Humiliation

J'oublie de partir du bureau (tous les jours je me dis «je pars à six heures dernier carat», puis une chose en entraînant une autre, je prends une heure ou deux de retard), je rentre tard. La première chose que me dit H. quand je franchis la porte est «Tu as vu la dernière de Trump?»

Euh non. Je ne suis plus l'actualité politique qui me paraît dénuée de surprises: tout se déroule selon une logique inexorable.

Il y a quelques jours Trump avait accusé Zelensky d'être un dictateur responsable de la guerre (personne pour lui rappeler le Capitlole?); ensuite il avait dit ne pas se souvenir avoir dit ça. Aujourd'hui, Zelensky devait rencontrer Trump pour signer un accord sur les terres rares.
Durant un violent radotage qui a duré une heure, Trump l'a pris à parti devant les caméras dans le bureau ovale. Certains ont pris la peine d'écouter ce verbiage et voient une explication possible à cette attaque dans le refus de Zelensky de mener une enquête contre Hunter Biden en 2019.

Perso je suis soulagée que l'accord n'ait pas été signé: je suis persuadée que les Américains, du moins sous la présidence de Trump, n'auraient pas tenu leur côté du marché.

Ce qui m'étonne le plus, c'est que les journaux titrent sur une humiliation de Zelensky.
Il me semble que c'est plutôt le peuple américain qui est humilié.
Je me demande ce qu'en pense les militaires. Je me demande s'ils auraient envahi le Panama sur ordre (sans doute que oui) ou le Canada (j'espère malgré tout que non). Préfèrent-ils un résistant de la trempe de Zelensky ou suivre l'ordre de soutenir Poutine?

Résumé géopolitique

Il a plu toute la journée, sans interruption.

Sinon rien. Le monde part en sucette. Depuis l'investiture de Trump le 20 janvier, c'est un festival d'idées farfelues auxquelles à ma grande surprise le monde se donne la peine de répondre sérieusement: acheter le Groenland, annexer le Mexique et le Canada, transformer la bande de Gaza en Côte d'Azur américaine.
Des agences entières sont vidées de leurs fonctionnaires pour être ou pas réembauchés (des responsables nucléaires ont ainsi été virés il y a quelques jours, avant rétropédalage). H. qui suit cela de près m'apprend que la comptabilité de certaines (ou toutes?) n'est pas tenue en partie double, ce qui rend aisées la corruption et la fraude. Le pays réagit à son habitude, en contestant devant les tribunaux. Le système judiciaire sera-t-il assez solide?

Donc Trump et Poutine, deux chefs de gang, se partagent leurs territoires et leurs zones d'influence. Dans cette logique, l'Ukraine est abandonnée à elle-même, rançonnée par les deux.
Question : que fait la Chine pendant ce temps?
L'Europe fait le paon, mais ne compte pas.

Je ne suis pas inquiète mais fataliste. La suite des événements va se poursuivre jusqu'à une catastrophe quelconque, puis on reconstruira, comme d'habitude. Tant pis pour les morts.

Comme un lundi

Lu le tome 2 de Magus of the Library. C'est plutôt pour enfants (il faut que je me renseigne sur les catégories shonen, etc : il est évident que j'aime un type particulier, mais je n'en connais pas le nom) et plutôt de la fantasy. Les dessins sont très beaux; l'un des thèmes en est la peur de l'étranger (et la conviction que la lecture fait reculer cette peur, ce qui depuis RC me paraît tout à fait illusoire).

Visite de contrôle chez le dentiste. Je commence à soupçonner la surfacturation, mais très intelligemment il ne me fait rien payer («c'est un contrôle, je ne vous prends rien») et me conseille de prendre rendez-vous mais sans me confier à sa secrétaire («prenez rendez-vous dans un mois sur Doctolib»). Je suis désarmée: est-il suprêmement malin (optique commerçante), pense-t-il que c'est à chacun de choisir sa santé (optique libertaire) ou ne pense-t-il rien du tout et se contente-t-il de faire son métier (optique je suis complètement paranoïaque)?

