs valent mes enfants, et surtout est-ce antisémite de ne pas voir, de ne pas faire, de différence, de ne pas comprendre la différence? (Pourquoi ai-je la sensation que ne pas voir ou ne pas faire la différence est sain, que ne pas la comprendre est une anomalie ou un handicap pour saisir notre monde contemporain? (Ou l'inverse? Si tout le monde était dans la même incapacité que moi, une partie du problème, voire tout le problème, serait-il résolu?))



1 : je trouve leur nom dans ce document en cherchant ce soir, mais ce ne sont peut-être que des homonymes.
2 : je donne le prénom pour ceux qui le connaissent. (Rien de confidentiel, il ne cache pas ses positions.)

Le four et le frigo

Puisque j'en suis à parler des appareils ménagers, continuons (car tout cela va bientôt mourir).

La lampe du frigo a grillé ce matin: arc électrique qui a fait sauter le plomb correspondant; l'ensemble a ensuite disjoncté quand O. a voulu remettre le frigo en ordre de marche.
— Tu as tué le lutin ?
— Grillé, le lutin.
(Pour ceux qui ne suivent pas, c'est du Gotlieb).
Mais bon, tout s'est remis à fonctionner. Ce frigo date de notre installation dans la maison en 1999. Il a fallu casser l'entourage de la porte pour réussir à le glisser dans l'arrière-cuisine. Avec notre génie domestique et notre intense préoccupation pour notre cadre quotidien, le cadre de cette porte attend depuis quinze ans de retrouver un aspect propre et fini. Le papier autocollant destiné à maintenir provisoirement le plâtre jaunit mélancoliquement.
C'est un frigo américain. Il y a longtemps qu'il ne sert plus à faire de la glace (l'eau prenait un drôle de goût) mais c'est très pratique de pouvoir y mettre la cocotte-minute sans effort ni calcul.

Et nous avons enfin changé le joint de la porte du four qui pendouillait depuis deux ou trois ans. Le four a été acheté en 1994, en même temps que l'appartement qui a précédé cette maison. Il doit avoir vingt-et-un ou ving-deux ans. Le problème était que je n'en connaissais pas la référence précise. Je l'ai retrouvée l'autre jour en fouillant dans une boîte de modes d'emploi (en regardant La nuit des morts-vivants (aucun rapport)) et j'ai donc commandé le joint sur internet (magique: comment faisait-on avant?). C'est un peu tard pour la blancheur de la porte du placard au-dessus du four qui a jauni au bout de toutes ces années de graisses de cuisson. Dommage.
Maintenant que nous avons résolu ce problème, en bonne paranoïaque, je redoute que le four tombe en panne.

Est-ce que j'ai une gueule d'alternatif ?

Vendredi matin en écoutant France Musique, j'entends Christel Baras parler d'un casting, celui d'Adèle Haenel (je cite de mémoire, écoutez l'émission pour juger à quel point je déforme): «je cherchais une enfant, j'avais une idée assez précise, une enfant d'un milieu alternatif, une famille où il n'y ait pas la télé, des enfants non formatés…»

J'éclate de rire: ainsi donc nous sommes une famille alternative? Ça alors. Pour moi, "alternatif", c'était intermittent du spectacle, artiste, quoi.

Plus tard encore, en réfléchissant à cette association alternatif/intermittent, j'ai compris que c'était à cause de l'électricité: la seule chose que je connaisse qui soit alternative, c'est le courant, et l'opposé, c'est "continu". Et le contraire de continu, c'est intermittent. CQFD.



Superbe soleil ce matin, peu de rameurs pourtant, sont-ce le froid ou les vacances?
Photo prise à l'aveugle car mon téléphone saturait et ne renvoyait qu'une image noire. (Il faut dire que ce sont des photos toujours prises très vite, en une seule prise, pour ne pas faire attendre les autre.)
11h36 en regardant vers l'amont. Barreur, en me retournant.

