Chaque fois que je siffle dans la rue les mains dans les poches, je pense à Patrick.
Nous avions vingt ans (enfin, lui plus que moi), il tâchait — très gentiment — de m'enseigner quelques bonnes manières: «Une fille ne siffle pas dans la rue». Alors bien sûr, je sifflais.
Nous passions nos soirées à discuter économie et littérature en mangeant une baguette et un camembert; vers minuit il me raccompagnait à la station du Luxembourg pour que je rentre à la cité U avant le dernier métro.
Un jour il m'a avoué que s'il me raccompagnait ainsi, c'était pour s'assurer que je n'allais pas me promener au hasard dans les rues. Cela m'avait fait rire (comme si je n'avais pas pu faire ce que je voulais dès qu'il aurait eu le dos tourné) et émue (pas grand monde prenait la peine/le risque de prendre soin de moi).

Il y a quelques jours je regardais un petit garçon de trois ans qui devait franchir le ruisseau débordant d'un caniveau pour traverser la rue. Il se concentrait, évaluait la distance. Puis il sauta avec décision — en plein milieu du ruisseau, éclaboussant sa nourrice. Je compris aussitôt à son sourire satisfait qu'il l'avait fait exprès, c'était exactement ce qu'il avait calculé avec tant de précision. La nourrice était furieuse, j'avais envie de rire.
Un jour, j'avais fait le même mauvais coup à Patrick, sur le boulevard Saint-Germain. Il était trempé, j'avais largement dépassé mon objectif. Aujourd'hui encore, j'ai un peu honte quand j'y pense.