Il va falloir me méfier de mon nouveau patron (ou lui faire tout à fait confiance): il sent les vibes (aura, émanations?). Il a détecté rien qu'à ma tête la déstabilisation subie ce week-end.
— Ça a l'air dur ce matin.
Je ne le connais pas, je ne vais pas lui raconter mes trois derniers jours. Je réponds la première chose qui me passe par la tête, en réalisant en même temps que je parle que je vais me décrédibiliser à tout jamais:
— C'est à cause de ce que je suis en train de lire, j'ai encore la tête ailleurs.
— Ah bon, qu'est-ce que vous lisez?
— Un manga (réponds-je en me sentant parfaitement idiote. A ma grande surprise il paraît amusé et favorablement surpris.)
— Ah bon? Qu'est-ce que c'est ?
Je tire Magus of the Library de mon sac, il regarde.
— Je ne connais pas (ça m'aurait étonné, c'est tout de même très enfantin, plus que je ne l'avais perçu en le feuilletant).

Nous parlons SF. Nous parlons poésie. C'est un amoureux de Michaux.
Bon. Trop beau pour être vrai, que cela cache-t-il comme désillusion à venir?

Surcompression

Croissants le matin, Casa Azul le midi (très bonne margarita, très bon restaurant mexicain de Fontainebleau). Ces derniers jours auront été à hautes calories (il faut que j'arrête l'alcool — mais c'est dur).

Comme nous sommes à deux pas d'un cinéma, je suggère d'aller voir un film. J'avais repéré la bande-annonce du Brutaliste. (Sur Facebook, je suis abonnée aux groupes "architecture brutaliste", "plaques d'égout à travers le monde" et "escaliers de la mort". Facebook ne sert plus qu'aux groupes — et à la pub, (presque) plus personne n'y écrit. C'est amusant, on assiste à un frémissement des blogs (Twitter et ses articles à rallonge, c'est très agaçant : pourquoi ne pas faire un blog?)).
Bref, je pensais voir un biopic d'un architecte inconnu (de moi. Pour info, ce n'est pas difficile, je ne connais que deux architectes, Le Corbusier et Jean Nouvel).

Ce n'est pas du tout cela. C'est l'histoire d'un architecte juif et hongrois qui arrive aux Etats-Unis après la guerre. J'ai cru à une success story («Regardez comme l'Amérique est grande et généreuse»), puis à une histoire de mea culpa américain («Regardez comme les riches sont avares et dépravés, incapables de vrai amour de l'art»), mais finalement la clé ou une clé founie à la fin est encore ailleurs, entre amour et camps d'extermination — mais de façon contradictoire, puiqu'on nous a fait miroiter un projet aux vastes dimensions pour finir par nous parler de la taille des cellules de Dachau ou Buchenwald.
Ou est-ce justement à cause de cette contradiction que le chantier se passe mal? N'aurais-je rien compris à ce qu'on nous a montré? C'est tout à fait possible.

Quoi qu'il en soit, c'est très long et l'image est très sombre, le tout très fatigant. C'était une mauvaise idée après la journée d'hier, nous aurions mieux fait de profiter de la très belle journée aux températures hors de saison.

Dépression

Passé le matin remplacer l'un des tomes 2 de Magus of the Library. Tout s'explique: ils n'ont plus le tome 1 qui est en commande. J'ai pris le tome 3.

Marché sous une très belle halle. Ici se trouvent quelques commerçant qui doivent se demander où est passé l'homme jovial qui les faisait rire. En mai dernier, j'avais émis l'idée un peu folle (je veux dire décalée: personne ne fait ça) de passer voir les commerçants avec une photo de mon beau-père pour informer ceux qui le reconnaîtraient. (Prendre soin de l'attachement des êtres — même ténu et sans conséquence — ou surtout ténu et sans conséquence — pure gratuité).
On m'avait dit non. Les idées zazous en période de deuil ne sont pas bienvenues.

Miel blanc, poulet rôti, radis.

L'après-midi, tandis que mon beauf et Madame vont à la recherche d'un déambulateur et de nouvelles chaussures, nous passons aux pompes funèbres. Cette année, la traditionnelle fête de famille aura lieu ici; H. aimerait que la dalle soit posée sur la tombe de son père pour cette date.

Patatras.
Je ne sais pas ce qui nous a le plus choqués: l'insensibilité de la vendeuse qui a feuilleté longuement le catalogue virtuel avec nous, utilisant son jargon professionnel sans prendre la peine de s'adapter (différences entre la stèle, la semelle, le soubassement, le placage), le délai pour obtenir le monument (six à huit mois) ou le prix («il faut compter six mille euros», pour la gravure, «c'est seize euros la lettre»).