Les radiateurs

Hier soir nous évoquions au bénéfice de mes parents le jour où le tuyau d'un des radiateurs, rongé de rouille, a cédé, aspergeant l'ordinateur (heureusement la paroi de la tour) et un angle de la bibliothèque (les livres ensuite mis à sécher dans tout le salon, journal entre les pages, à la façon des herbiers).
A ma grande surprise, à nous quatre nous avons présenté trois versions de l'histoire : cela s'est-il passé le jour ou la nuit, étions-nous au dernier étage ou en train de remettre en eau les radiateurs des chambres après les avoir purgés, est-ce C. ou moi qui avons donné l'alerte? Il faut bien dire que le récit de C. me paraît plus logique, plus crédible, que mes souvenirs.

J'ai un problème avec mes souvenirs: je sais que certains sont rêvés. J'en suis certaine, car dans un cas au moins, je me vois très précisément en train de lire un livre dans la bibliothèque du collège, or il est totalement impossible que j'ai lu ce livre-là au collège. Donc l'image que j'ai est une image rêvée. Combien des images en moi sont-elles des rêves et non des souvenirs?
Cela me fait regretter de ne pas avoir tenu ce blog plus tôt (mais avant, les blogs n'existaient pas).

Mais enfin, inutile de regretter puisque ayant un blog je n'ai pas raconté l'épisode ici. Dommage, sinon nous aurions eu la réponse. C'est bien parce que je me suis aperçue de ce manque de substance que j'ai commencé à détailler davantage le quotidien. A l'époque je devais trouver cela trop personnel.
On trouve trace du changement de radiateurs ici. C'était sans doute la première fois que nous faisions appel à notre plombier portugais. (Pour la petite histoire, il ressemble un peu à James Gandolfini avant qu'il ne devienne obèse, sans doute moins grand mais avec le même sourire).

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Je suppose que oui, sans vraiment le savoir, puisque j'ai un téléphone portabe: plan de Paris, kilométrage à l'aviron, cela doit se faire à partir d'un GPS. Mais pour les "vrais" trajets en voiture, je préfère les cartes. Elles donnent une vue générale, elles donnent des envies, des idées, des possiblités de détours, d'échappées.

2/ Enormément. Où, quand, arrêtez-vous l'enfance? Je vais citer celui que je connais quasiment par cœur, et dont beaucoup de bribes me remontent en diverses occasions quotidiennes: Les lettres de mon moulin de Daudet.

3/ En Grèce, toujours (je dis "toujours", car j'ai l'impression de répondre souvent "en Grèce", ou "la Grèce"). Donc en juillet (à moins de compter l'aviron sur la Seine comme "bain de soleil": dans ce cas en octobre ou novembre à La Défense!)

4/ Tout le temps. Peut-être un peu moins qu'avant, j'essaie d'obéir à mes alertes intérieures. Mais il y a "je ne devrais pas" et "je ne devrais pas": il y a ceux qui correspondent à des entêtements et de l'obstination et qui sont de la bêtise (et on ne devrait pas!), et il y a ceux qui correspondent à des ruptures des conventions, qui sont plutôt "ça ne se fait pas": et là, il faut le faire!

5/ Oui, en particulier quand j'ai mal à la gorge.

6/ Oui. D'une part ils permettent d'obtenir un résultat tangible et durable, quelque chose "qui se voit" et "qui reste" (contrairement à la cuisine), d'autre part ils sont une façon d'user le temps, le chagrin et d'acquérir une sorte de sagesse. Par exemple, lorsque nous (Hervé ou moi) sommes en train de faire un travail intellectuel et que nous y découvrons une imperfection sans avoir le courage de tout reprendre pour que ce soit parfait, je rappelle cette leçon du tricot: quand le pull est fini, celui qui l'a tricoté ne voit plus que le défaut, et il est condamné à ne voir que le défaut aussi longtemps que le pull sera porté. Cela vaut la peine de détricoter et retricoter pour la paix de son esprit.

7/ Oui. Comment faire autrement quand on a des animaux? «Trois chiens pour un cheval, trois chevaux pour un homme.» (Je pense que ce n'est plus valable.)
Il y a une mort de cheval particulièrement atroce que je n'ai jamais racontée (un cheval de club, je n'ai jamais eu de cheval en propre).

