Un silence assourdissant

Je suis dans une circonscription particulière: en 2022, c'était la seule de Seine-et-Marne qui ne présentait pas de candidat LREM. J'ai donc l'habitude d'être hors du circuit. Cependant, les soirs d'élections, nous suivions de minute en minute sur les boucles Telegram et les groupes WhatsApp les résultats des dix autres circonscriptions, les annonces de fin de dépouillement de chaque bureau pour essayer de consolider les scores avant la préfecture. C'était brouillon, effervescent, on n'y comprenait pas grand chose (les résultats réels se découvrent le lendemain dans la presse), mais c'était vivant, humain.

Ce soir, c'est le silence. Pas un message. Je réussis à avoir les résultats de notre circo via un contact chez les LR. Rien pour les autres. Quid d'Hadrien, de Franck, de Michèle?
Quand on est dans le jeu, c'est différent, la politique s'incarne: je pense au travail acharné, aux attachés parlementaires licenciés au moment même de l'annonce qui ont travaillé bénévolement pendant trois semaines, à l'espoir, à la fatigue. Ne pas céder au découragement. C'est un processus ingrat, les résultats ne sont pas proportionnels au travail déployé sur le terrain. Dans la décision individuelle de chaque électeur, il y a une dimension "air du temps", une autre "enracinement", une troisième "ras-le-bol, changeons tout", etc.

J'essaie de connaître les résultats de Shannon Sheban face à Mathilde Panot, les résultats de Dupont-Aignan: rien.

Mélenchon appelle les candidats NFP arrivés en troisième position à se désister (j'attends de voir sur le terrain: la réalité, c'est que vous ne pouvez obliger personne à faire ce qu'il ne veut pas, se présenter ou pas est une décision individuelle); Edouard Philippe appelle à se désister en faveur des candidats NFP s'ils ne sont pas LFI (mettant ainsi le parti communiste à droite de LFI).
Il y a peut-être eu d'autres annonces dont je n'ai pas eu vent.

Ne vous y trompez pas : nous sommes partis pour un RN président en 2027 (l'effet Obama-Trump). Les Polonais on mis huit ans à se débarrasser de leur gouvernement d'extrême-droite. Cela ne va pas vite. C'est le moment de faire preuve de résilience (et relire Histoire d'un Allemand d'Haffner).

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Remarque littéraire : cela me fait penser à Albert Savarus de Balzac, qui montre les calculs et les luttes d'influence souterraines dans une élection — et à quel point ça tient à peu de choses qui ont peu à voir avec l'intérêt général et beaucoup avec les passions humaines.

Dans l'après-midi, nous avons vu Furiosa, que j'avais très peur d'aller voir tant j'ai aimé Mad Max 4. C'est bien. Pas à la hauteur de Mad Max 4 (pas la dimension opératique), mais bien, cohérent.

Erreur sur les enjeux

J'ai entendu à plusieurs reprises Macron déclarer: «je veux réunir les Français». De Gaulle voulait, lui, gouverner au-dessus des partis.

C'est une erreur. D'une part la diversité des partis constitue l'essence des démocraties. Un seul parti ou pas de parti s'appelle une dictature. D'autre part, toute la difficulté existentielle, comme dirait Fredi M., est de vivre avec les personnes avec qui on ne s'entend pas. Vivre entre potes est facile, la difficulté est de vivre avec ceux qu'on ne supporte pas.
C'est cela qu'il faut apprendre à l'école et en famille pendant l'enfance; organiser au travail et dans la vie politique dans le monde des adultes.

Cela passe par la politesse et le sens de la décence, la common decency d'Orwell.
Et donc au lieu de vous mettre la traditionnelle bagarre d'Astérix, je vous mets ceci, à méditer:

En quoi peut-on parler de réussite économique à propos de Macron ?

C'est la question que la Souris me pose en commentaire d'un précédent billet. Cela me laisse perplexe tellement la réponse me paraît évidente et me fait toucher du doigt une fois de plus à quel point le gouvernement au pouvoir a été nul en communication sur ses réussites.