Nous sommes restés impassibles. Nous ne nous sommes pas levés, nous ne les avons pas traités de charognards, nous ne sommes pas partis en claquant la porte.
Nous avons continué à discuter très poliment, moi retenant mon envie de rire, un rire moqueur, sauvage, gargantuesque, que je sais pour l'avoir pratiqué parfois qu'il ravage très sûrement mes interlocuteurs — sans retour, il n'y a ensuite aucune réconciliation possible.
Nous avons continué à faire la conversation:

— Mais pourquoi c'est si long?
— Nous n'avons pas d'atelier ici. Selon le granit que vous choisissez, il vient du Tarn, du Brésil ou d'Inde. Le monument est taillé sur place puis vient par bateau. A moins que vous ne choisissiez un modèle en exposition.
— Vous voulez dire que lorsqu'on entre dans un cimetière, nous sommes entourés de pierres qui viennent du monde entier?

Nous quittons les lieux très déprimés et furieux. Impression d'être pris en otage et d'être rackettés. H. tient à sa pierre et c'est son père; pour ma part, à titre de résistance, je vais d'ores et déjà chercher une autre solution pour le moment où je serai concernée.

De ce point de vue, la crémation représente un avantage certain — même si ce n'est pas mon genre, pour des raisons d'inscription dans l'espace et le temps: un lieu fixe, un endroit où attacher ma mémoire, où une trace est offerte aux passants (lisant les pierres tombales et imaginant cette vie, souvenir imaginaire de personnes inconnues).

Sentiment de grande détresse et de désorientation durant le voyage de retour. Dans ces moments-là ça vaut la peine d'être deux.
Traditionnel arrêt au mange-disque.
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Chez Madame, j'ai fouillé à l'étage et je reviens, le plus discrètement possible, avec des livres:
128 poèmes composés en langue françaises, anthologie de 1900 à 1968 rassemblée par Roubaud
Rashomon d'Akutagawa (à cause de Ghostdog)
Histoire du diable qui prit femme de Machiavel (je ne savais pas que Machiavel avait écrit un ou des contes)
Pièces de Ponge (j'adore Ponge)
Comprendre l'islam (ou plutôt: pourquoi on n'y comprend rien) d'Adrien Candiard (beaucoup de livres sur l'islam dans la bibliothèque, que je suppose avoir été achetés après 2015. Cabu est originaire de Châlons).

Succession

Journée chez madame Mère pour signer les papiers de la succession. En tant que pièce rapportée je ne vais pas chez le notaire: je reste à flâner dans la librairie Mau (j'apprends au dos d'une carte postale que c'est le nom de l'un des deux cours d'eau de la ville, le Nau et le Mau), j'achète les tomes 1 et 2 du manga Magus of the Library (avoir traduit le titre en anglais, quel snobisme), des cartes postales, un stylo encre et je fais la sieste vingt minutes à l'hôtel (minuteur vingt-trois minutes).

Le soir nous fêtons les anniversaires de Madame et de mon beau-frère à la brasserie où elle avait ses habitudes avec mon beau-père. Elle reçoit un accueil de reine, ils étaient inquiets de sa longue absence (à quand remonte la dernière fois? cet été? nous l'amenions prendre une glace quand nous avions encore la voiture de mon beau-père, mais c'est bien sûr impossible dans le cabriolet (voilà qui ajoute un critère au choix d'une voiture: qu'elle soit de la bonne hauteur, ni trop haute ni trop basse, pour que Madame puisse s'y asseoir facilement)). Je crois que cet accueil lui a fait plaisir. Je la soupçonne d'être complexée ou intimidée par la grande popularité de mon beau-père.

Nous passons une soirée agréable. La seule difficulté est de ne pas répondre trop vite aux rodomontades de mon beau-frère et ravaler notre humour acidulé. Nous avons fait de nets progrès en ce domaine, ce doit être l'âge.

Mon beauf raccompagne sa mère chez elle. En le voyant l'installer dans la voiture, je me demande comment faisait beau-papa, plus petit et plus frêle à quatre-vints ans passés. Ils venaient tous les jours boire un café, nous a dit le patron. Mon beau-père accomplissait ce travail de force tous les jours? Deux fois par jour? Cela devait être épuisant. Il était épuisé. Comment avons-nous fait pour ne pas le voir? Il nous l'avait dit, nous n'avons pas fait assez attention.