8/ Non, je ne m'y sens pas bien. Souvent trop de vent, trop froid, mal assise, trop de bruit. J'aime les cafés, les bibliothèques.

9/ Enfant, chez la marraine de ma mère. Plus tard, jeune mère, en "sortant" les enfants au parc l'après-midi. Je ne peux pas croiser des parents poussant des poussettes dans les parcs dans frissonner d'horreur au souvenir de cet ennui mortel. Et tout ça pourquoi? Parce qu'on (mais qui, "on"?) nous avait convaincu qu'il fallait sortir les enfants. Alors qu'en réalité, ils s'en moquent, ils grandiront de toute façon.

10/ Je ne sais pas. J'essaie de faire simple. Dans ce domaine, ma vie professionnelle m'a aidée. J'ai eu des chefs remarquables de ce point de vue.

Le code

Hier, O. a passé le code (nom officiel: examen théorique du permis de conduire) à la préfecture de Paris dans le 18e.

— La convocation disait d'arriver à 14 heures 15 pour 15 heures, alors je suis arrivé à 14 heures 15. Je me suis bien ennuyé, j'ai dû m'endormir parce que je ne me souviens pas de ce que j'ai fait. En arrivant, j'ai vu une file de gens, énorme, c'était les demandeurs d'asile. J'ai pensé à eux, à qui on allait dire non, et à ceux en face, dont le boulot était de dire non toute la journée… Ça m'a mis une mine…


(Résultats aujourd'hui : réussi (truc et astuce: bien réviser se qui concerne l'alcool et les drogues). Maintenant la pratique.)

Les profanateurs de sépulture

Cette histoire de tombes juives profanées reprend quasi-exactement une discussion chez nos voisins le 16 janvier dernier autour d'une galette. C'était donc très peu de temps après l'attentat au journal Charlie, et la conversation avait glissé mollement, sans passion, vers les collégiens qui avaient refusé la minute de silence et autres récits.

Notre voisin (50 ans) se demandait si on n'en faisait pas un peu trop: «On dirait que tout le monde a oublié ce que c'est qu'être ados et les conneries qu'on peut faire en groupe. Je me souviens, il y a quelques années, on avait crié au scandale parce qu'on avait trouvé une tête de porc balancée dans l'enceinte d'une mosquée. Mais c'est typiquement ce qu'on aurait été capable de faire avec mes potes, juste pour rire et faire ch***, pas besoin d'aller chercher plus loin.»

Je pense à la gamine du village de ma tante qui bouleverse les tombes sans que personne ne dise rien alors que tout le monde connaît ses parents.

Je pense à mon beau-père (70 ans) nous racontant la voiture du surgé montée à la force des bras au dernier étage de l'internat, un client de mon mari (même âge) les poteaux électriques sciés pour faire un radeau sur la Creuse… «Les gendarmes sont venus. Qu'est-ce qu'on s'est pris comme raclée! Ch'peux vous dire qu'on n'a pas r'commencé!» (Mais cinquante ou soixante ans plus tard il est tout heureux de raconter).

Et je me demande si en même temps que le sens de l'autorité et de la responsabilité, nous n'aurions pas perdu une certaine capacité à la légèreté ("l'étourderie" de la jeunesse, dit Balzac dans Les chouans).

Dormir

Je viens de découvrir (je n'y avais jamais fait attention) que le réalisateur de My own private Idaho est Gus Van Sant.
Je rêve de revoir ce film à cause de la narcolepsie.


(Zut, je m'aperçois ce soir en regardant mes mails que j'ai raté un de mes bien-aimés cours de grec. D'un autre côté, je n'avais pas du tout le temps d'y travailler, ce n'est pas pour rien que je m'étais autopersuadée que le prochain cours était en mars.)

Une habitude à perdre

De même qu'il nous arrive fréquemment de nous exclamer en chœur à table «le bâton, le bâton» quand quelqu'un commet une maladresse (référence à Astérix en Helvétie), il m'arrive souvent, au lieu du traditionnel «mort aux cons», d'utiliser quand quelqu'un m'exaspère «Qu'on lui coupe la tête!», en référence à la reine dans Alice au pays des merveilles.
A l'air effaré des gens autour de moi, il me faut admettre que je dois perdre cette habitude.

