Jeudi. Salutations: «Reposez-vous bien». Je regarde mon interlocuteur comme s'il parlait chinois.

Vendredi. Le fait que je prenne cette semaine de "vacances" a posé quelques problèmes d'organisation (nous avons découvert, ma collègue et moi-même, que nous étions presque indispensables) et par bonté d'âme, parce que je sais que F. est une grande angoissée, je rédige et lui envoie trois documents censés la rassurer. Pendant ce temps je ne fais pas ma valise. J'ai cru que je n'arriverais jamais à faire cette valise. Trop fatiguée, trop stressée. Et que se passerait-il si je loupais mon train? Déception et soulagement.

14h57, gare Saint-Lazare, train pour Cherbourg. Ma voisine lit Conversions, d'Harry Matthew. J'ai rencontré ce titre il y a quelques jours, mais où?
Le wagon est silencieux, impressionnant de silence. Ma voisine interroge le contrôleur pour savoir si le train s'arrête bien à Carantilly. Non, il y a très peu d'arrêts à Carantilly, vous savez. J'attends qu'il s'éloigne un peu pour la rassurer.
A Lison descendent une quinzaine de personnes. Ça s'interpelle et ça se reconnaît, «je vous présente Tartempion, doctorante en...» Mon dieu, mais ils sont nombreux, de tous âges et de tous sexes, tous universitaires: qu'est-ce que je vais bien pouvoir dire quand ils vont me demander ce que je fais? Qu'est-ce que je fiche là?

Nous semons la panique dans le "train intercités" entre Caen et Rennes, nous sommes une colonie de vacances heureuse et bruyante, les gens nous regardent, pas un ne se lèverait de son strapontin pour faire de la place ni ne se pousserait pour laisser passer une valise très lourde, j'écrase consciencieusement quelques orteils.
Comme prévu, le train s'arrête à Carantilly, arrêt spécial pour Cerisy, "non indiqué sur les horaires de la SNCF", était-il précisé sur le programme. Ce détail me ravit: le train s'arrête en catimini en rase campagne pour faire descendre au cœur du bocage normand quelques illuminés venus du monde entier.

J'ai une chambre dans les anciennes écuries. Les stalles ont été conservées. C'est très pittoresque et risque fort de déclencher une crise d'allergie (je supporte mal les odeurs de bois, d'humidité, de paille, l'odeur des vieilles fermes). Le bureau est minuscule, et surtout, nous serons probablement deux dans cette chambre. Ça ne fait pas mon affaire, je n'avais pas prévu de dormir beaucoup cette semaine, il faudra que j'aille travailler dans les pièces communes. Mais si je rentre tard ou pars tôt, comment ma cothurne supportera-t-elle mes allers-et-venues?
On verra.

Voilà. Je suis à Cerisy.