Au moment de me coucher, je découvre que j'ai acheté deux tomes 2 de Magus of the Library.

Cahier des charges

Télétravail.

D'un œil je suis le WhatsApp des pilotes qui organisent le stage de Sisteron. La question du jour sont les caractéristiques nécessaires d'une voiture pour tirer une remorque de planeur — sachant que tous les planeurs ne font pas le même poids.

Les échanges deviennent de plus en plus compliqués. Je retiens qu'il faut consulter les cases F2 et F3 de la carte grise et la plaque (des caractéristique) de la remorque. Un des pilotes fournit un tableau Excel. Un autre finit par trancher: «Arrêtez de vous prendre le chou il faut que la remorque soit moins lourde que la voiture et que l'ensemble pèse moins de trois tonnes cinq. A vérifier le poids tractable de la voiture uniquement», ce qui résumé par un autre donne «F3 - F2 du tracteur égal PTAC (F3) max de la remorque attelée».

En prévision de mes futures vaches (atterrissage dans un champ) il faudra que je vérifie le poids d'une remorque de LS4. Cela nous permettra de choisir la voiture adéquate (tout pilote qui se respecte doit avoir une voiture avec une boule pour tracter une remorque). J'ai un an devant moi, je ne pense pas partir en campagne avant l'été 2026.

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Suivant la suggestion de mon fils, j'utilise ChatGpt pour interroger Google: le projet de réduire l'indemnité des agents publics à 90% de leur rémunération les trois premiers mois de maladie a-t-il été voté?
Réponse oui, ainsi que le passage à trois jours de carence. Parution le 14 février, prise d'effet le 1er mars.

Un nez

Passée à Listel Or récupérer un volume de la NRF (n°98, premier novembre 1921, avec Gide, Larbaud, Crémieux, Thibaudet…) La revue tombait littéralement en poussière et ce fut une gageure de la relier. Quand je suis entrée dans la boutique, la première chose que m'a dite Sophie, c'est «j'espère que tu ne m'amènes pas un livre aussi abîmé que le précédent».

Non, cette fois-ci c'est un livre neuf qui a vrai dire n'a pas du tout besoin d'être relié: The Making Of Homeric Verse de Milman Parry (encore un cadeau de mon défunt beau-père. Il se faisait un plaisir de choisir les plus étranges livres dans ma liste Amazon). Si je l'amène ici, c'est pour l'appareiller à deux autres livres, la thèse de Clémence Ramnoux et Aperçu de la langue grecque d'Antoine Meillet (dans mes cent choses à faire avant de devenir un zombie, il y a lire ces trois livres).
La particularité de ce livre, c'est que la plus grande partie est une traduction anglaise d'un travail écrit en français, L'épithète traditionnelle dans Homère; essai sur un problème de style homérique. Il a été publié en 1928 et est à peu près introuvable. Durant mon trajet en métro, je découvre qu'il y en a un exemplaire à la bibliothèque de Fels. Et en écrivant ici, je viens de découvrir que je peux contribuer à sa numérisation.

Il y a beaucoup de monde dans la boutique, trois élèves et un "nez", ainsi que me la présente Sophie. C'est donc une spécialiste des parfums. Nous papotons un long moment. J'apprends qu'il existe un musée des odeurs à Versailles, l'osmothèque. J'en profite pour poser ma question sur Ivoire de Balmain: est-ce réellement le parfum d'origine, celui des années 70? Non, probablement non: ils ont ressorti beaucoup de parfums en en changeant la composition.

Débarqué

Ce matin, sans autre explication, m'attendait le mail suivant envoyé à 7h31 :
Communication du Président à l’ensemble du personnel
A compter du 4 février 2025 au soir, M. Trucmuche (le directeur, dirigeant opérationnel) est dispensé d’obligation de présence dans les locaux de MonEntreprise.
A compter du 5 février 2025, il est demandé que toutes les informations destinées au directeur me soient transmises par l’intermédiaire de M. Tartemuche, qui assumera la fonction de chargé de missions à mes côtés.
Je viens de changer de patron.
Je suis déjà en train d'oublier le précédent. Pour donner une idée du personnage, nous l'avions surnommé Pompon.
J'ai googlé le nouveau (qui sera donc surnommé le nouveau durant un certain temps). Il apparaît que c'est un coureur de trail et de triathlon. J'en déduis qu'il devrait avoir du courage. Ce ne sera pas inutile.
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