Ménage

Comme Hervé a pris la peine de ranger le bureau et la chambre dimanche, je mets un point d'honneur à passer l'aspirateur ce soir.
Conclusion : il faut que nous prenions une femme de ménage, la poussière me rend vraiment trop malade.

Deux jours

Samedi : glandé (après m'être fidèlement levée à 4h56 pour travailler une heure quoi qu'il arrive, comme j'essaie d'en prendre l'habitude (cela m'arrive régulièrement: je me dis que je ne peux pas travailler le soir car je m'endors, alors il faut que je travaille le matin; puis je n'arrive pas à me lever le matin — alors je me dis que je vais travailler le soir. (Un jour j'arriverai à établir une routine, je me le jure !) Comme c'était samedi, je me suis recouchée.) Paresseusement vidé la chambre de A. pour Baptiste qui vient deux jours. Passé beaucoup de temps sur internet. Je me suis aperçue que le blog de writ était toujours actif: mais pourquoi l'avais-je cru abandonné? J'ai oublié.
Note pour mémoire : les procès avec JA arrivent à terme et celui-ci souhaiterait qu'on efface tous les billets relatifs aux procès ("différends", s'exprime pudiquement l'avocat): il faut donc en conclure que JA n'a rien compris à ce qui m'avait (nous avait) motivée à l'origine: qu'il cesse d'effacer ses méfaits en intimidant ses victimes.

Dimanche : sortie pour la première fois depuis le 25 janvier. Très belle sortie, à la nage, équipage parfait et bassin plat. Personne ou presque, les jeunes sont en vacances.

Je vais essayer de mettre une photo à chaque sortie dans l'espoir de saisir l'arrivée du printemps, mais ne vous faites pas trop d'illusions: je suis nulle pour ce genre de choses, j'oublie de prendre les photos, les photos ne comptent pas assez pour moi.

10h50, en regardant vers l'aval. A partir du ponton.




Un huit (de pointe!) est envisagé, le bateau est préparé. Paradoxe: à Neuilly, Vincent très attentif à la sécurité projette de nous faire ramer en huit (de couple) sans s'inquiéter de l'étroitesse et du peu de longueur du bassin; à Melun où tout est plus laxiste, où nous disposons de quinze kilomètres de bassin et de la largeur de la Seine pour tourner, mes compagnons de ce matin paraissaient persuadés que nous n'y arriverions pas, et d'abord à rassembler neuf personnes qui ne feraient pas faux bond. (La première difficulté en huit est d'être discipliné et fiable: il faut être là et à l'heure, sinon le bateau ne peut pas partir. Je ne comprends pas pourquoi ce serait plus difficile que de réunir une équipe de foot, mais les autres rameurs ont l'air pessimistes. D'un autre côté on peut jouer à dix tandis qu'on ne peut pas ramer à sept dans un huit.)
Je convainc Stéphane de prévoir une yolette de pointe la semaine prochaine. A suivre!

Je commence le "nettoyage" des deux blogs: passage en html, conversion des photos, indexation de vehesse, en travaillant jour par jour (par exemple, aujourd'hui, revu tous les billets publiés un 15 février). J'ai l'impression que ces travaux font remonter le googleranking. En tout cas les stats remontent sans que je sache pourquoi car les stats de free ont diminué en qualité et ne donnent plus les mots-clés des recherches ou les sites ayant mis un lien vers mes blogs.

Incidemment, il se trouve que c'est le 15 février 2011 que j'avais expliqué pourquoi JA était poursuivi au pénal. Quand je pense que s'il n'a pas été condamné à publier le jugement sur son blog, c'est parce que les juges ont estimé qu'il s'était écoulé trop de temps depuis les faits!

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Je ne comprends pas trop ce que ça veut dire. Mon seul but est de ne pas m'ennuyer.

2/ Non.

3/ Une sorte de grille en caoutchouc ajourée comme dans les fermes, ça compte pour un paillasson?

4/ Bof. Il y a plutôt des moments où je suis particulièrement inefficace: une fois la nuit tombée.

5/ Oui. Je mets des liens: des réponses ici, ici et ici.