Réussites, dans un contexte de gilets jaunes, de Covid et de guerre d'Ukraine :
- chômage au plus bas depuis quarante ans
- croissance plus forte que l'Allemagne et le Royaume-Uni depuis 2018
- inflation plus faible que nos voisins
- réindustrialisation (création d'entreprise et hausse du nombre d'emploi)
- investissements étrangers en hausse (= attractivité de la France)
le tout accompagné d'excellents résultats en terme de décarbonation.

Les étrangers ne comprennent pas la grogne des Français. Je vous mets un tweet d'Alex Taylor (Je ne traduis pas : prenez le texte sur Twitter et copiez le dans Google traduction)

tweet d'Alex Taylor sur la réussite économique de la France


Je vais mettre en ligne un certain nombre de graphiques collectés au cour du temps. Vous pouvez également vous abonnez à la newsletter Vie publique pour des articles courts regorgeant de sources vérifiées ou à la bibliothèque des rapports publics (mais hélas, pas assez de temps pour lire tout cela).

Pour info : avec un clic droit sur les photos on peut les agrandir dans un onglet à part.

mai 2024 - comparaison du taux d'inflation en Europe prix de l'énergie pour les entreprises en Europe fin 2022 inflation, chômage, pauvreté: la France fait mieux que l'Europe


Concernant la retraite à 64 ans, je rappelle qu'il y a un certain nombre de trimestres à valider en plus d'atteindre l'âge de départ à la retraite (peut-être que pour vous ce n'est pas 64 mais 65 ou 66 ans, gniak gniak). Par ailleurs, si vous avez des enfants tard, il est probable que vous souhaiterez travailler jusqu'à la fin de leur scolarité (je m'adresse à une population privilégiée, je sais. Mais "mes" lecteurs ne sont pas défavorisés, même s'ils peuvent être râleurs). Ce qu'il faudrait surtout, ce sont des recruteurs qui n'aient pas l'âge de nos enfants: évidemment que pour eux nous sommes des croulants pénibles — puisque nous leur rappellons leurs parents).

Deux graphiques, un sur la réforme des retraites, l'autre sur la réduction des inégalités en France après intervention de la redistribution sociale:

amélioration des petites retraites avec la réforme réduction des inégalités en France après redistribution sociale


Les années qui viennent de s'écouler sont également un succès au niveau de la décarbonation de l'économie, grâce notamment au nucléaire (attention aux candidats anti-nucléaires, le rejet de CO2 va repartir à la hausse).

émission de CO2- comparaison européenne index de la transition énergétique. La France première d'Europe


L'infographie suivante circulait le 2 mai, le gouvernement aurait dû en faire des affiches en 120x160 ou plus.

Attractivité, décarbonation, inflation : trois réussites françaises


Tout cela a été fait en silence, en travaillant jour après jour, malgré le Covid et la guerre d'Ukraine. On pourrait parler aussi du nombre de choses devenues plus simples, à commencer par les procurations, les inscriptions sur les listes électorales en cas de déménagement, la mise en place de maisons France Services (je le conseille tous les jours à des personnes maladroites sur internet), la mise à jour des cartes grises en ligne, le prélèvement à la source de l'impôt, l'utilisation de son compte personnel de formation, le repas étudiant à un euro, la simplification des formalités pour les TPE, etc, etc, des milliers de détails qui ont changé insensiblement la vie de tous les jours.

Je suis convaincue que quel que soit le parti qui remplacera Renaissance, il fera moins bien en économie et en redistribution (les deux sont liés: il n'y a rien à redistribuer s'il n'y a pas création de richesse, c'est-à-dire travail). Pas tout de suite, cela prendra deux ou trois ans durant lesquels il y aura des cadeaux, mais ensuite, quand la réalité rattrapera les rêves, il faudra se serrer la ceinture. Et comme toujours, ne vous faites pas d'illusions, ce sont les plus fragiles qui paieront les pots cassés.

(Amis parisiens, réjouissez-vous, si le NFP passe, il n'y aura pas de grèves de métro pendant les JO. Si le RN, il y aura plutôt un blocage généralisé. On va bien s'amuser.)

Ce qui m'ennuie le plus, c'est que Poutine a gagné.

