Je crois que j'ai perdu un livre. Je ne le retrouve plus, le plus probable est que je l'ai laissé au kiosque à journaux en achetant le journal ce soir. Ou alors, plus grave, je l'aurais laissé sur un mur où je l'aurais posé pendant que je lisais le journal en terminant une cigarette. Ou je l'ai laissé sur le siège dans le train. Je n'arrive pas à me souvenir: en face de moi un jeune homme qui regardait un film, à côté de moi un homme qui ressemblait à un pasteur… ai-je dormi? Je ne sais plus, je n'arrive pas à me souvenir.

On verra demain.

Mais je me sens mal. C'est un livre de bibliothèque. Je n'ai perdu qu'un livre dans ma vie, c'était Récits de la Kolyma, tome 1, je crois, en livre de poche. C'était déjà un livre de bibliothèque, et à l'époque (1995, je pense), irremplaçable, car il était épuisé.

J'espère que je vais retrouver ce livre. Lui aussi est épuisé. Ou alors j'espère que celui qui le retrouvera le rendra à la bibliothèque (cela m'est arrivé une fois, avec Le comte de Monte-Cristo: je m'apprêtais à expliquer que je l'avais perdu et à offrir de le rembourser, on me répondit qu'il était de retour en rayon. Soulagement.)

Je pose mes livres n'importe où, j'erre dans la maison en psalmodiant «J'ai perdu mon livre», on me répond «Prends-en un autre» — ce que je fais, le plus souvent, tranquille, car je sais qu'il est quelque part dans la maison.

Mais pas ce soir. Pour une fois la maison est rangée, le livre n'y est pas.
Je ne supporte pas de ne pas savoir où j'ai mis ce livre.