6/ Il doit bien y en avoir un (il me semble impossible qu'il n'y en ai pas un, inconsciemment) mais je ne vois pas lequel. L'importance du petit déjeuner?

7/ Ecrire oui, parler, je ne crois pas. J'utilise «si je puis dire».

8/ Plutôt par étapes (si l'on considère que le cycle vaut répétition).

9/ Aucune. Un fond de jazz. Ce n'est pas moi qui choisis. Je n'écoute de la musique que quand je suis seule, je ne suis même pas sûre que le reste de la famille est conscience que j'écoute parfois de la musique.

10/ Jamais sauf depuis l'attentat contre Charlie. "Si on m'avait dit que…"

Alan Turing

Ayant reçu à vingt ans le surnom de «bonne vieille machine de Turing» (ne vous faites pas d'illusions, il ne s'agissait pas de qualifier mon génie mais ma propension à ne traiter qu'une tâche à la fois et à ne passer à la suivante qu'une fois la précédente achevée (tandis qu'un ordinateur moderne avance aussi loin qu'il le peut sur une tâche puis travaille à autre chose en attendant vos prochaines données ou instructions — un ordinateur passe énormément de temps à attendre (d'où la possibilité d'allouer ces temps morts à des programmes nécessitant d'énormes puissances de calcul)) — mais il me semblait avoir déjà parlé de ce surnom — mais je n'en ai pas retrouvé la trace ici.)

Je suis allée voir The Imitation Game en me demandant avec curiosité comment il était possible de faire une heure et demie de film sur de la cryptographie.
Les ficelles narratives sont classiques (je ne me pose pas la question de la "véracité" de la biographie, forcément ténue, styliséee): non pas le poète maudit mais le génie incompris à la limite de l'autisme, tressage de trois unités de temps, tensions dues au secret, information et désinformation, bêtise du militaire contre intelligence de l'Intelligence Service. (Je ne dis rien de l'homosexualité de Turing qui causa sa condamnation et sa mort, car que dire?)
Cela fait un film didactique qui permet de comprendre (pour ceux que cela intéresse) que le titre fait référence à l'une des premières séquences de Blade Runner.

Concernant la machine de Turing, vous trouverez ici une vidéo longue que j'aime bien (il en existe des versions courtes, de deux à six minutes).
Concernant Enigma, des explications ici et ici en pdf.

Rijksmuseum

Je pensais que nous resterions jusqu'au week-end mais une réunion vendredi matin obligeait Hervé à rentrer.

Journée (mini-journée, de midi à quatre heures, le temps de se lever puis le temps de repasser par le B&B récupérer la valise) au Rijksmuseum qui était en grande partie fermé quand nous sommes venus en janvier 2013.
Nous retrouvons l'horloge de Maarten Baas qui fait rêver Hervé.

Je propose pour une fois de parcourir toutes les salles "en courant", afin d'avoir une idée générale, un peu comme on feuillette un livre, plutôt que prendre notre temps dans les premières salles pour se retrouver à court de temps pour les dernières.
Cette idée sera plus ou moins respectée, mais au moins nous commençons par le dernier étage (1900-1950) sans réussir à trouver "l'autre" troisième étage (le musée a un corps principal et deux ailes plus hautes, ce qui fait que les étages les plus hauts ne communiquent pas); nous avançons à marche forcée, retrouvons quelques vieux amis (le cygne, les Vermeer), de très belles natures mortes et des marines en grisaille, le hall principal est gigantesque, il y a des courants d'air, nous trouvons par hasard l'autre troisième étage, 1950-2000 c'est vraiment un autre monde, principalement hideux. Souvenirs des colonies, décolonisation.
Nous passons un long moment dans la dernière pièce à essayer de comprendre un film non sous-titré sur la mise en place d'une digue dans les années 1950 ou 60: d'énormes caissons flottants sont tractés par bateau à l'entrée d'un canal puis sont coulés en les laissant s'emplir d'eau. (Impossible de trouver une vidéo sur le net, je n'ai pas les bons mots clés). C'est très impressionnant. Je me demande quelles sont les réflexions de cette ville et de ce pays sur le réchauffement climatique. Se sont-ils rapprochés des îles du Pacifique qui risquent de disparaître? En quoi les problèmes qu'ils rencontrent sont-ils différents de ceux de Venise?