Déprimant

Encore collé ce soir des affiches pour le député de «l'arc républicain» (en un mot, les sociaux-démocrates). Il fait beau, presque trop chaud après tous ces jours gris et pluvieux.

Déprimée en écoutant la radio: le RN serait en capacité d'avoir la majorité absolue, le NFP perd un point, Ensemble en gagne un autour de 20%.
Comment en est-on arrivé là? Je songe à Kozlika qui voyait en Macron un dictateur potentiellement capable de s'imposer pour un troisième mandat: ben tu vois, il s'est fait sepukku au milieu du deuxième.
Le problème est qu'il entraîne dans sa chute tous les normaux, les modérés, à droite comme à gauche (mais pourquoi les courants de la gauche ne virent-ils pas Mélenchon et les LFIstes? Ils redeviendraient fréquentables.)
L'histoire aurait pu retenir la réussite économique de Macron et sa détermination à internationale; il restera désormais comme le fossoyeur de la Ve République.

«La France est capable de sursaut», disent les Chinois. Cela pourrait-il encore être le cas? Boulanger, Poujade; Bardella pourrait-il lui aussi s'évanouir dans les brumes? Est-ce qu'il y a une tentation française régulière, mais toujours rejetée? J'aimerais me rassurer ainsi.

Je songe à cette phrase lue je ne sais plus où en 2022: «Et dire que si la France n'est pas encore d'extrême-droite, c'est sans doute parce que Marine Le Pen est une femme».

C'était sans doute vrai.

Voyage

Lever à 4h40 pour coller dans les communes alentour avant d'aller chez mes parents. J'adore voir le soleil se lever sur la campagne. La politique, c'est bien plus agréable quand il fait beau.

champ au lever du soleil vers Ville-Saint-Jacques


J'en profite pour coller des affiches anti-RN sur du collage sauvage. Tous les panneaux sont couverts de Bardella, sauf dans une commune LFI. Ce sont des affiches curieusement personnalisées ou dépersonnalisées: les candidats n'apparaissent pas. Sur celles du RN on voit Bardella et Le Pen; sur celles de LFI on voit «Votez Nouveau Front Populaire pour tout changer» en grandes lettres rouges (je dis LFI car le candidat NFP de la circo est LFI. Nous avons un seul PS dans le département et c'est Olivier Faure.)

J'achète des croissants et je rentre. Petit déjeuner, vaisselle, rangement. Je pars bien plus tard que prévu.

Direction Blois. J'écoute le podcast Xi Jiping, le prince rouge. Un tweet de Laurent Frisch nous a appris que l'appli @radiofrance avait été désinstallée des stores en Chine. La station suppose que ce podcat en est la cause.

Il fait beau. Campagne de France, encore.

La Beauce en juin

Le programme du Front populaire. Aparté sur une utopie

Deux remarques sur le sur le programme du Nouveau Front Populaire et une généralisation.

1/ la retraite

En tant que boomer, je suis stupéfaite voire scandalisée de voir des boomers en col blanc souhaiter la retraite à 60 ans. D'accord quand on travaille dehors ou qu'on porte des charges lourdes, mais quand on travaille dans un bureau? Sont-ils conscients qu'ils condammnent les générations plus jeunes à travailler pour eux ?

Je sais bien qu'au tournant de l'an 2000 notre génération a vu ses parents partir en pré-retraite à 58 ans dans un pays rongé par le chômage (les pré-retraités, c'était autant de personnes en moins dans les statistiques du chômage). Nous avons fait face, nous l'avons payé (par nos cotisations sociales), mais est-ce vraiment ce que nous souhaitons pour nos enfants et petits-enfants?

Et que ces générations de jeunes, qui par ailleurs ne font plus d'enfants eux-mêmes et donc de fait interrompent la solidarité intergénérationnelle, s'enthousiasment pour cette mesure, me stupéfie. Se rendent-ils compte qu'ils se condamnent eux-mêmes à une dégradation de leur niveau de vie, soit en payant davantage de cotisations, soit en recevant des pensions plus faibles, soit les deux?

dessin illustrant quatre retraités pour un actif


Au moment du débat sur les retraites, j'ai retenu qu'il y avait UN (un seul) moyen de s'en sortir avec les paramètres actuels (population vieillissante, augmentation du rapport retraités sur actifs) sans augmenter les prélèvements ni diminuer les retraites: c'était augmenter la productivité.

