La semaine dernière, deux personnes de mon équipe étaient en vacances et en télétravail hier. Je les ai donc rencontrées aujourd'hui. Ils sont mari et femme, fonctionnaires tous les deux, «agents», comme on dit ici.

— Ça fait trente-et-un an que je suis ici. Je vais partir en retraite en décembre. Avant, j'ai commencé à l'Imprimerie nationale, pendant dix ans. J'y suis rentrée par mon oncle. C'était plus facile que maintenant. Y avait mon frère et mon père, aussi. On m'a fait passer un petit test et puis voilà, j'étais embauchée. C'était souvent comme ça, une tante qui travaillait, y avait pas tous ces concours, on était en famille.

Je la regarde, à la fois éberluée et envieuse: ainsi, il en reste quelques-uns en activité, de ces gens qui ont connu le plein-emploi des Trente Glorieuses, où il suffisait de frapper pour être embauché. On me l'avait déjà raconté, mais les narrateurs avaient vingt ans de plus. Je suis devant les derniers témoins, nés en 1955 environ, qui ont commencé à travailler avant le premier choc pétrolier et ne sont pas partis en retraite malgré une carrière longue.
Je vois disparaître la France de San-Antonio.