Nous redescendons, meubles, porcelaines, Renaissance. J'aime de plus en plus les objets. Je suis interloquée par le cartouche d'une sculpture de Saint Augustin: faut-il comprendre que la ville serait Hippone? Mais c'est faux, il s'agit de la cité céleste, cela me paraît évident, ce n'est pas pour rien qu'un ange souffle dessus. Est-ce que je me trompe?
Salle des maquettes, j'adore, c'est fou ce qui a été inventé, des "chameaux" pour porter les navires trop lourds et leur permettre d'accoster au port… Magnifique.

Librairie pour les cartes postales; comme d'habitude j'y découvre tout ce que nous n'avons pas vu (l'art oriental, Van Gogh,…) Il faudrait commencer par les librairies.
Cafétéria du musée, cartes postales, retour à la chambre, retour à la gare, retour en Thalys, retour, retour, retour.

Journée à Amsterdam

Quitté l'appartement assez tard. Vent froid. J'avais oublié l'irréel des façades. Les canaux sont vides, inutilisés. Ce n'est pas Venise, la vie de Venise sur les canaux. J'avais oublié aussi les vélos, tant de vélos, si rapides et décidés. Quelle drôle de ville, sa netteté me met mal à l'aise (tous ces intérieurs parfaits en vitrine, tous ces bureaux de designers, toutes ces chaises blanches) et pourtant je pourrais bien travailler ici, dans ce silence studieux.

Pouvoir d'achat: Hervé manque de s'évanouir devant une petite bombe de mousse à raser Gillette à quatre-vingts centimes (recherche sur l'iphone du prix en France: plus de deux euros pour une marque propre de moindre contenance).

Musée de l'Hermitage. Expositions de services de vaisselle des tsars (se terminant curieusement par un service offert… à Staline qui ne s'en est jamais servi) et de portraits de groupe, véritable ode aux défenseurs de la ville à l'Âge d'or. La ville avait un système de prise en charge des pauvres très développé car la misère était mauvaise pour le commerce (étonnant que tout cela n'est pas produit d'écrivain à la Dickens). Les bâtiments du musée étaient eux-même un hospice pour les femmes seules de plus de cinquante ans.
L'exposition se termine en expliquant que les associations restent exceptionnellement développées à Amsterdam, avec des décisions collégiales sur la base du consensus (et non de la majorité), ce qui me laisse pantoise: arrive-t-on à prendre de bonnes décisions par consensus? N'est-on pas condamné aux demi-mesures? Il faudra que je regarde le comportement des Pays-Bas dans les institutions européennes.

Hervé laisse un pourboire au vestiaire: «Je viens de laisser trois bombes de mousse à raser».

Concert d'adieux de Mariss Jansons au Concertgebouw (c'est pour cela que nous sommes là). 4e de Mahler très tendre. Le son de cet orchestre est vraiment particulier, attentif, je n'ose dire "prévenant" ou "attentionné".

Amsterdam le soir

Deux abus de pouvoir dans la matinée: le pharmacien qui profite du mécanisme du tiers payant pour escroquer une vieille dame (en comptant sur le fait que personne ne l'écoutera, je suppose) et le syndiqué qui profite de ses relations privilégiées avec les DP (délégués du personnel) pour menacer la RH d'un scandale et exiger le remboursement de frais prescrits.
Enervée.

Thalys sans problème; Amsterdam. Chambre sous les toits qui ne permet pas de lire au lit (pas grave, nous ne sommes pas venus pour lire au lit) et dix ans de Donald Duck reliés — hélas en hollandais (j'aurais dû prendre une photo).