Malheureuseusement, en France elle est en berne depuis 2019. Cela s'explique globalement par le plein emploi (les patrons conservent leur main d'œuvre dans les périodes de moindre activité par peur de ne pas la retrouver quand ils en auront besoin), par les contrats d'alternance (mécaniquement le temps passé à l'école fait baisser la moyenne de la production) et le manque d'investissements.
Ce manque d'investissements est un problème européen très inquiétant pour l'avenir:

décrochage de la productivité européenne par rapport aux Etats-Unis. 2000-2023


2/ un statut de déplacé climatique
J'applaudis des deux mains, je suis pour.
Enfin, je serais plus radicale: je souhaite que toute personne puisse entrer en France, et si elle n'a pas de papier, qu'on lui en fasse (pas des papiers français: une carte avec son identité, sa nationalité, etc. Déclaratif si pas possible autrement, avec le témoignage des compagnons de voyage éventuellement. Après tout quelle importance: l'important c'est le futur, la façon dont ils vont se comporter en France — et qu'on dispose pour eux d'une identification stable, quitte à ce que ce soit nous qui la leur donnions.)

Cela revient quasi au même qu'un statut de déplacé climatique, car bientôt tous vont l'être: se rend-on bien compte que l'équateur va devenir inhabitable d'ici 50 ans et que les populations d'Asie et d'Afrique vont naturellement se dépacer? (ce sera peut-être différent en Amérique grâce à l'altitude et l'Amazone, mais rien n'est moins sûr: en 2023 le canal de Panama a manqué d'eau et le Mexique brûle).

Les populations vont se déplacer. On peut s'en défendre, dresser des barrières, les laisser mourir dans la Méditerranée. Il faudra militariser de plus en plus, car les migrants seront de plus en plus nombreux et nous de moins en moins.
Ou nous pouvons prendre en compte cette donnée inéluctable et nous préparer. Comment? En préparant des logements et surtout en rénovant l'école. Nous n'arrivons plus à transmettre notre langue, notre histoire, nos valeurs, aux enfants français, comment les transmettrons-nous aux enfants étrangers? Il faut revoir les enseignements fondamentaux, la pédagogie, revaloriser la profession (et sans doute les salaires).
Accueillir les migrants et les intégrer passe par l'école, j'en suis persuadée.

3/ échapper à la condition humaine
De façon générale, en lisant les promesses ça et là (ma réflexion dépasse le NFP), je me demande combien font le rapport entre leur salaire et la valeur produite. Dans un monde libre, le salaire dans les entreprises est une partie du chiffre d'affaires, c'est-à-dire des ventes, reversée aux salariés. Ce n'est pas un montant arbitraire, il correspond à des ventes, à des frais fixes, à une marge souhaitée pour se développer. Pour augmenter les salaires, il faut soit vendre plus (effet volume) ou vendre plus cher (effet prix). Dans ce dernier cas, l'augmentation des salaires entraîne tout simplement une augmentation des prix.

Une autre façon est de diminuer les marges (quand il y en a) ou de redistribuer une partie des salaires faramineux de certains patrons (mais il n'y a pas tant de grands patrons: ça ne concernerait que certains salariés — et ces salaires faramineux, une fois partagés entre tous, représentent peu pour chacun). Vu ce qu'on vient de voir sur la productivité, je préfèrerais que cela serve aux investissements. Il faudrait encourager les investissements.

De façon générale, je me demande si les Français se rendent compte qu'ils dépendent les uns des autres: ceux qui travaillent, cotisent, paient des impôts, financent la sécurité sociale, l'école, les routes, les tribunaux, la solidarité avec les plus faibles, etc. Si tout le monde est à la retraite ou au chômage, ça ne marche pas. Si personne ne plante, récolte, fait de la farine, transporte en magasin, on ne mange plus.
La malédiction de la Genèse, «tu mangeras à la sueur de ton front», s'applique. On n'y échappe pas.

