De nouveau je copie un thread de twittos. Chaque fois que je fais ça je me dis que je vais mettre le twittos en colère s'il s'en aperçoit, mais aussi chaque fois je me demande pourquoi il n'écrit pas ça dans un blog où je pourrais le retrouver, mais aussi chaque fois je me demande comment quelqu'un peut avoir le courage d'écrire d'aussi longs threads sur Twitter, j'en frémis rien que d'y penser.
Il s'agit
du même neurologue que celui qui m'avait rire lorsque les infirmiers non-vaccinés s'étaient fait virer de l'hôpital — preuve que l'hôpital est pour lui un sujet de réflexion réccurent.
Pour le lire sur Twitter,
c'est ici.
Bon pendant que j'attends une thrombolyse qui visiblement ne viendra jamais (mais je suis sympa, j'attends jusqu'à la 4e heure 30), je lis plein de trucs sur COMMENT RÉFORMER NOTRE SUPER SYSTÈME HOSPITALIER (que bien entendu tout le monde aime tant qu'il s'agit pas de payer).
Et de façon fort peu surprenante, toutes les solutions proposées consistent à déplacer un curseur imaginaire, sur une ligne qui l'est tout autant, allant de "plus de pognon" à "une meilleure gouvernance".
La partie "plus de pognon" tout le monde la connait.
La partie "meilleure gouvernance" un peu moins, mais en gros c'est toujours le même combo: plus de pouvoir de décision aux équipes de terrain et moins de paperasse inutile.
Mais personne (ou plutôt pas grand monde) ne s'interroge sur la pertinence de l'organisation générale de notre système hospitalier.
Alors qu'elle date de plus de 60 ans, époque où il n'y avait rien de ce qui fait 90% de la vie quotidienne de 90% des gens.
Notre système est assez simple.
On a des petits hôpitaux un peu partout, des moyens hôpitaux dans chaque département, des gros hôpitaux dans chaque région, et trois cas particuliers à Paris Lyon et Marseille.
Et plus un hôpital est gros, plus il a des moyens matériels (un plateau technique) et une diversité de compétences importantes.
Mais quelle que soit sa taille, chaque hôpital est aussi l'hôpital de proximité de son territoire. Un peu comme les écoles avec la carte scolaire.
Tout ça est très logique... Pour quelqu'un qui vit dans les années 60 où les traitements sont rares, les connaissances médicales de base universelles, et la transmission des savoirs difficiles.
Chacun de ces trois points est essentiel pour comprendre l'organisation des hôpitaux.
1/ les traitements rares signifie que dans ce modèle, on part du principe qu'avec un dizaine de molécules on couvre la majorité des besoins hospitaliers. Antalgique, Antibiotique, anti-inflammatoires, diurétique, insuline... Avec ça on est supposé être autonome partout.
2/ les savoirs médicaux de base sont universels. Que vous voyez un chirurgien, un médecin ou un psychiatre, tout le monde sait faire un diagnostic de base (fracture, hypertension, infarctus, diabète...) et tout le monde sait prescrire un des rares traitements disponibles.
3/ la transmission des savoirs difficile. Dans les années 60, la communication la plus rapide est le téléphone fixe. Et c'est payant. Sinon y'a la poste. Et quelques bibliothèques universitaires.
Un médecin qui veut avoir un avis sur un traitement particulier, ne va pas se taper une biblio en commandant 15 livres dans une bibliothèque, ni demander au spécialiste (au singulier) de la question une conférence téléphonique. Il se débrouille comme il peut.
Nous sommes 60 ans plus tard.
La pharmacopée a explosé et de nombreux traitements hospitaliers ne sont utilisables que par certains spécialistes (en neuro on n'a presque que ça)
La médecine de base est très peu enseignée parce que le savoir spécialisé a explosé. Pour vous donner une idée, il y'a des trucs neuro auxquels je ne comprends rien et que je confie à des collègues neuro, alors la prise en charge de l'HTA si vous voulez c'est pas trop mon truc.
Et l'accès à l'information est universel. Depuis mon téléphone dans un gîte en Corrèze j'ai accès à à peu près tout ce que je peux imaginer, encore faut-il que je sache quoi chercher (ce qui est différent d'où chercher).
Qu'est-ce que ça change à notre système de soins hospitaliers ?
On pourrait dire...tout.
Plus aucun hôpital n'a la taille critique pour s'occuper de toutes les pathologies avec le maximum de chances pour les patients.
C'est vrai pour les petits hôpitaux, qui se contentent d'assurer la survie avant transfert ou la fin de vie en l'absence de transfert….
Mais c'est aussi vrai pour les établissements de l'APHP. Aujourd'hui en neurologie, selon votre problème neurologique, là où vous seriez le mieux pris en charge sera Lyon, ou Bordeaux, ou Nantes, ou Lille ou…
Et comme évidemment ces services ne peuvent pas accueillir toutes les personnes qui en France ont besoin d'eux, ils sont sollicités par tous les autres hôpitaux (ça fait toujours drôle aux patients parisiens hospitalisés à la Salpêtrière qu'on aille demander un avis à Montpellier).
Et là j'oublie volontiers le fait que dans certaines situations, les dossiers sont discutés avec des gens de Milan, Berlin ou Stockholm, y compris pour la sclérose en plaque de madame Martin qui habite à Guéret dans la Creuse.