Week-end chargé

Pas le courage de faire hurler sejan en racontant le TG de samedi matin (pourtant ce serait fun (Royaume et eschatologie, Lumen Gentium et Gaudium et Spes (une constitution pastorale d'inspiration française que les Allemands ne prenaient pas très au sérieux) mais je suis fatiguée) préparé entre deux et cinq heures du matin — pas eu le temps cette semaine.
Samedi après-midi sieste (dommage il faisait beau) pour tenter de récupérer comme je peux de cette semaine, puis soirée pour les 140 ans du club d'aviron.
Dimanche matin ménage pour accueillir mes parents (j'apprends une heure avant que A. vient aussi, c'est une surprise: super la suprise quand on sait que sa chambre me sert de bureau pendant son absence. Je déménage tout en catastrophe), après-midi où je sombre peu à peu, allant jusqu'à oublier que le neuf est le quatorze à l'atout…:
— Tu ne peux pas monter ?
— Non.
Deux tours plus tard: — Mais tu pouvais monter !

(Bref. Je m'endors en jouant.)

Je suis au lit à huit heures après une crise d'étouffement. J'aurais dû acheter la ventoline prescrite par le médecin l'autre jour. Devenir asmathique à mon âge: fait suer !

Enquête

Les questions sont ici.

1/ Non, mais j'ai des amis avocats. Deux enseignements : gagner un procès est aléatoire («on ne sait jamais à l'avance», nous disait une amie, très douée dans son domaine) et les avocats sont payés pour trouver des problèmes, pas des solutions. (Ils sont terribles, ils ne pensent pas comme nous, ils sont à rebrousse-poil du sens commun. C'est très spécial.)

2/ Pas spécialement, mais plus que je ne pensais.

3/ De temps en temps, depuis que nous avons des voisins sociables.

4/ J'ai un manteau rouge, un cartable noir et une écharpe orange.

5/ Je ne veux pas en parler (mais quelle horreur!)

6/ Plutôt jamais. Il arrive régulièrement qu'elle ne soit pas fermée une nuit entière. Nous nous en apercevons au matin.

7/ Non.

8/ Non. (Mais j'aimerais bien que quelqu'un parmi ceux qui répondent à ce questionnaire dise qu'il est chef d'Etat).

9/ Souvent je pense. Autant j'aime la logique, autant il me semble que trop de cohérence est dangereux ("idéologie", logique d'une idée).

10/ Pas vraiment, mais surtout par manque de culture, d'éducation. Je crois que je pourrais facilement faire des progrès en travaillant.

Effroi

Tous les jours une nouvelle horreur. Hier (ou avant-hier) le pilote brûlé vif, aujourd'hui les enfants crucifiés ou enterrés vivants… Cela ressemble terriblement aux descriptions des guerres de religion en France, à cela près que ce n'était pas filmé. (Comme je le disais en 2008, aujourd'hui même les camps seraient filmés (et en 2008, "l'info en continu" n'avait pas atteint les sommets atteints depuis Merah en 2012)). Impuissance, hébétude, fatalisme, et chez certains cette fascination qui me donne envie de vomir.

Bien entendu les ennemis des religions éprouvent une colère dont la férocité ressemble à de la joie, tenant "leur" preuve incontestable; les religions, ce n'est rien d'autre que le mal incarné, et devant tant d'horreur, il me vient à penser non pas qu'ils ont raison, mais que je les comprends, que je ne peux que les comprendre, ce qu'ils disent est incontestable.
Et je pense au nazisme et à l'hitlérisme. Refuser la transcendance n'est pas non plus un gage de bonté et de générosité.
Je ne sais pas ce qui produit le plus de crimes, ou ce qui est le plus irrationnel: croire en l'homme ou en Dieu.
L'horreur n'est pas un concours.

Tuteur

Les études de théologie que je suis étant réservées à des adultes ayant une vie professionnelle, elles prévoient pour nous aider à reprendre un rythme estudiantin des "tuteurs", des personnes attribuées à chacun de nous et destinées à nous aider dans la méthode et, tout au moins au début, à vérifier que nous lisons assez et que nous lisons bien (que nous savons lire, prendre des notes, comprendre des structures (à vrai dire, je suis de moins en moins sûre du dernier point. Cette année est une année de doute, je ne comprends pas, je ne saisis pas, je ne vais pas y arriver, etc (ne pas penser et s'obstiner, politique du bœuf de labour, jusqu'à ce que tout le champ y passe (parenthèse hors sujet)))).