A moins, à moins… de revenir à l'esclavage. Parfois je me demande si certains gentils gauchistes (parce que les méchants droitistes, ça va de soi) se rendent compte que pousser leur raisonnement jusqu'à l'absurde reviendrait à condamner une portion de l'humanité à travailler pour que l'autre se prélasse, quelque chose du genre des castes du Meilleur des mondes ou la Grèce antique.
Ou condamnerait tout le monde à mourir de faim. Nous en avons eu deux exemples au XXe siècle: Holodomor et le Grand Bond en avant.

Dernier jour

Deux jours de ménage au dernier étage. De façon tout à fait étrange, tout paraît nous abandonner au même moment: les télécommandes (celle qui ne fonctionnait plus depuis quatre ans refonctionne ce soir, tandis que l'autre refuse même une fois les piles changées; mais pour que l'écran s'allume, il a fallu le débrancher et le rebrancher, hors télécommande: incompréhensible); le disque dur de sauvegarde que l'ordinateur s'épuise à tenter de lancer alors qu'il est HS (mais cela prendra une soirée pour que nous nous en rendions compte, H. étant persuadée que c'est un virus qui ralentit ma machine).

Côté politique, on dirait un jeu cruel et révélateur, quelque chose comme Squid Game, où ce qui est testé, c'est la capacité à s'unir (voire à se sacrifier) en vue d'un objectif commun, en oubliant ses propres aspirations. Faire passer l'intérêt commun d'abord. Pas mal comme test grandeur nature.

Détails de la vie ordinaire

Plus que deux jours, plus que deux jours. C'était bien cette semaine de break, chaque fois que je reste à la maison je fais la liste de tout ce que je vais pouvoir faire, mais malade, je n'ai surtout rien fait.
C'était bien, mais si tout de même je pouvais avancer deux ou trois choses…

Et donc tout en écoutant un podcast sur Mao je reprends l'éternel rangement du dernier étage, le dernier carton de bordel déménagé il y a trois ans, ouvert, éparpillé selon une logique («je vais faire des tas, ce sera plus facile») bientôt abandonnée (mais où ranger cela? aucune idée. Je range ou je jette? Je ne sais pas. Et si je le mets là, est-ce que je retrouverai? Mais quelle importance puisque déjà je ne sais pas que c'est là? Alors je jette? Oui mais non…)
Je range le bac de photos que j'avais ouvert à la recherche de photos de mon beau-père, le repousse sous le lit, passe l'aspirateur (c'est quoi ça? des fourmis au dernier étage?), la serpilière, passe à l'autre partie de la pièce; maintenant que le toit est réparé (du moins je l'espère) je détache la peinture qui part en lambeaux détrempés, c'est dans un drôle d'état, il était temps.

Problème d'ordinateur, voilà plusieurs semaines qu'il rame. Le soir H. lance un examen approfondi à la recherche d'un virus. Ça s'annonce plutôt mal.

Politiquement la confusion paraît à son comble et je ne regarde pas de trop près: j'ai trop peur et je suis fataliste. Dessin du jour: deux personnes sous un parapluie et la légende «Hollande revient»1. (Il s'est présenté en Corrèze en plaçant le «Nouveau front populaire» devant le fait accompli. Celui-ci, pris de court, a hésité à lui donner l'investiture.)

Tout le monde se déchire, les Reconquêtes présentent des candidats face aux RN (ça c'est plutôt positif, ça divise le vote extrémiste), les LR sont séparés entre républicains classiques et extrêmistes récupérés par le RN (Ciotti (je précise tout cela pour dans cinq ou dix ans)), Glucksmann a raté l'occasion de faire renaître de ses cendres une gauche digne et s'est fondu dans le Nouveau Front Populaire (au moins c'est plus joli que NUPES) aux relents antisémites (même si ce n'est plus trop visible en ce moment), la majorité présidentielle essaie de repérer les LR fréquentables pour ne pas présenter de candidats contre eux.
Que disait Maurice, déjà? «C'est le bordel». Ce serait drôle si l'on n'était pas en pleine guerre d'Ukraine.



Note pour bien plus tard, quand tout le monde aura oublié
1: Hollande s'est fait connaître pendant son quinquennat par le nombre de célébrations officielles auxquelles il a assisté, dégoulinant, sous la pluie.

