Passé le matin remplacer l'un des tomes 2 de Magus of the Library. Tout s'explique: ils n'ont plus le tome 1 qui est en commande. J'ai pris le tome 3.

Marché sous une très belle halle. Ici se trouvent quelques commerçant qui doivent se demander où est passé l'homme jovial qui les faisait rire. En mai dernier, j'avais émis l'idée un peu folle (je veux dire décalée: personne ne fait ça) de passer voir les commerçants avec une photo de mon beau-père pour informer ceux qui le reconnaîtraient. (Prendre soin de l'attachement des êtres — même ténu et sans conséquence — ou surtout ténu et sans conséquence — pure gratuité).
On m'avait dit non. Les idées zazous en période de deuil ne sont pas bienvenues.

Miel blanc, poulet rôti, radis.

L'après-midi, tandis que mon beauf et Madame vont à la recherche d'un déambulateur et de nouvelles chaussures, nous passons aux pompes funèbres. Cette année, la traditionnelle fête de famille aura lieu ici; H. aimerait que la dalle soit posée sur la tombe de son père pour cette date.

Patatras.
Je ne sais pas ce qui nous a le plus choqués: l'insensibilité de la vendeuse qui a feuilleté longuement le catalogue virtuel avec nous, utilisant son jargon professionnel sans prendre la peine de s'adapter (différences entre la stèle, la semelle, le soubassement, le placage), le délai pour obtenir le monument (six à huit mois) ou le prix («il faut compter six mille euros», pour la gravure, «c'est seize euros la lettre»).

Nous sommes restés impassibles. Nous ne nous sommes pas levés, nous ne les avons pas traités de charognards, nous ne sommes pas partis en claquant la porte.
Nous avons continué à discuter très poliment, moi retenant mon envie de rire, un rire moqueur, sauvage, gargantuesque, que je sais pour l'avoir pratiqué parfois qu'il ravage très sûrement mes interlocuteurs — sans retour, il n'y a ensuite aucune réconciliation possible.
Nous avons continué à faire la conversation:

— Mais pourquoi c'est si long?
— Nous n'avons pas d'atelier ici. Selon le granit que vous choisissez, il vient du Tarn, du Brésil ou d'Inde. Le monument est taillé sur place puis vient par bateau. A moins que vous ne choisissiez un modèle en exposition.
— Vous voulez dire que lorsqu'on entre dans un cimetière, nous sommes entourés de pierres qui viennent du monde entier?

Nous quittons les lieux très déprimés et furieux. Impression d'être pris en otage et d'être rackettés. H. tient à sa pierre et c'est son père; pour ma part, à titre de résistance, je vais d'ores et déjà chercher une autre solution pour le moment où je serai concernée.

De ce point de vue, la crémation représente un avantage certain — même si ce n'est pas mon genre, pour des raisons d'inscription dans l'espace et le temps: un lieu fixe, un endroit où attacher ma mémoire, où une trace est offerte aux passants (lisant les pierres tombales et imaginant cette vie, souvenir imaginaire de personnes inconnues).

Sentiment de grande détresse et de désorientation durant le voyage de retour. Dans ces moments-là ça vaut la peine d'être deux.
Traditionnel arrêt au mange-disque.
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Chez Madame, j'ai fouillé à l'étage et je reviens, le plus discrètement possible, avec des livres:
128 poèmes composés en langue françaises, anthologie de 1900 à 1968 rassemblée par Roubaud
Rashomon d'Akutagawa (à cause de Ghostdog)
Histoire du diable qui prit femme de Machiavel (je ne savais pas que Machiavel avait écrit un ou des contes)
Pièces de Ponge (j'adore Ponge)
Comprendre l'islam (ou plutôt: pourquoi on n'y comprend rien) d'Adrien Candiard (beaucoup de livres sur l'islam dans la bibliothèque, que je suppose avoir été achetés après 2015. Cabu est originaire de Châlons).