Les deux tuteurs que j'ai eus jusqu'ici exerçaient en dilettante. J'arrivais avec une liste de livres lus, mon répertoire thématique Clairefontaine de citations et nous discutions agréablement de choses et d'autres. Les seuls conseils que j'ai eus ont été, du premier, de dater mes lectures, du second, de lire Beauchamp. Tout cela n'était pas très utile mais sympathique, surtout que je recueillais de fort bonnes notes en fin d'année.

Cette année, et pour les quatre années qui restent, m'a été attribuée une femme austère à la réputation effrayante, ayant fait sa thèse de doctorat sur la mystique de St Jean de la Croix. Lundi soir j'ai vu arriver dans ma boîte mail la demande de lui envoyer "l'ébauche du travail que j'allais lui présenter mercredi" (aujourd'hui) (nous étions convenus que cette séance de tutorat porterait sur l'oral d'exégèse ayant lieu en avril). Bien entendu je n'avais rien, n'ayant jamais travaillé ainsi avec mes tuteurs. Rentrée de cours à minuit, travail de quatre heures du matin à huit (heureusement Olivier commençait à dix heures), premier envoi mardi matin avec promesse d'un second, rebelote dans la nuit de mardi à mercredi, envoi mercredi midi du choix de ma péricope et d'une ébauche d'analyse (ayant choisi un sujet sur l'épître aux Colossiens, il m'appartenait de délimiter un extrait (péricope) de l'épître pour répondre au sujet).

J'appréhendais de la rencontrer. Elle m'a reprochée de lui avoir envoyer la péricope trop tard, qu'ainsi «il lui était difficile de m'aider». Et effectivement, elle m'a aidée. Elle avait apporté des photocopies de dictionnaire, m'a indiquée par quoi il fallait commencer, a articulé une problématique, m'a donnée des pistes («les impératifs de Paul renvoient toujours à des affirmations, trouvez lesquelles»; «quelle est la question théologique posée par Nostra Æetate?» Je balbutie quelque chose. «Non, ça, c'est la réponse»). Elle a défriché, donné des principes, je me suis sentie moins démunie face à ce truc fuyant et incompréhensible qu'est l'ecclésiologie («le corps mystique du Christ»: mais y a-t-il quelqu'un qui comprenne vraiment ce que cela veut dire?)
Elle a terminé en me disant que dans les deux mois à venir je pouvais être amenée à changer de problématique et de plan au fur à mesure de ma réflexion, qu'à la fin de mon travail mon approche du sujet aurait sans doute changé, que «j'aurai été déplacée».
Et cela m'a fait rire en me rappelant une boutade de première année. Qui avait dit que dans cette maison, le leitmotiv était «le déplacement» accompli par tout travail? (la façon dont ce qu'on pense à priori avant de commencer est transformée par le travail accompli: ce qui compte, c'est la mesure de ce déplacement, c'est d'avoir conscience de l'écart et être capable d'en rendre compte). Je l'avais totalement oublié, voilà que cela ressurgissait.

Je suis sortie de la rencontre ravigotée. Je me sens comme un pied de petit pois qui aurait trouvé sa rame.

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Agenda
Le soir The Haunting Melody avec la classe d'Olivier. Beaucoup somnolé, des bribes de musique passant dans mes songes. Je ne suis pas emballée mais cela pourrait intéresser mes amis mélomanes (ou musicologues? réflexion sur les musiques qui tissent nos vies bon gré mal gré).

Dîner

— Les coccinelles sont des salopes.

A propos de Lumen Gentium 36, un prêtre oratorien

«On voit ici l'ampleur de ce qui est demandé aux laïcs ! Je ne suis pas laïc, je suis bien content.»

Dimanche

A Melun pour rien — accès au ponton inondé, débit à 585 m3/s. (La limite pour "sortir" est à 500).
En face du club, l'eau arrive au ras de l'île sur laquelle est bâtie la prison. Le ponton n'est plus accessible.





Le Revizor au théâtre de la Tempête. Spectacle s'appuyant sur un mot de la fin, "pantin", avec une mise en scène insistant sur la farce et le grotesque.
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