Hommage

Tests Covid négatifs, c'était la condition pour aller au Père Lachaise.
Nous sommes remontés à pied de gare de Lyon à l'entrée rue des Rondeaux, seule accessible puisque les agents du Père Lachaise sont en grève. Nous avons poireauté sur le trottoir longtemps tandis qu'arrivaient les divers groupes, famille, Oulipiens, Pirouésiens, pataphysiciens. Les entrées se font un quart d'heure avant la cérémonie, impossible d'aller se promener entre les tombes en attendant. Un murmure parcourt l'assistance, certains reconnaissent des visages dans le groupe d'en face, dont Olivier Bezancenot: qui donc se fait enterrer là? (Eric Hazan, l'éditeur de La Fabrique. «Il a fait un très bon livre sur Paris», me glisse Alain, mais hélas il y a en a plusieurs, La traversée de Paris, peut-être?

Passage des barrières, indifférence brutale des agents de sécurité (mais pourquoi des agents de sécurité? Ils craignent une émeute lors d'un enterrement? Qui sont ces gens, n'ont-ils aucune common decency? Entendu la question posée à un jeune homme «— Et vous c'est pour quoi? — Je viens chercher les cendres de ma mère.» Plus tard je l'ai vu s'éloigner entre les tombes main dans la main avec une jeune fille, dans une atmosphère d'Italie, ces photos de voie romaine entre les arbres dans une lumière d'après-midi.)

C'est l'entrée des hommages aux soldats étrangers qui se sont battus pour la France, tchèques, belges, italiens, polonais, russes. Monuments.

Crématorium (j'ai enfin compris que le Père Lachaise était le crématorium de Paris. J'étais toujours surprise qu'il y ait tant de cérémonies au Père Lachaise). Fidèles à eux-mêmes, les Oulipiens m'indiquent d'un geste, sur le mur d'en face: «Perec est ici».

Salle de recueillement, auditorium. Le cercueil est en bas, un écran vidéo diffuse des images merveilleuses de Maurice. Mon Dieu, mais quelle touffe de cheveux, noirs, bouclés, entourant une tonsure, quelque chose comme le professeur Tournesol en hippie. Hirsute, magnifique, absurde.
Elisabeth prend la parole la première et nous apprend les derniers mots de Maurice sur son lit de mort, «quatre mots tout simples, une vérité première, une protestation véhémente et une description exacte de la situation dans laquelle il se trouvait, tant du point de vue psychologique que du point de vue pratique ou du point de vue géopolitique. Je dirais même du point de vue philosophique, et bien évidemment pataphysique. [...] : "C'est le bordel"».

Hommages successifs entrecoupés de chansons, populaires ou airs d'opéra, Maurice fredonnait toujours. Il était mathématicien, roi du tiramisu (ai-je goûté son tiramisu? Sans doute que oui, chez Nicolas). J'apprends son engagement aux côtés du FLN (j'aurais aimé qu'il me raconte), des anecdotes sur mai 68 (acheté 600 œufs pour les balancer sur les CRS? Mais voilà à quoi il faut revenir: des œufs, de la farine, des petits suisses. Mettez de la joie dans vos protestations, arrêtez de vous blesser, ce n'est pas un jeu).

C'est avec sa fille que je comprends soudain le point commun des trois derniers enterrements auxquels j'ai assistés: René, mon beau-père, Maurice. «Papa a servi de père à tous les copains copines qui passaient à la maison». Une générosité invisible, naturelle, rassurante. D'en bénéficier faisait découvrir à quel point on en avait besoin et on en manquait. Ils comblaient un manque inconnu, une errance de l'âme.

Un café proche a été réservé. Chacun prend un verre et papote. Patrick nous apprend qu'il s'est renseigné pour se faire enterrer avec ses parents: pas de problème, c'est une concession familiale payée jusqu'en 2041, il y a droit sans l'autorisation de ses frères. Il rit: «la dame de la mairie a été très gentille, elle m'a dit: "surtout, n'oubliez pas de venir la renouveler en septembre 41.» (Il est né en 1948.)