Pourtant notre système ne change pas.
Madame Martin qui habite à Guéret dans la Creuse pense que parce qu'il existe un hôpital à Guéret, elle n'est pas loin d'un hôpital qui pourra l'aider si besoin.
Ce qui est faux. Elle sera sûrement très bien prise en charge (je ne connais pas Guéret, je n'ai aucun conflit d'intérêt) pour peut-être son infarctus, mais en cas de parkinson elle devra aller à Limoges. Et si elle a une forme atypique peut-être devra-t-elle aller à Lyon.
Ou pas. Parce que rien ne dit que par hasard un jour un neurologue qui s'intéresse au Parkinson ne s'installe pas dans cet hôpital. Ce qui sera super pour Mme Martin si elle a un parkinson, mais incompréhensible pour Mme Renaud, qui devra toujours aller à Limoges en cas d'AVC.
Et ce qui est vrai à Guéret est vrai à Paris, boulevard de l'Hôpital, en face de la Salpêtrière, si Mme Dupond qui a une SEP, traverse la rue pour se faire hospitaliser dans un des excellents services de l'APHP spécialisé dans la SEP, au cas où elle serait également diabétique.
Parce que chaque hôpital étant hôpital de proximité de son territoire ET avec des services utra spécialisés, il est probable que personne sache quoi faire de son diabète.
En gros pour celui-ci il est possible que Mme Dupond aurait été mieux prise en charge à Guéret...dans la Creuse.
Bref l'organisation actuelle des hôpitaux ne correspond à plus grand chose en terme d'adéquation de l'offre par rapport aux besoins, de hiérarchie de compétences, et de logique des soins.
Et donc à part quelques sénateurs alcoolisés et maires démagogues, plus personne ne croit au système actuel (et j'oubliais quelques débiles sur Twitter qui pensent qu'une maternité sans médecin, sans sage-femme, sans pédiatre et avec trois accouchements/an est un lieu sûr).
Du coup là vous vous dîtes, bah si il est si malin, il a sans doute une solution !?
Bah non.
Non pas qu'il n'y ait pas de solution, mais parce qu'avant d'évoquer les solutions, il faudrait déjà éduquer les gens. Et ça c'est quasiment impossible.
Qui veut entendre qu'il n'est pas possible d'avoir à côté de chez soi, même à Paris, les meilleurs soins possibles et imaginables, ni d'ailleurs que ceux-ci ne sont pas toujours nécessaires (tout le monde n'a pas besoin d'une IRM pour le moindre mal de dos).
Qui veut entendre que tout le pognon du monde ne changera rien au fait que plus la médecine se développe, plus les médecins se spécialisent, et plus il en faut pour une population donnée identique, puisque chaque médecin est de moins en moins universel.
Et ceux qui pensent que la médecine gé peut faire le relais se trompent tout autant. En dehors du fait qu'il y a de moins en moins de MG, en 2021 on me demande encore à quelle dose on doit prescrire l'aspirine après un AVC (depuis 1960 ça n'a pas changé c'est 160mg de KARDEGIC).
Donc il faudra s'habituer à soit se déplacer loin de chez soi même pour des pathologies fréquentes et bénignes ET admettre que de facto, il va y avoir une médecine à plusieurs vitesses selon la chance géographique
OU
Réformer l'organisation des hôpitaux, avec des services polyvalents bien plus nombreux, et des services ultra spécialisés disséminés partout sur le territoire (peu importe où) suffisamment staffés en médecins pour pouvoir donner des avis à distance à tous ceux qui en ont besoin.
Tout cela m'inspire quelques réflexions : d'une part je pense encore «médecine des années 60». Je soigne tout à coup d'aspirine et de vicks vaporub, mais je suis consciente que c'est parce que je n'ai jamais rien eu de grave.
D'autre part je crois tout à fait à la spécialisation croissante décrite ci-dessus: les explications ci-dessus recoupent des expériences, ou plutôt des éclats d'expériences, des anecdotes rapportées, des témoignages entendus. Ce thread donne un sens à des éléments épars. Comment dire notre reconnaissance à ce chirurgien de Garches qui a opéré la hanche de ma belle-mère à 79 ans malgré sa sclérose en plaque — aucun chirurgien de Reims ne voulait prendre le risque — et l'a fait remarcher — promesse qui nous avait fait rire d'incrédulité quand il l'avait proférée?
Ajoutons que la sécurité sociale ne voulait pas rembourser le voyage en ambulance de ma belle-mère (avant l'opération elle ne pouvait voyager qu'allongée) au prétexte qu'elle aurait dû se faire opérer à Reims — et qu'il a fallu que mon beau-père apporte la preuve qu'elle n'avait trouvé personne pour l'opérer sur place (ceci pour aller dans le sens «notre système n'a pas évolué depuis soixante ans»).
Quant à la spécialisation/consultation par d'autres hôpitaux, je réalise que le sujet est traité dans la saison 2 de
New Amsterdam, quand le directeur de l'hôpital a l'idée de "prêter" contre rémunération ses spécialistes à d'autres hôpitaux (contre rémunération car nous sommes aux Etats-Unis: il faut trouver soi-même des financements).
Tout cela me laisse perplexe, car avec une telle spécialisation, comment traiter un patient comme un tout, prendre en compte les interactions entre organes ou glandes ou entre médicaments prescrits par différents médecins?