Je n'en finis pas de m'étonner du monde fonctionnaire. Comment dire cela? Je les admire et ils m'agacent; j'admire leur dévouement sans borne et leur conscience professionnelle; leur vision décalée du monde (resté dans les années 50: ils constatent désolés la disparition de leurs valeurs mais ne prennent pas ce constat en compte) me surprend et m'agace. Je ne suis pas mi-admirative, mi-agacée, mais 100% admirative et 100% agacée.

Je parle ici de classe A ayant entre cinquante et soixante-dix ans. Je découvre (sur un très petit échantillon dont je ne sais absolument pas s'il est représentatif) leur façon indienne de considérer le monde, en castes et sous-castes: d'égal à égal avec un autre classe A, saluant les non-fonctionnaires parce qu'il faut bien qu'il y en ait, effaçant du regard les classes B et C. Lorsque je m'en étonne, Nadine (classe B, quarante ans de fonctionnariat) les excuse ainsi: «ce n'est pas de leur faute, je pense qu'on leur a appris dans les bureaux qu'il n'était pas nécessaire de saluer tout le monde.»

Je songe à mes amis de Sciences-Po qui préparaient les grands concours de la fonction publique; je songe aux ministères qui préparent les lois et leurs applications et cela me fait frémir.