Nous aurons droit à un éclat de la part de policiers: notre attroupement les gêne pour passer, entre la porte du bistro et les tables de la terrasse: «Dégagez le passage, laissez un passage pour la circulation». Ils iront jusqu'à verbaliser un grand type au look gardien de chèvres qui, je suppose, s'abstiendra de faire un esclandre par respect pour la famille.
Mais qui les forme, n'ont-ils reçu aucune éducation à la maison? Le degré zéro de l'empathie. Je n'ose imaginer leur comportement en banlieue avec des moins blancs et moins âgés que nous. Honte sur eux.

Départ. Nous embrassons Babeth, qui nous apprend cette chose réconfortante: la dernière journée de Maurice a été heureuse, il était très heureux de sa journée à la campagne chez Nicolas.

Canard

Nuit blanche à faire le point sur les «événements» de la campagne (meeting, tractage, pots entre militants, collage). Je déclare tout dans un outil dédié, événement «gratuit» (sans frais) ou pas, interne ou avec public, charge au siège de déterminer ce qu'il prend en compte dans les comptes de campagne.

(Pour ceux que ça intéresse: concernant les législatives, c'est différent. Chacun — adoubé ou non par un parti — y va sur ses deniers personnels (généralement un prêt bancaire). Il faut faire au moins 5% des suffrages exprimés pour être remboursé de ses frais de campagne — d'où l'importance d'être soutenu par un parti: à l'exception des municipales (et encore), les gens votent davantage pour une tendance ou un parti que pour une personne. Être soutenu par un parti connu, c'est augmenter ses chances d'atteindre les 5%.)

Je pointe la compta, télécharge des pièces, repère les anomalies. C'est comme du point de croix, minutieux et machinal. J'en profite pour passer sur les comptes du planeur. L'année dernière, chaque fois qu'il y avait un poste de trésorier dans une association ou une fédération, je me suis proposée pour tenir les comptes.

Ce n'est pas que ce soit urgent, mais je n'ai pas sommeil. C'est comme si j'avais perdu le sens du sommeil.

En même temps je regarde d'un œil vague Baby Fever sur Netflix. Il paraît que c'est considéré comme la série danoise la plus drôle depuis longtemps. Bof. L'humour danois est-il de l'humour? (cf. Kierkegaard) Mais il est toujours curieux de voir la diversité des cas possibles des couples et des recompositions familiales.

Dormi de cinq à neuf heures du matin. Coup de sonnette du facteur, impossible de mettre la main sur mes clés (H. est parti en fermant le portail); il me passe un paquet par dessus le portail. Ce sont mes salopettes enfin arrivées. Un immense canard et de grosses fleurs multicolores.

FB, déjeuner, machine à laver, repassage devant les trois premiers épisodes de la quatrième série de The Boys. Ça patine un peu. Que la famille est importante. Ils ont chacun un problème majeur dans leur famille, c'est impressionnant.
Le point intéressant et intriguant, c'est que désormais l'un des Sept a comme superpouvoir l'intelligence. La série paraît définir l'intelligence (outre le pouvoir et le désir d'acquérir des connaissances) comme le don d'observation, de synthèse et de manipulation. Cependant, cette intelligence est souvent désarmée par la bêtise des autres. La Super superintelligente a beau décrypter les aspirations et les faiblesses de chacun, elle se fait court-circuiter par les réactions affectives et émotionnelles des médiocres (y compris Homelander). Comme ils n'agissent pas logiquement, ils sont imprévisibles et nuisent aux plans soigneusement élaborés.
C'est intéressant: à quoi sert l'intelligence, est-ce vraiment un atout face aux crétins?
L'autre kryptonite de l'intelligence est l'empathie, pour ne pas dire l'amour. En un mot, chaque fois que l'intelligence fait face à des décisions non rationnelles, non logiques, elle est désarmée. Cela ressemble à la météo qui prévoit une tempête: elle sait qu'il va y avoir une tempête, mais elle ne sait pas exactement sa force, les courants de vent, la vitesse d'évolution. La bêtise et l'amour sont imprévisibles dans leur évolution.

Puis je commence à ranger le dernier étage. Il faut absolument que je m'entraîne au simulateur de vol. Combien de fois l'ai-je écrit depuis six mois? Si je ne l'ai pas écrit (puisque je n'écris plus beaucoup), je l'ai au moins pensé.

J'ai eu S. au téléphone. Maurice est tombé en arrière en montant dans un train. Anticoagulants quotidiens d'où hémorragie cérébrale.

Maurice

Maurice est mort hier après-midi.
Adieu son humour décalé et ses yeux qui pétillent. C'était le mari discret et inoubliable d'Elisabeth.
Cette deuxième mort (ou ce deuxième mort) m'anesthésie.

Il avait écrit un livre drôle et érudit, sans doute devenu introuvable.

Je ne sais que dire d'autre, il ne faudrait raconter que des anecdotes, peindre à touches rapides. Vous trouverez ici quelques conseils de lecture. Il avait l'art du grain de sel. Je me souviens de son récit concernant Roubaud, qui râlait parce qu'à chaque repas au restaurant tout le monde réclamait qu'il s'occupât de l'addition, au prétexte qu'il était mathématicien:
— Alors, me raconte Maurice, Roubaud finit par abandonner, et de guère lasse s'empare de l'addition pour faire la division. «Bon, combien sommes-nous?»
Maurice me regarde, les yeux pétillants, et conclut:
— On était dix.

Consultant senior

Le consultant expérimenté, qu'on doit payer une blinde:

— Le problème, c'est que ça va causer des problèmes.

Soleil

Il fait beau, il fait doux. Un gros bouquet m'attendait en rentrant: nos amis de Boston qui nous ont appelés hier et à qui nous avons raconté la pluie interminable nous l'ont envoyé avec un mot: «nous avons cru comprendre que vous aviez besoin de couleurs». (Il avait quasi fallu leur interdire de venir à l'enterrement: Boston-Châlons pour trois jours, c'était une folie financière. Ils connaissaient si bien mon beau-père. Quand elle était petite, ma fille pensait que notre ami bostonien était le frère d'H. tant il était toujours présent lorsque les parents d'H. étaient là.)

Après le dîner, H. accepte (c'est une première) de venir coller avec moi. Moret regroupe cinq communes, je l'emmène sur les routes champêtres qui sentent le colza.

Nous rentrons à la nuit.

Tractage

Le passant à la jeune LFI tatouée et percée qui l'entreprend sur la situation en Palestine :

— Mademoiselle, si vous étiez en Palestine, vous seriez soit voilée, soit lapidée.

Mauvais choix

Il y a les mots épicènes (même forme au masculin et au féminin), mais comment appelle-t-on les mots qui ont la même forme au singulier et au pluriel?

Vers six heures, H. émerge de la sieste et propose d'aller au cinéma. Je n'en ai pas plus envie que ça (je suis en train de regarder la fin de The Queen Gambit et c'est très bon. Je n'avais pas osé le regarder jusqu'ici car j'aime beaucoup le livre (Le jeu de la dame) trouvé par hasard chez Gibert il y a bien longtemps), mais vu les circonstances, il faut encourager le fait qu'il exprime un désir.

Et c'est ainsi que nous nous sommes retrouvés devant Fall Guy.
Il ne faut pas.
N'y allez pas.
On est sorti au bout de trois quarts d'heure.

Nous avons alors décidé d'aller dîner au bistro du Broc à Bourron-Marlotte.
Nous nous sommes perdus, de jour, pour y aller (les petites routes de la forêt de Fontainebleau), alors que c'est à huit kilomètres de chez nous. (Il a fallu sortir Waze).
Puis nous avons tourné vingt minutes pour nous garer.
Le bistro était complet.

Nous avons atterri au Dix Sept qui fournit une cuisine de brasserie traditionnelle et honnête. Ambiance davantage bistro (tandis que le bistro est un restaurant), plus populaire, tout à fait agréable, si ce n'est la table voisine qui parlait très fort — avec l'un des convives sortis tout droit de La cage aux folles (carrure et maquillage, discours destiné à être entendu dans toute la pièce).

Se planter aussi systématiquement était finalement assez drôle.

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Pour mémoire, j'ai fait du feu en début d'après-midi.
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